Un centre de santé communautaire en milieu rural dans une région de Roumanie
Farkas-Pall Zsuzsanna
Santé conjuguée n° 56 - avril 2011
En Roumanie, l’implantation d’un centre de santé dans un milieu rural déshérité a non seulement permis une accessibilité géographique aux soins mais a aussi ouvert la voie à un changement du rapport à la santé.
Notre centre de santé est situé dans la région du nord-ouest de la Roumanie. Il délivre des services pour une communauté rurale multiethnique, composée de Hongrois, de Roumains et de Roms, vivant dans trois villages proches les uns des autres. Sur 3.000 habitants, 2.300 sont abonnés au centre de santé. Parmi ces usagers, à peu près 300 ne bénéficient d’aucune couverture d’assurance.En Roumanie, sont assurés tous les enfants de moins de 18 ans, les personnes de moins de 26 ans qui sont encore scolarisées ou en apprentissage, les salariés et indépendants qui paient eux-mêmes leur assurance, les retraités, les invalides et les conjoints sans revenus. Les non-assurés ne contribuent pas aux fonds d’allocations maladie, ils n’ont accès qu’à un service de santé minimum et ne bénéficient pas de remboursements préférentiels pour certaines prescriptions.Un milieu rural déshérité
Le chômage est assez élevé, et le taux de non-assurés au système de santé avoisine les 15 %. Le réseau social est globalement fort fragile et le centre de santé primaire est l’un des seuls lieux réellement accessibles pour la population. Le service d’urgence de seconde ligne le plus proche est situé dans un hôpital distant de 25 à 30 km. L’espérance de vie est en moyenne de 71,88 années (68,74 pour les hommes, 75,01 pour les femmes). Le mode de vie traditionnel donne des résultats médiocres en termes de santé, le régime alimentaire est très riche en sel ainsi qu’en graisses saturées. D’après les statistiques des autorités publiques, les pathologies cardiovasculaires sont la principale cause de morbidité et de mortalité. Une grande partie de la population Rom n’est pas assurée et vit dans une grande pauvreté. Leurs faibles revenus proviennent en grande partie des rentrées des allocations des enfants, de quelques avantages sociaux et du travail agricole saisonnier. Leur perception du système de santé est confuse et influencée par ce qu’ils expérimentent des quelques soins de deuxième ligne qu’ils peuvent recevoir. Ils sont réticents à toute démarche de prévention et aussi très tracassés par des problèmes de santé sans diagnostic précis. Des agents de santé communautaires (médiateurs au sein de la communauté) pourraient aider à changer ces usages et à les impliquer dans des programmes locaux de prévention. Les indicateurs de santé en milieu rural sont grevés d’une forte morbidité sous l’influence péjorative des déterminants sociaux de santé, d’une moins bonne éducation, de soins de santé moins structurés et d’un accès limité à la médecine préventive. Le déficit de promotion à la santé et de programmes de prévention fait des ravages. On s’aperçoit à la lecture des analyses de facteurs cardiovasculaires qu’ils sont très élevés même dans les tranches d’âges plus jeunes. Ceci est le fait d’exposition à des facteurs de risque sans doute modifiables. Ces patients relativement jeunes ne font appel au système de santé que pour les soins à proprement parler, quasiment pas pour l’offre préventive.Facteurs de changement
L’équipe locale de médecine de famille joue un rôle clé dans la continuité des soins et dans la coordination des différentes activités, et ce en lien étroit avec la communauté. Notre équipe est composée de deux médecins généralistes, deux infirmières et un gestionnaire. Nous avons une aide importante des autorités locales avec lesquelles nous coopérons. La mise en place de dossiers électroniques et d’un agenda adapté à notre fonctionnement a fortement amélioré l’efficience de nos activités. Notre initiative est un projet né d’une collaboration entre des soignants de première ligne, des organisations non gouvernementales et la faculté de médecine de l’université d’Oradea qui est implantée dans une zone rurale. Une des questions que nous nous posions était de savoir si un service local de santé, avec une diminution des distances à parcourir pour les patients allait améliorer la santé de la population et encourager leur participation. En travaillant de façon étroite avec des habitants de ces villages, nous avons constaté des besoins spécifiques directement liés à des déterminants sociaux de la santé, en particulier les difficultés d’accès à une information convenable et à des services de santé de bon niveau et suffisamment diversifiés. Après avoir fait une étude au niveau local pour avoir catégorisé quelques déterminants de santé : l’accès aux soins (10 %), la génétique (20 %), les facteurs environnementaux (20 %), les facteurs comportementaux (50 %), nous avons décidé de nous investir dans des actions communautaires qui mettent l’accent sur l’éducation des patients ainsi que sur la prévention des maladies. Nous espérons influencer positivement les patients vers l’accès aux soins et diminuer les risques comportementaux. Nous avons abordé les déterminants sociaux de la santé à différents niveaux, celui des ressources locales, celui de la promotion à la santé et des programmes d’éducation, mais aussi dans les cours de médecine destinés aux futurs médecins de famille ruraux. Pendant plusieurs années, nous avons développé des services de santé intégrés et diversifiés, incluant des programmes d’éducation à destination de certains groupes cibles dans la communauté, des programmes de prévention et des campagnes de dépistage au départ du centre de santé. Parallèlement, nous avons mené des études pour montrer le bénéfice de ces activités. L’objectif est de démontrer le besoin de changement auprès des autorités nationales. Les résultats finaux de nos études ont prouvé une meilleure qualité de la santé de la population lorsque celle-ci reçoit une éducation sanitaire supérieure avec une promotion à la santé efficace. Tout ceci avec une réduction globale des coûts. Il faut en outre un réel partenariat avec la population pour obtenir une réduction des inégalités en santé. Notre approche de services de santé primaire communautaire a permis d’améliorer les relations entre notre équipe et la population locale : grâce à la confiance, le seuil acceptable pour un contact a fortement diminué et le centre de santé a pris une vraie dimension communautaire. D’autre part les liens avec les autorités locales s’en sont vus améliorés. Nous devons continuer de développer et promouvoir notre travail d’équipe multidisciplinaire dans cette zone rurale et notamment la promotion de soins de santé intégrés au départ de la communauté. Les cours que nous organisons pour les étudiants les familiarisent avec les aspects conceptuels d’une médecine pratiquée sur un mode rural. Cet aspect très important devrait être développé entre autres pour faire face à la pénurie grandissante qui s’installe dans les pratiques rurales de soins de santé. Les étudiants en fin d’études sont tout à fait partie prenante et très actifs dans des centres de soins de santé primaires ruraux pour autant qu’on leur en donne la possibilité et qu’on les incite à s’y investir. Notre but est d’agir de façon très locale, avec les ressources du terrain et utiliser les résultats de tout ce travail à des niveaux plus élevés. Notre expérience d’offre locale de soins, notamment des services intégrés dans des communautés rurales aboutit à des indicateurs de meilleure santé dans une population plus responsable. Des services de santé de base comme des échographies, des électrocardiogrammes, des aérosols, des tests sanguins et des campagnes de dépistage dans la population doivent être délivrés de façon locale dans des services fiables. Quelques notions clé peuvent résumer notre projet : le modèle est viable et durable grâce à son ancrage local et au fait qu’il s’agit d’un partenariat étroit entre différents acteurs de la communauté, de façon professionnelle avec un équipement ainsi qu’une gestion des ressources à la hauteur. En augmentant l’accès à des soins de santé de qualité, durables et sérieux, ainsi que la promotion à la santé, nous aurons des populations plus responsables et en meilleure santé. En outre, il y aura une diminution des besoins de soins de seconde ligne avec une utilisation plus efficiente des ressources existantes. D’une meilleure éducation découlera une population plus consciente et responsable de sa santé. Des soins primaires armés des bons outils et équipés du savoir qu’ils méritent permettront d’avoir des services de meilleure qualité à un coût moindre. En augmentant la prise de conscience et en augmentant l’intérêt pour le monde rural dans les rangs des futurs professionnels, cela permettra de diminuer le fossé qui existe pour le recrutement de forces de travail pour les zones à plus faible densité de population.Documents joints
Cet article est paru dans la revue:
Santé conjuguée, n° 56 - avril 2011
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