Adolescence, qui es-tu ? Un temps suspendu entre l’enfance et l’âge adulte ? Une transformation physique et psychique ? Une zone abyssale faite de questionnements fondamentaux, d’angoisse de séparation avec les parents et les adultes ? Un enjeu crucial sur le regard des autres, sur la question du désir et de l’éveil à la génitalité ? Un no man’s land entre fantasmes et réalité ?
Une certitude : tu es incontrôlable, incontournable, tu remets en question notre place au sein de la famille et nos liens sociaux, nous amenant à prendre des risques, à tester les limites, à explorer l’inconnu, à vouloir désirer, aimer et contrôler. Tu peux tout autant être un problème ou une chance, alors comment te contenir ? C’est aussi dans le champ de l’exploration et de l’éveil à la sexualité que les questions des ados vont naitre. Pour certains, les réponses vont se trouver au sein de la famille, dans la fratrie, chez les amis et les amies avec parfois le risque ou le piège d’être mal informés. Pour d’autres, ce sont les sites internet, les forums ou la pornographie qui servent d’experts en matière de sexualité, d’infections sexuellement transmissibles (IST), de contraception ou de sentiment amoureux.
Qu’est-ce que l’EVRAS ?
Depuis de nombreuses années, le champ scolaire est devenu le lieu privilégié d’accès à l’EVRAS : l’éducation (ou l’éveil) à la vie relationnelle, affective et sexuelle. « Une démarche d’EVRAS se fonde toujours sur le respect, la tolérance, l’accueil des différences et l’ouverture à l’autre. Elle vise à apporter une information fiable, impartiale et exhaustive et à participer au développement de l’esprit critique afin d’aider les jeunes à construire leur identité, assurer leur bien-être et à prendre des décisions éclairées. »1 La dimension relationnelle, affective et sexuelle est capitale et essentielle et les questions qui s’y apparentent vont nous traverser à chaque stade de notre existence. Notre santé ne se limite pas à une question biologique ou mentale ; notre santé sexuelle, qui englobe les deux pôles (physiologique et mental) est définie par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) comme « un état de bien-être physique, mental et social dans le domaine de la sexualité »2. Toujours selon l’OMS, l’accès à l’EVRAS est un droit et un espace de réflexion et de transmission de la protection des droits sexuels et reproductifs avec un objectif clair : une vie affective et sexuelle épanouie dans une société égalitaire. La mise en œuvre de l’EVRAS en milieu scolaire ou autre vise à3 : -Promouvoir le libre-choix, le respect, la responsabilité envers l’autre et soi-même et l’égalité dans les relations amoureuses et les pratiques sexuelles des jeunes. -Permettre aux enfants et aux jeunes de construire, parallèlement à leur développement psychoaffectif, des compétences personnelles en vue de leur permettre de poser des choix responsables. -Prévenir la violence dans les relations amoureuses, et sur un plan plus général, dans les relations entre personnes de genre féminin et masculin. -Déconstruire les stéréotypes sexistes, homophobes et transphobes. -Prévenir les grossesses non planifiées, non désirées. -Réduire les risques d’infections sexuellement transmissibles, notamment par l’information sur les moyens de protection. L’EVRAS consacre donc aussi l’importance d’élargir le cadre de l’éducation sexuelle pour inclure les aspects sociaux, relationnels et familiaux, dans la droite ligne des recommandations de l’UNESCO, l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture. L’ado explore son corps en se masturbant (parfois avec culpabilité et angoisse selon la culture ou la religion), ce qui lui amène une nouvelle vision de ce corps et de son intimité sexuelle. Tout cela lui accorde un nouveau statut : celui d’être humain sexué, modifiant par là même ses relations sociales avec ses pairs et avec sa famille. C’est à l’adolescence que l’individu va expérimenter sa liberté d’être, d’agir et de jouir de son propre corps. C’est en tout état de cause une période faite d’essais/erreurs, d’essais/réussites, de découvertes et d’explorations dans divers domaines. L’individu commence à vivre une période de différenciation avec ses parents, tout en se sentant parfois vulnérable, empreint de désarroi, d’angoisse, de dépression, se laissant aller à des conduites à risque ou à des tentatives de suicide. L’adolescent ne réalise pas toujours vraiment qu’il se met en danger, d’autant plus lorsque les conduites à risque procurent du plaisir, de la jouissance ou des sentiments de surpuissance. Ces conduites à risque se retrouvent bien entendu aussi dans le champ de la sexualité. La pertinence d’animations EVRAS pour les adolescents n’est donc ici pas à prouver. Permettre aux ados d’être bien informés, d’avoir des espaces de paroles pour débattre, pour se questionner, pour échanger des expériences, est le chemin le plus approprié vers une autonomie en matière de vie sociale, affective et sexuelle. Même s’ils sont maintenant rejoints par une multitude d’autres professionnels de prévention, les acteurs principaux en la matière restent les centres de planning familial. « La première raison est d’ordre historique : quand les centres de planning familial ont commencé à proposer des animations, ils se sont d’abord tournés vers le milieu scolaire. Il s’agissait alors de libérer la sexualité de la crainte des grossesses non désirées, d’informer les jeunes quant aux méthodes contraceptives modernes (la pilule est encore une relative nouveauté à ce moment). »4 Depuis plus de quarante ans, ils agissent et militent pour une égalité entre les femmes et les hommes, dans le champ de la santé sexuelle et reproductive, dans l’objectif de permettre une sexualité épanouie pour toutes et tous. C’est notamment l’EVRAS qui permet d’aborder les IST, la contraception, le consentement, l’intimité, l’orientation sexuelle, l’identité de genre, le plaisir sexuel, les mariages forcés, le harcèlement, la pornographie et aussi l’accès à l’interruption volontaire de grossesse (IVG).
Comment parler de sexualité ?
Selon une étude de 20175, l’âge moyen du premier rapport sexuel est dix-sept ans. Mais qu’entend-on exactement par « rapport sexuel » ? Un rapport incluant une pénétration hétérosexuelle ? Il serait plus juste de parler de « moment sexuel » pour établir une estimation de la première expérience en matière de sexualité. « Un rapport sexuel, c’est la découverte de ton corps et celui de ta-ton partenaire, c’est l’occasion de partager un moment intime avec la personne de ton choix et dans le respect du consentement de chacun.e. En effet, le désir sexuel varie d’une personne à l’autre et il est possible que le désir sexuel de chacun.e ne correspondent pas. »6 Entre dix et dix-sept ans, il semble que ce soit la question de la norme, ou normalité, qui tourmente les ados, d’autant plus s’ils découvrent une attirance pour un ou une autre du même genre, voire s’ils ou elles ressentent une autre identité de genre. Ce sentiment de « différence » peut alors être vécu comme une souffrance avec de la honte, un sentiment de rejet, un vécu de harcèlement. Parler de cela dès l’âge de dix ou onze, avec un langage clair et en employant le plus tôt possible les bons mots sur l’apparition des premiers poils pubiens, l’arrivée des règles, la naissance du désir, les corps mâles et les corps femelles, le pénis, la vulve, le vagin, participe à la construction d’une bonne estime de soi. Parler de puberté, de sexualité et de genre permet de diminuer les interrogations et les angoisses liées à ce passage de l’adolescence à l’âge adulte. Certains adultes ont des idées préconçues sur le moment idéal pour parler de sexualité aux enfants ou aux adolescents. En parler serait comme donner un feu vert, une autorisation ou une incitation à passer à l’acte sexuel. Les professionnels de l’EVRAS pensent tout le contraire. Plus tôt nous abordons la question de la sexualité avec les enfants, plus aisé et plus fluide sera le dialogue au moment où le jeune en aura besoin.
Internet, réseaux sociaux, marchandisation de la sexualité
Nombre d’adolescents pensent tout connaitre en matière de sexualité. Dans notre réalité de terrain, nous sommes confrontés à tout le contraire. Les adolescents d’aujourd’hui n’entrent pas plus tôt dans la sexualité que la génération de leurs parents. En revanche, avec l’affaiblissement du tabou de la relation sexuelle, ils affichent sans complexe leur sexualité, y compris grâce à de nouveaux supports offerts par internet, les réseaux sociaux comme Instagram, TikTok, Snapchat. La conception de la vie affective et sexuelle demeure toutefois différente selon qu’on est un garçon ou une fille, hétéro, homo, bisexuel, transgenre. Dans notre société d’hyperconsommation, la sexualité n’échappe pas à la règle de la marchandisation. Elle est partout, dans la rue, les publicités, les émissions de télé, les films et les séries, nous invitant à cultiver l’attirance sexuelle avant tout. La compétition des likes sur les réseaux sociaux semble fondée presque essentiellement sur l’apparence physique. Comment les jeunes peuvent-ils s’y retrouver dans ces nouveaux rapports amoureux sans être parfois inquiets ou perturbés ? La notion du consentement est rarement abordée sur le net et pourtant elle nous semble la base d’un vécu épanouissant de la sexualité. Nous veillons toujours à l’intégrer dans nos animations, dès le plus jeune âge. Le consentement s’applique aussi dans l’utilisation des réseaux sociaux. Cette utilisation n’est pas sans danger avec de nouvelles formes d’exploitation des images personnelles (menaces de diffusion de vidéos et de photos pouvant compromettre, des diffusions à caractère sexuel sur les sites de rencontres). Ce consentement est également à soutenir avec l’accès de plus en plus précoce à la pornographie. Celle-ci peut entraîner une vision erronée de la sexualité entre les personnes puisque souvent elle arbore et véhicule des pratiques stéréotypées, violentes, sans parler de l’exploitation des êtres humains. Sur des sites de rencontres de type Tinder, les rencontres sont faciles, elles sont presque toujours éphémères, parfois le temps d’un moment sexuel. Ce n’est cependant pas en stigmatisant ces pratiques, mais en insufflant cette prise de conscience du consentement que nous pourrons créer un lien de confiance, de respect et un esprit critique éclairé envers cette émergence de la sexualité dans le quotidien des ados.
Pas un cours d’éducation sexuelle !
Les acteurs scolaires (direction, équipe éducative, centre psycho-médico-social, service de promotion de la santé à l’école) sont responsables de l’élaboration et de la mise en œuvre d’activités EVRAS à l’école. Ils ont l’obligation de prendre des initiatives en la matière, dans le cadre de leur autonomie. Ils font souvent appel à des intervenants externes, notamment les centres de planning familial ou des associations de prévention, qui inscrivent leurs interventions dans le cadre du projet de l’établissement scolaire, si possible en adéquation avec le projet du centre PMS et du service PSE, s’il en existe un. Ce sont « des professionnels capables de prendre distance par rapport à leurs propres représentations, valeurs et croyances, et d’aider les jeunes à se mettre en mouvement autour de questions fondamentales et jamais résolues : Qui suis-je ? Qu’est-ce que j’aime ? Qui est cet autre pour moi ? De quoi ai-je envie ? Comment le vivre ? […] Les animations de groupe en EVRAS doivent permettre aux jeunes de prendre une part active aux débats ; elles ouvrent sur leurs préoccupations (l’animateur travaille à partir de leurs questions, de leurs réactions), elles les accompagnent dans un cheminement et les aident à intégrer véritablement les informations échangées. Ce processus vise aussi à éviter un écueil, celui d’aborder la sexualité essentiellement sous l’angle du “danger”. Les échanges offrent la possibilité d’en parler en termes de plaisir, d’alimenter l’estime de soi, d’éveiller les ressources intellectuelles et affectives de chacun. »7 Chère Adolescence, l’EVRAS est un ami qui te veut du bien… à condition que tu le laisses accéder à toi, au-delà de tes croyances et de ta culture.
Documents joints
Cet article est paru dans la revue:
Santé conjuguée, n°95 - juin 2021
Introduction
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