People’s Health Movement – le Mouvement populaire pour la santé (MPS) – est présent dans quelque 80 pays. C’est un réseau international regroupant des militants de base de la santé, des organisations de la société civile et des universitaires du monde entier, en particulier des pays à faibles et moyens revenus.
Ce mouvement a démarré en 2000 lors de la première Assemblée populaire pour la santé, qui réunissait des militants, des universitaires et des professionnels préoccupés par les inégalités croissantes, la pauvreté et la mauvaise santé liées aux crises sanitaires mondiales provoquées par les réformes économiques. C’est un réseau de réseaux, d’organisations et de particuliers dont certains programmes sont organisés au niveau central : -Global Health Watch1, un rapport triennal alternatif au rapport sur la santé dans le monde de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) ; -l’Université internationale pour la santé des peuples2, qui organise et fournit des ressources d’apprentissage en partageant et planifiant des opportunités pour les militants ; -WHO Watch, qui porte la voix de la société civile progressiste dans les organes de décision de l’OMS et vise à démocratiser sa gouvernance ; -la Campagne « Santé pour tous et toutes », qui lie les actions locales dans le domaine de la santé à la solidarité et à la construction d’un mouvement à l’échelle internationale. Le MPS est unique car il existe et fonctionne du niveau local au niveau mondial. Il y a à chaque niveau une notion d’appropriation et d’autonomie. En tant que mouvement, il ne repose pas sur des structures rigides mais sur un large ensemble de cercles nationaux, de MPS régionaux, ainsi que d’organisations et de réseaux affiliés. La structure de gouvernance est composée d’un comité de pilotage international, d’une commission de coordination, d’un conseil consultatif et d’un secrétariat international. Le MPS international n’est pas une « personne morale » ; il ne reçoit pas de subsides et ne conclut pas de contrats lui-même directement. Depuis sa constitution en 2000, il est soutenu par des ONG membres situées pour la plupart d’entre elles dans le pays où le secrétariat international est installé (actuellement au Cap et à Delhi). Le travail de base du MPS est celui de ses parties constituantes, en particulier les cercles ou groupes nationaux et les réseaux internationaux. En tant que réseau, il fournit des canaux et des possibilités de communication qui relient les membres du mouvement. Le MPS international soutient également l’élaboration de documents de position et les campagnes sur des sujets qui ont trait aux programmes de politique mondiale. De nombreuses publications, communications et déclarations découlent de ce type de coordination politique.Histoire Le Mouvement populaire pour la santé (MPS) a vu le jour dans la foulée de l’Assemblée populaire pour la santé (People’s Health Assembly, PHA) qui s’est tenue en décembre 2000 au Bangladesh en référence à l’Assemblée mondiale de la santé, qui réunit à Genève les ministres de la Santé constituant l’organe directeur de l’OMS. PHA 2000 a été convoquée par huit réseaux mondiaux issus de la société civile inquiets que le mot d’ordre « La santé pour tous d’ici l’an 2000 » ne s’était pas concrétisé et que l’OMS en particulier (qui en avait fait son cheval de bataille au cours des années 80 et 90) s’était éloignée de sa stratégie de soins de santé primaires pour atteindre l’objectif de la « Santé pour tous ». PHA 2000 a rassemblé 1 500 participants de 92 pays durant cinq jours. Discours officiels, ateliers, programmes culturels, expositions et témoignages s’y sont succédé. Le programme a passé en revue les grandes expériences en matière de soins de santé primaires depuis Alma-Ata, examiné l’impact de l’ajustement structurel et des politiques de la Banque mondiale sur la santé, analysé un large éventail de déterminants sociaux de la santé et présenté les expériences du vaste mouvement social pour la santé qui se déploie à travers le monde. PHA 2000 a adopté la Charte populaire pour la santé, qui a décrit la situation mondiale de la santé, déterminé les principales barrières de la « Santé pour tous », et adopté un ensemble de principes, de priorités et de stratégies visant à projeter le mouvement social populaire pour la santé à l’échelle mondiale. Au fil des ans, cette charte (traduite une quarantaine de langues) est devenue un puissant document de leadership. La deuxième Assemblée populaire pour la santé (PHA2) a eu lieu en juillet 2005 à Cuenca (Équateur) et a accueilli 1 492 participants issus de 80 pays. Elle a été organisée autour de neuf courants : les questions relatives à l’égalité et aux soins de santé populaires ; les rencontres interculturelles sur la santé ; le commerce et la santé ; la santé et l’environnement ; le genre, les femmes et la réforme du secteur de la santé ; la formation et la communication ; le droit à la « Santé pour tous » dans une société inclusive ; la santé aux mains de la population ; les affaires liées au MPS. La troisième Assemblée populaire pour la santé (PHA3) s’est tenue au Cap (Afrique du Sud) en 2012 devant 800 personnes venues de 90 pays. Elle a mis à l’honneur l’essor du Mouvement, notamment le développement de nouveaux cercles nationaux en Afrique. PHA3 a souligné la nécessité de mettre en place un mouvement social élargi et plus efficace et s’est engagée (l’ « Appel à l’action du Cap »3) à constituer des alliances avec d’autres aspirants à un changement progressif et profond, dont les mouvements de travailleurs du secteur formel et informel de la santé, les populations sans terre, les populations indigènes, les femmes et les jeunes, les personnes qui se mobilisent contre les grands barrages, les centrales nucléaires, les exploitations minières et les conditions de travail dangereuses, etc. L’Appel à l’action engage également, et entre autres, le MPS à communiquer plus largement ses visions, analyses et discours alternatifs, et à continuer de fournir et de faciliter le partage d’informations sur le contexte international et les expériences nationales.
Que défend le MPS ?
Au Cap en 2012, quatre messages brefs et précis ont été avancés pour définir les engagements du MPS : -une vie en toute sécurité : associer l’agenda de la sécurité à l’emploi, à la protection sociale, à l’environnement et à notre liberté ; -l’égalité des chances : un régime fiscal équitable combiné à une augmentation des dépenses sociales peut aplanir les profondes disparités sociales ; -une planète habitable : l’écologie de la planète orientera la politique radicale du futur ; -une gouvernance correcte : la gouvernance (l’espace dans lequel les États, les marchés et la société civile tentent de gérer les crises de la modernité capitaliste) traite de la question des droits sociaux et de la participation politique pour décider à quoi les investissements publics doivent être consacrés. La population peut se mobiliser un certain temps sous le coup de la colère mais, pour aider les mouvements organisés susceptibles d’aller plus loin, il faut une vision plus large et plus inclusive de la manière dont nous pourrions vivre. La Charte populaire pour la santé constitue une autre déclaration d’intention ; elle pousse les militants à viser l’égalité, un développement écologiquement durable et la paix : « un monde dans lequel une vie saine pour tous peut devenir une réalité ; un monde qui respecte, apprécie et célèbre toute la vie et la diversité : un monde qui permet l’épanouissement des talents et aptitudes des personnes pour s’enrichir mutuellement ; un monde où les voix des gens guident les décisions qui forgent nos vies »4. Les ressources sont plus que suffisantes pour y arriver. Un autre défi doit aussi être relevé : revaloriser le rôle de l’État dans ses fonctions de réglementation et de redistribution, un État qui fournit les biens et services indispensables à la santé publique. Si l’on veut s’engager dans cette tâche, il faut réinvestir l’espace public. Le monde ne traverse pas une crise fiscale, la crise est due à une taxation inadéquate des riches et au pouvoir incontrôlé du capital des entreprises. Nous ne vivons pas dans des conditions de précarité, nous vivons dans des conditions d’inégalité. Les voix de l’opposition à la mondialisation néolibérale doivent gagner en force et en intensité, soutenues à la fois par des données fiables et par l’éthique.Le MPS en Europe
Depuis 2012, la présence du MPS en Europe s’est élargie. Auparavant, les ONG européennes et les réseaux affiliés au MPS international étaient principalement actifs dans la coopération internationale au développement et moins dans leur pays d’origine. Depuis 2008, la crise financière a accru l’inquiétude des militants, en raison de la détérioration des droits de l’homme dans de nombreux pays. Les mesures d’austérité ont aggravé la situation, et la Grèce est une parfaite illustration de leur rôle dans l’ampleur de l’impact social et sanitaire de la crise économique5. Une vague de protestations contre la réduction des dépenses publiques en matière de santé a marqué les années 2012-2014 et a débouché sur un mouvement de consolidation à l’échelle européenne6. Le MPS Europe est présent dans quinze États. Il existe des sections locales comme au Royaume-Uni et en Belgique tandis que, dans d’autres pays comme l’Espagne et la Grèce, le mouvement est surtout représenté par des organisations ou des contacts individuels, souvent engagés dans des mouvements locaux. Tous les membres sont bénévoles, bien que certains soient en partie soutenus par leur organisation. Ils communiquent principalement via internet et lors de rencontres en face-à-face (comme à Istanbul les 24 et 25 juin 2017). Le MPS est aussi présent sur Facebook et sur Twitter. Ces derniers temps, le MPS Europe s’est plus particulièrement consacré à une campagne contre la commercialisation et la privatisation de la santé. Depuis deux ans (en collaboration avec le Réseau européen contre la commercialisation de la santé), il anime une protestation internationale le 7 avril, lors de la Journée mondiale de la santé, pour demander aux gouvernements de restaurer et de protéger les services publics, plus efficaces en termes d’égalité et de résultats sanitaires et moins onéreux. Cette année, la protestation a eu une résonance mondiale, avec des actions dans 87 villes.La société civile, le moteur du changement
Ces vingt dernières années, la société civile d’intérêt public a joué un rôle de plus en plus important en influant sur les politiques, un rôle renforcé par le développement de réseaux et de campagnes au niveau mondial. Parmi les succès majeurs figurent l’amélioration des mécanismes de réduction de la dette des pays à faibles revenus, le blocage de l’Accord multilatéral sur l’investissement (AMI), la Déclaration ministérielle de Doha sur l’accès aux médicaments essentiels et le blocage des accords de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) lors des réunions ministérielles à Seattle et Cancún. La récente campagne internationale visant à bloquer les nouveaux accords de libre-échange, comme le TTIP (Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement), a remporté des batailles significatives, notamment celle de l’augmentation de la transparence dans les négociations. Même si ces succès n’ont fait que limiter les dégâts, cette société civile doit incarner le moteur du changement. Une des priorités pour le militantisme de la société civile, c’est la réforme démocratique de la gouvernance économique mondiale. Les dispositions actuelles sont à la fois la cause principale de l’échec du système économique mondial et le plus grand obstacle à surmonter. La liste des changements nécessaires doit inclure une réforme significative et une meilleure réglementation du système financier global, le rejet des mesures d’austérité, la mise en place d’un système d’imposition beaucoup plus progressif, l’abolition des paradis fiscaux, le soutien à un régime fiscal mondial, la remise en question de l’indispensabilité du modèle de croissance actuel et la réappropriation de l’espace public en vue d’une participation effective de la population. À moins et jusqu’à ce que les structures de gouvernance mondiales opèrent un changement radical, les efforts de la société civile dans d’autres matières seront inévitablement limités au contrôle des dégâts et leur réussite ne sera que partielle. S’attaquer aux déterminants (politiques et économiques) sous-jacents mondiaux de la santé et de l’injustice peut sembler impossible. Le capitalisme (néolibéral ou autre) s’est montré incroyablement résistant aux crises. Mais les militants de la santé ont plusieurs moyens d’action à leur disposition pour relever le défi : 1. Reconnaître que le secteur de la santé n’est pas le seul à prétendre à un monde juste et durable. Les mouvements paysans, les organisations syndicales, les groupes environnementaux, les associations féministes et bien d’autres critiquent les inégalités prédatrices de la mondialisation néolibérale et font pression sur leurs gouvernements pour qu’ils conduisent des réformes. 2. La mondialisation – et en particulier ses divers accords contraignants en matière de commerce et d’investissement – a limité les capacités des gouvernements à gérer les ressources à des fins socialement utiles. Les gouvernements nationaux peuvent pourtant repousser ces accords, prouver qu’ils sont capables d’un langage plus ferme et juridiquement contraignant pour protéger leurs droits à mettre en place les réglementations qu’ils jugent nécessaires pour préserver la santé, l’environnement et les autres secteurs publics. In fine, ce sont eux les responsables de la tournure que prend la mondialisation ; ils sont la première cible des défenseurs de la santé déterminés à assurer un avenir sain, équitable et économiquement durable. 3. La plupart des pays comptent des acteurs sociaux engagés dans une certaine forme de défense des déterminants de la santé liés à la mondialisation. Ce travail peut porter sur l’amélioration et la réaffirmation des droits du travail, sur l’extension de la couverture sociale, l’augmentation et l’amélioration de l’équité fiscale nationale pour le financement des biens publics, la garantie de l’accès à des soins de santé de qualité sans barrières financières, le renforcement de l’égalité des droits entre les sexes et des droits des groupes marginalisés ou discriminés, la protection de l’environnement et la réduction de la dépendance aux combustibles fossiles, etc. Ces groupes doivent continuer à « agir localement », mais ils doivent aussi s’associer progressivement à leurs homologues internationaux pour « défendre globalement », sans se limiter à « penser globalement ».Documents joints
- www.ghwatch.org.
- www.iphu.org/fr.
- Appel à l’Action du Cap, Troisième Assemblée populaire pour la santé, 2012. http://www.phmovement.org/fr/node/6539
- Charte populaire pour la santé, Première Assemblée populaire pour la santé, 2000. http://www.phmovement.org/fr/resources/ charters/peopleshealth.
- Politiques fiscales en Europe dans le sillage de la crise économique, Global Health Watch 4, Zed Books 2014. http://www. ghwatch.org/node/45484.
- Luttes pour la santé en Europe, Global Health Watch 4, Zed Books 2014. http://www.ghwatch.org/node/45484.
Cet article est paru dans la revue:
Santé conjuguée, n° 79 - juin 2017
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