Yves Coppieters : « Cibler les axes prioritaires : logement, accès aux droits de base, insertion socioprofessionnelle et santé »
Fanny Dubois, Pascale Meunier, Yves Coppieters
Santé conjuguée n°109 - décembre 2024
Le nouveau ministre wallon et communautaire francophone de la Santé compte aussi dans ses compétences l’Environnement, l’Action sociale, l’Économie sociale, le Handicap, la Lutte contre la pauvreté, l’Égalité des chances, les Droits des femmes et les Familles. Beaucoup de cohérence, et des dossiers qui ne manquent pas.
Comment réduire les inégalités sociales de santé et renforcer l’accessibilité à la santé ? Et quel avenir pour les assistantes et assistants sociaux, les AS, en maison médicale ?
Y. C. : L’initiative du plan de lutte contre la pauvreté était très intéressante. Il a financé dix-huit postes en province de Liège et douze dans le Hainaut. C’est assez considérable. C’est une mesure importante qui va être prolongée en 2025 et qui doit être évaluée pour voir comment la pérenniser et éventuellement la modifier vu l’importance des besoins et la complémentarité qu’un ou une AS peut amener au reste de l’équipe pluridisciplinaire. Ce sont des acteurs de terrain qui permettent la prévention communautaire, la promotion de la santé, et qui permettent aussi d’amener les gens dans le système parce qu’ils sont des relais. Ils permettent de renforcer l’accessibilité. Outre les mesures prises en 2022-2024, nous devons mettre en place un nouveau plan de lutte contre la pauvreté avec une méthodologie. Moins de mesures disparates et cibler les axes prioritaires : logement, accès aux droits de base, insertion socioprofessionnelle, et santé – ou qualité de vie – bien sûr. Nous voulons recentrer les priorités par rapport au plan précédent qui était sans doute très bien pensé, mais – l’évaluation doit encore se faire – n’avait peut-être pas assez d’effets. L’assistante sociale supplémentaire à travers le plan de lutte contre la pauvreté est sûrement très bénéfique, mais c’est la pérennisation qui me pose problème. Cela fait partie de financements non structurels. Les besoins sont tellement importants que tout ce que l’on propose en plus de ce type-là est pertinent, a un sens, devrait être encore renforcé. Mais sur un plan purement financier, comment pérenniser tout cela ? Je n’ai pas encore la solution.
Quelle suite pour Proxisanté ?
La meilleure et la plus opérationnelle possible ! Personne n’a remis en cause la pertinence de cette territorialisation des soins, ou cette révision de la première ligne, et tout le monde a reconnu le travail de concertation qui a été réalisé en amont avec des visions complémentaires. Mais le décret a été écrit à la va-vite ; il est sorti juste avant les élections et tout cela n’était pas très mûr. Je ne dirais pas que c’est une coquille vide, c’est une vision théorique très pertinente. Mais quand je lis le texte, il n’y a aucune clé pour démarrer, que ce soit en termes d’opérationnalisation, de financement ou de remobilisation des acteurs. La Wallonie a du retard par rapport à Bruxelles et par rapport à la Flandre. Tout est à faire, mais ce n’est pas pour autant que nous devons repartir pour cinq ans de discussions sinon on perd tous son temps. L’idée est de relancer très rapidement des groupes de travail pour opérationnaliser les choses et l’Aviq en a déjà pris l’initiative. Un appel à projets a été lancé sur les parcours d’intégration, sur les 1000 premiers jours, sur l’obésité, sur les populations vulnérables, et dans lequel nous essayons de voir territorialement qui peut se regrouper pour former ces futures OLS, les organisations locales de santé. Il y a plusieurs scénarios possibles et nous laissons la latitude à tout un chacun dans les territoires de présenter la meilleure formule de regroupement local pour arriver à mettre en œuvre ces programmes de prise en charge intégrée.
Les territoires pourraient être structurés depuis les hôpitaux ?
Ce ne sont pas les hôpitaux que nous sollicitons pour l’appel à projets, pas du tout.
Christie Morreale, précédente ministre wallonne de la Santé, encourageait de passer par les réseaux existants comme les SISD1. Quelle est votre position ?
On peut imaginer tout autre scénario pour autant que cela devienne de futures structures de pilotage territorial. Si je compare avec la garde en médecine générale, il n’y a pas un scénario imposable de manière systématique du nord au sud de la Wallonie ; ça ne marche pas parce il y a une problématique de pénurie, une problématique de ruralité… Pour Proxisanté, c’est la même chose. Je souhaite mettre en place une territorialisation la plus adaptée au contexte local : ce sont des ressources, des populations, des zones géographiques qui ont leurs caractéristiques. Avec l’Aviq, on est sur la même longueur d’onde. Et avec le ministre fédéral Frank Vandenbroucke – c’est lui qui lance le financement des programmes de soins intégrés –, on arrive plus ou moins à une disposition commune. Je pense qu’il y a aussi moyen d’avoir cette vision commune avec la ministre flamande de la Santé.
Qu’espérez-vous du prochain gouvernement fédéral 2?
Nous souhaitons une continuité des politiques de santé fédérales avec une ambition financière sur le taux d’accroissement. Mon parti, Les Engagés, plaidait pour un taux de 3,5 % ; la législation dit qu’on doit atteindre 2,5 %. Dans les négociations, nous acceptons un taux d’accroissement de 3 %… nous faisons un effort, mais nous ne voulons pas entrer dans un gouvernement fédéral qui ne prend pas ses responsabilités en matière de Sécurité sociale et surtout par rapport aux soins de santé. C’est notre position. Et moi, ce dont j’ai besoin pour ma politique régionale et en Fédération Wallonie-Bruxelles, c’est d’un appui, un allié au développement de nos politiques territoriales et de nos politiques de prévention. Si les négociateurs n’arrivent pas à assurer cette continuité, franchement on va être très embêté. Pourquoi ? Parce qu’on aura beaucoup de mal à mener notre révision de la première ligne de soins, on aura beaucoup de mal à continuer ce lien, cette bonne coordination avec le fédéral. Nous avons aussi besoin de cette continuité au niveau des financements, nous avons besoin d’argent complémentaire puisque nous devons doubler le budget de la prévention.
Comment se traduira le doublement du budget de la promotion de la santé ?
Avons-nous une feuille de route ? Non. Nous devons d’abord évaluer le plan promotion/prévention qui se termine et qui doit être reformulé en 2025. Je veux avoir plus d’ambition par rapport à la santé mentale, par rapport à des dimensions de santé environnementale sûrement, par rapport à l’alimentation, en tout cas la prévention de la surcharge pondérale et de l’obésité, mais l’alimentation comme déterminant de la santé est beaucoup plus transversale. Le plan santé mentale va nécessiter une partie de ce budget pour continuer à financer les psychologues de première ligne, car ce n’était pas prévu. Je ne dis pas que nous avons obtenu le doublement du budget pour ne faire que continuer ce qui existait, non, il faut avoir de nouvelles politiques, mais il faut être conscient que la prolongation de certaines stratégies passe aussi par là.
L’idée est d’avoir une vision évolutive et pas des financements récurrents à tout prix pour je ne sais quoi… Aidez-nous à être innovants dans le futur plan de promotion de la santé !
Qu’est-ce qui est mis en œuvre pour résoudre la pénurie de soignants ?
Cela va fortement dépendre du niveau fédéral, en tout cas clairement par rapport aux quotas. Nous allons nous battre dans les négociations pour maintenir l’élargissement du nombre d’accès, de personnes qui peuvent exercer la profession de médecin, de dentiste. À notre niveau régional, la stratégie Impulséo n’est pas satisfaisante, elle n’a pas de vision globale des facteurs motivationnels de l’implémentation des acteurs. Il faut la poursuivre, ça j’en suis persuadé, mais il faut se rendre compte que ce qui détermine le fait que les médecins ou les dentistes vont s’implanter dans une zone en pénurie, ce sont les milieux de vie, c’est le fait de pouvoir pratiquer en pluridisciplinarité, en équipe, c’est la problématique de la garde, et puis bien sûr c’est le tissu social. Nous allons continuer le processus, mais peut-être en travaillant beaucoup plus avec les collectivités locales pour qu’elles prennent aussi leurs responsabilités, pour qu’elles puissent contribuer à ces facteurs motivationnels. En Fédération Wallonie-Bruxelles, nous nous penchons également sur l’attractivité des études d’infirmier et d’infirmière, de kinésithérapeute et sur les autres professions en pénurie. Avec, pour moi, la volonté d’avoir une vraie réflexion sur la quatrième année infi, sur sa valorisation financière. Il faut refaire passer des messages dans le grand public sur ces métiers, sur leur place dans la société, sur le rôle majeur qu’ils jouent.
Leur valorisation n’est pas uniquement financière…
La réforme IF-IC, la réforme des barèmes, a très bien fonctionné pour celles et ceux qui en ont bénéficié, mais ce n’est pas encore le cas de tout le monde. Il faut revaloriser les barèmes et les salaires de certains autres métiers : je pense aux aides-soignants, aux éducateurs ou autres qui pourraient suppléer, dirais-je, au manque quantitatif d’autres professions du soin. Il faut continuer à évoluer sur le rôle que certains professionnels peuvent avoir par rapport à d’autres, les pharmaciens en l’occurrence, dans l’éducation à la santé. Concernant la vaccination, c’est déjà quasi résolu, mais il y a d’autres stratégies de dépistage ou de prévention dont les pharmaciens pourraient se charger. Je sais que c’est compliqué pour les médecins, la vaccination, ça va très vite et ça rapporte, mais je suis pour une plus grande délégation des tâches. La simplification administrative reste également une grande priorité pour les médecins. Le problème, c’est que nous n’avons pas de baguette magique pour des ressources humaines…
Médecin, professeur en santé publique et ministre de la Santé… C’est un rêve qui se concrétise ?
Je n’ai jamais rêvé d’être ministre et les choses ne se sont pas passées comme cela ! J’ai rejoint Les Engagés pour être député fédéral, c’était ma seule ambition, une opportunité pendant neuf mois de parler santé, d’amener la dimension santé dans le programme du parti, qui l’a acceptée volontiers. Je ne suis d’ailleurs pas le seul à avoir écrit ce programme. Ensuite j’ai eu la chance d’être élu et j’ai participé aux négociations régionales avec le MR pour le volet santé. L’accord est-ce qu’il est, on l’aime ou on ne l’aime pas, mais il contient quelques éléments que j’ai pu amener. Sur les aspects santé, social et environnement que je défends, il y a une continuité de vision. S’il n’y avait pas eu cette continuité, je n’aurais jamais accepté de devenir ministre.
Il y a beaucoup de cohérence entre vos nombreuses compétences régionales et communautaires. Tout se tient ?
Quand mon président m’a annoncé les six compétences régionales plus les trois en Fédération, je me suis dit waouh !, c’est sympathique, mais c’est beaucoup trop pour un seul cabinet ! Et d’ailleurs on peste chaque jour ! Cependant cette intégration des politiques publiques, c’est génial : on connaissait déjà le bloc santé/solidarité, qui fonctionne bien, mais y ajouter l’environnement, les affaires sociales et l’économie sociale, c’est extraordinaire. Avec les droits des femmes, la lutte contre la pauvreté, l’égalité des chances et l’interculturalité en Fédération et pour lesquelles il y a aussi des plans en Région wallonne, c’est parfait vu le lien entre ces dimensions. Beaucoup de cohérence donc, mais nous voulons travailler avec des cabinets réduits – c’est aussi une réalité politique – et nous voulons que les administrations soient les moteurs du changement.
Cet article est paru dans la revue:
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