Une étude sur les métiers de demain au premier échelon en Belgique : pourquoi et comment ?
Elysee Somassé, Florence Paligot, Isabelle Heymans
Santé conjuguée n° 55 - janvier 2011
Le premier échelon de notre système de santé est en cours d’évolution. Les professionnels qui le composent voient leurs missions et leurs fonctions se modifier. Les attentes évoluent à leur égard. La pénurie de certains professionnels se fait sentir, imposant une redistribution des fonctions entre acteurs. Des fonctions nouvelles apparaissent, ainsi que des professions nouvelles. Vers où va-t-on ? Pour répondre aux défis de demain, aux besoins de la population et du système de santé, quelles missions/fonctions seront à remplir ? De quels métiers aurons- nous besoin pour les remplir ? Quelles tâches pour quels professionnels ? Comment cela s’organise-t-il ailleurs, et particulièrement dans les pays où le premier échelon est plus développé ? Comment avons-nous déjà organisé la réponse aux défis perçus, sur le terrain, en Belgique ?
Avec le soutien du service public fédéral Santé publique, et en collaboration avec la Vereniging van wijkgezondheidscentra et des chercheurs de l’école de santé publique de l’université catholique de Louvain, la Fédération des maisons médicales mène une étude autour de ces questions. Notre objectif est d’envisager les évolutions dans les missions et fonctions à remplir aujourd’hui et demain au premier échelon des soins, et les pistes de solutions élaborées, ici et ailleurs, pour répondre à ces évolutions. Par cette étude, nous n’apporterons pas de réponses toutes faites. Seulement des éléments de réflexion, un jalon pour une construction future des conditions nécessaires, des métiers et compétences requis pour remplir les missions du premier échelon du système de santé de demain.Deux points de vue, deux méthodes
La logique voudrait qu’on parte des besoins de la population pour définir les missions et fonctions du système de santé, puis qu’on définisse quel niveau du système doit y répondre. Après, on pourrait décrire les compétences nécessaires pour ces fonctions et décider quels professionnels former et financer pour les remplir. Ce type de méthode est très théorique et semble partir de rien, comme si un contexte, des professionnels, un système n’étaient pas déjà là. Nous avons cherché à faire se rejoindre cette approche par besoins et la réalité du terrain belge, en combinant deux méthodes de travail et deux points de vue. La première méthode repose sur l’analyse de la littérature décrivant des manières de répondre aux besoins de la population dans le contexte de l’Europe, de l’Amérique du nord, de l’Australie ou de la Nouvelle Zélande. Ici, nous partirons effectivement de certains enjeux de santé et évoquerons les pistes envisagées, testées, mises en place dans d’autres contextes que le nôtre pour y répondre. Peut-on s’en inspirer, en tirer des leçons pour notre système ? La deuxième méthode part du terrain belge. Elle se base sur le postulat que les acteurs de santé perçoivent, même intuitivement, les dé s auxquels ils auront à faire face dans l’avenir, à partir des difficultés qu’ils rencontrent aujourd’hui. Parfois soutenus par les pouvoirs publics, parfois de manière spontanée, ces acteurs tentent des initiatives, des projets pilotes, des fonctions nouvelles, des manières de travailler. Dans un contexte changeant, ils essayent de répondre à leurs propres besoins de professionnels et/ou à l’émergence ou à la croissance de besoins de la population. Des fonctions nouvelles émergent, des métiers nouveaux apparaissent, des métiers anciens voient leur champ d’action évoluer en fonction de besoins perçus sur le terrain. Ces changements traduisent une évolution dans les fonctions à remplir à ce niveau du système de santé. Nous voulons questionner l’évolution des fonctions à partir de ces évolutions du terrain. Pour cette deuxième partie, nous ne partons pas de rien. Un cadastre des professions est collecté chaque année depuis 2006, l’Institut de classification des fonctions (IFIC) est en train de réaliser un travail conséquent en la matière, certaines associations professionnelles ont décrit les fonctions pour des visées de promotion ou de revendication, la Fédération des maisons médicales a elle-même promu la description de certains fonctions (accueillante, assistante sociale…). Enfin, des critères sont prévus pour l’agrément de certaines fonctions au niveau du service public fédéral de la Santé publique ou de l’INAMI. Au delà d’une liste de professions, il s’agit de repérer diverses fonctions, soit déjà actives depuis longtemps en première ligne, mais en évolution, soit émergentes. Une trentaine de métiers seront identifiés sur base à la fois des enjeux définis au préalable, et de la valeur innovante / en évolution / exemplative de ces métiers pour répondre à ces enjeux. Nous interrogerons des acteurs de terrain sur leur métier, ses fonctions, son évolution, son caractère innovant, sa plus-value au service de la population. C’est de ceci que nous vous laissons entrevoir les prémices dans ce cahier. Puis nous retournerons vers des acteurs pour questionner avec eux les fonctions identifiées. Qu’en pensent-ils ? Ce que nous aurons dégagé leur paraît-il pertinent au regard de leur pratique quotidienne ? Comment organiser la réalisation de ces fonctions nouvelles ? Une grille de lecture : des enjeux d’avenir L’exhaustivité est impossible et paralysante. Neuf enjeux semblaient particulièrement importants à questionner. Ils serviront de grille de lecture pour une description des pistes d’évolution des fonctions du premier échelon. Ces neuf enjeux sont le vieillissement de la population, l’augmentation des pathologies chroniques, les inégalités sociales de santé, la santé mentale en ambulatoire, la santé liée à l’environnement et au travail, le virage ambulatoire1, les fonctions qui viennent en appui au service à la population, la pénurie des médecins généralistes et infirmières, et l’articulation/intégration entre biomédecine et promotion de la santé. Le vieillissement de la population et la croissance des pathologies chroniques engendrent des besoins croissants en soins, mais aussi des besoins nouveaux, à déterminer et à assumer. Sur un autre plan, nous assistons à une redistribution du socio-économique qui gonfle les rangs des démunis et mène à une croissance des inégalités en santé. S’attaquer à ces inégalités est essentiel mais ne prend de sens que si l’action cible aussi les facteurs qui les déterminent. La santé mentale prend une place importante dans les demandes et besoins de la population et nécessite un type particulier de prise en charge. La volonté de permettre aux personnes atteintes de trouble psychiatriques d’être accompagnées en ambulatoire et d’être moins hospitalisées a été concrétisée par des projets pilotes lancés en 2010. C’est un processus important qui s’enclenche mais il s’agira de ne pas le laisser se dévoyer. La santé est aussi liée à l’environnement de vie et de travail. Comment ces facteurs seront- ils pris en compte par le premier échelon de soins, tant au plan préventif que curatif ? Ces enjeux confirment l’importance de la prévention et surtout de la promotion de la santé reconnue comme une stratégie à diffuser en ce qu’elle autonomise les populations vis- à-vis de leur situation de santé et les amène à trouver les réponses adéquates avec le soutien des professionnels de santé. Les activités de promotion de la santé font partie intégrante des soins primaires et demandent des ressources en temps et personnel. Un travail de recherche doit se perpétuer visant une plus grande intégration entre biomédecine, soins curatifs, prévention et promotion de la santé. Donner plus d’importance à la première ligne de soins, on en parle, on en parle beaucoup, on en parle souvent. Mais peut-on aujourd’hui observer les prémices d’un virage ambulatoire en Belgique ? Quelles fonctions seraient à prévoir pour le rendre effectif ? Certains professionnels sont en pénurie aujourd’hui, notamment, les médecins généralistes et les infirmières. Quelles solutions à cette situation ? Comment réorienter le partage des tâches ? Vers qui ? En faveur de quelle qualité des soins ? Des fonctions sont à remplir, qui servent à la qualité du service mais ne s’adressent pas directement à la population : fonctions administratives, d’appui, de coordination… Ces fonctions sont de plus en plus souvent remplies par des professionnels spécifiques. N’est-il pas temps de leur reconnaître une place véritable comme acteurs du premier échelon ? Qui sont-ils ? Quelles fonctions remplissent-ils ?Et pour la suite ?
La suite appartiendra aux politiques et à tous les acteurs qui contribuent à l’organisation de notre système de santé. Quant aux maisons médicales, ce sera pour elles l’occasion de questionner la composition de leurs propres équipes : ne faut-il pas prévoir le développement plus systématique de certaines fonctions ? Revoir le partage des fonctions entre les professionnels existants, prévoir de nouvelles professions et /ou expertises ? Améliorer encore l’interdisciplinarité pour un partage plus grand des tâches entre professionnels au service des patients ? Adapter la composition au contexte local ? Et quel impact cela a-t-il sur la taille de nos équipes et sur nos modes de fonctionnement ?Documents joints
Cet article est paru dans la revue:
Santé conjuguée, n° 55 - janvier 2011
Une étude sur les métiers de demain au premier échelon en Belgique : pourquoi et comment ?
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