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Rêves de santé – NATACHA CARRION – « Le projet de la maison médicale, c’était le rêve devant ma porte »


Santé conjuguée n°98 - mars 2022

Médecin généraliste durant une trentaine d’années à la maison médicale Bautista van Schowen à Seraing, elle a avant cela exercé son métier au Chili, jusqu’à ce que l’arrivée du général Pinochet bouleverse sa vie… Elle raconte les débuts du mouvement des maisons médicales en Belgique et le contexte dans lequel est née la Fédération au début des années 1980.

Au moment du coup d’État, le régime a décidé que nous étions des indésirables, des terroristes. J’ai été en prison pendant deux ans. Mon mari a disparu, certainement assassiné. Moi j’ai été sauvée de justesse. On m’a mise dans un avion, destination la Belgique, que mon père avait choisie comme pays d’accueil. On m’a dit : « Liège, c’est la province la plus rouge de Belgique. Et Seraing, c’est la ville la plus rouge de Liège ! » C’est une ville où il y a beaucoup d’immigrés, des immigrés arrivés par couches successives. Il y a eu des Polonais, des Espagnols, des Italiens. Et après des Marocains, des Algériens, ensuite des Tchétchènes… C’est une population très variée. Ils m’ont appris ce qui s’était passé en Espagne, et en Italie avec Mussolini… Ce sont des gens qui étaient très engagés politiquement, avec une conscience politique énorme. Tous savaient qui était Allende et ce qui s’était passé au Chili. C’était très émouvant. La maison médicale m’a contactée et on m’a demandé si j’étais intéressée d’y travailler. Ça correspondait presque parfaitement à ce que mon compagnon de l’époque et moi nous pensions, on parlait beaucoup d’autogestion. Le projet de la maison médicale, c’était le rêve devant ma porte.

Durant l’hiver 1979, la majorité des médecins étaient en grève. Les travailleurs des maisons médicales qui ne partageaient pas les revendications des grévistes ont décidé d’assurer la continuité des soins à la population. On sentait que quelque chose se jouait. Quelques-uns de mes collègues ont créé une coordination, ils ont été aidés pour cela par les mutualités et les syndicats qui s’opposaient aussi à la grève des médecins. Ils ont compté d’une certaine façon avec ce mouvement pour se faire connaitre des pouvoirs publics qui ignoraient l’existence même de ces groupes qui pratiquaient une solidarité, une médecine proche des gens, qui tenaient compte des désirs des patients, une médecine un peu autre, et qui en plus croyaient que les patients avaient un rôle important. Et je ne sais pas d’où est partie l’idée de réunir tous les gens qui d’une certaine façon avaient travaillé pendant la grève. Ils étaient tous plus ou moins de la même génération, d’universités différentes. Certainement qu’un petit groupe a dû négocier parce qu’ils se sont présentés comme le comité qui organisait l’antigrève. Un groupe s’est fait connaitre du gouvernement et, après, ils se sont dit « pourquoi pas se réunir pour voir ce que l’on peut faire ensemble puisqu’il semblerait que l’on peut un peu influencer les décisions en matière de santé ? »

On a fait cette réunion à La Marlagne. Ce n’était pas une réunion des dirigeants de maisons médicales, c’était une réunion pour tous les gens qui travaillaient en maison médicale. On était très nombreux. Des idéalistes qui croyaient vraiment que la société pouvait changer et que, comme médecin, on avait l’obligation d’une certaine façon de mettre notre grain de sable pour que ça change dans la bonne direction. La bonne direction étant plus de justice sociale, plus d’équité, une société où les hiérarchies s’effacent, où les travailleurs ont leur mot à dire dans les entreprises, etc. On s’était dit « on est plus forts ensemble ». C’était de l’activité militante, pas du bénévolat. On y va pour les idées qui sont portées et parce qu’on a quelque chose à défendre. La Fédération est une fédération dans laquelle chacun de nous s’impliquait presque de façon automatique. Il n’y avait pas un vouloir et un non-vouloir. Comme on s’impliquait dans le travail, on s’impliquait dans chaque projet qui était né dans toutes les maisons médicales. Et la Fédération a été un projet. Dès le début, nous nous sommes demandé comment faire pour savoir si les maisons médicales qui petit à petit adhéraient au mouvement correspondaient au modèle que nous voulions proposer. On pensait qu’il fallait écrire quelque part que pour être membre de la Fédération il fallait remplir un certain nombre de conditions. Il y a des critères obligatoires, par exemple que l’équipe soit multidisciplinaire. On a dit qu’au départ au moins elle devait être constituée de trois professions différentes, donc un médecin et une infirmière au minimum et ensuite, au choix, kinésithérapeute, accueillante… toutes les autres professions qui font partie de ce qu’on appelle la médecine de première ligne. L’autogestion est importante, cela signifie que les travailleurs ont un mot à dire, pas seulement sur leur métier, mais aussi sur la gestion complète de la maison médicale. Ensuite il y a une recherche active, dans les faits, d’une meilleure distribution des revenus : l’égalité salariale, l’idée qui toutes les professions sont nécessaires et qu’une heure d’un médecin vaut autant que l’heure d’une infirmière, d’un kiné, de l’informaticien, de l’accueillante, du comptable parce que c’est une heure de travail. Le rôle de la Fédération par rapport aux équipes, c’est de poser des limites. Les principes doivent servir de guide.

Engagement (politique et social)

Nées dans le sillage de Mai 68, les premières maisons médicales ont des projets politiques et sociaux forts, en liaison d’ailleurs avec d’autres mouvements : syndicats, associations… Nombre de leurs fondateurs ont des opinions politiques marquées à gauche, mais variées (marxisme- léninisme, trotskysme, proudhonisme, anarchisme, etc.). La Fédération s’est efforcée de faire de cet engagement un principe à généraliser à l’ensemble des maisons médicales (même si certaines le jugent parfois secondaire). Un article de ses statuts prévoit dès 1980 que les membres de la Fédération optent en faveur de la réappropriation de la santé par la population et qu’ils doivent s’engager dans les luttes sociales en rapport avec la santé. La Fédération a aussi invité ses travailleurs à témoigner des dysfonctionnements de la société qui ont un impact sur la santé, à interpeller la société, « à s’impliquer dans la lutte pour une société plus juste et plus conviviale » (1996). Depuis 1996, la Fédération publie régulièrement (et notamment lors des élections) des mémorandums et des cahiers de propositions politiques en matière de santé. Ses mandataires sont sensibilisés à la politique, notamment par des formations spécifiques (2007). Par l’action en santé communautaire, les maisons médicales veulent aussi étendre cet engagement politique aux patients. Elles les incitent à se mobiliser de façon concertée par rapport à l’ensemble des politiques publiques. Par ailleurs, la Fédération rédige à l’intention de ses membres des argumentaires politiques (depuis 2010).

Cet article est paru dans la revue:

Santé conjuguée, n°98 - mars 2022

(Re)créer des espaces politiques

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Ligne du temps : De A à Z – Histoire(s) du mouvement des maisons médicales

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Rêves de santé – RI DE RIDDER – « Un système qui n’est pas efficient »

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Rêves de santé – JEAN-MARIE LÉONARD – « Penser la santé autrement »

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Rêves de santé – BRIGITTE MEIRE – « Mutualiser nos forces »

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Rêves de santé – MONIQUE BOULAD – « On nous appelait les petits médecins »

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Rêves de santé – PIERRE DRIELSMA – « Une arme redoutable pour le changement social »

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Rêves de santé – BERNARD VERCRUYSSE – « Le pouvoir est fondamental »

Ce qui nous importait avant tout c’était les réunions de réflexion sur la santé du quartier. J’ai eu beaucoup de chance au début parce qu’il y avait un leader, une personne influente de la communauté turque,(…)

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Rêves de santé – ISABELLE HEYMANS – « Cette transition, on l’a réussie ensemble »

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Rêves de santé – CORALIE LADAVID – « L’éducation permanente, c’est une philosophie »

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Rêves de santé – RUDY PIRARD – « Celui qui connait le mieux sa situation, c’est le patient »

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Rêves de santé – CLARISSE VAN TICHELEN – « Ce n’est pas juste une question d’accès financier »

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Rêves de santé – MICKY FIERENS – « Chaque personne a quelque chose à apprendre aux autres »

Dans les années 1980, les soignants avaient envie d’avoir un retour de ce que les patients ressentaient par rapport à la maison médicale, mais aussi sur la manière dont ils voulaient être soignés et ce qu’était la(…)

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Rêves de santé – HÉLÈNE DISPAS – « Tout ce que l’on fait est politique »

Le bureau stratégique – pour résumer avec un mot que peu de gens aiment –, on dirait qu’on est des lobbyistes au service d’une bonne cause. Évidemment, les lobbyistes pensent toujours que leur cause est la(…)

- Hélène Dispas

Rêves de santé – ISABELLE DECHAMP – « La première ligne de la première ligne »

Au début, l’accueil à la maison médicale avait été organisé par des patientes, qui l’ont fait du mieux qu’elles pouvaient, mais sans tenir compte d’options professionnelles : l’écoute, l’organisation, le planning, l’accueil du patient en tant que(…)

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Rêves de santé – AUDE GARELLY – « Rester puriste ou s’ouvrir »

La Fédération travaillait depuis plusieurs années sur la mise à jour des critères de membre pour coller à la réalité du mouvement et des enjeux de santé publique aujourd’hui. Je suis allée voir des partenaires ou(…)

- Aude Garelly

Rêves de santé – FANNY DUBOIS – « Un système qui gère des maladies plutôt que de prévenir la santé »

Je ne suis pas tout de suite tombée dans le mouvement des maisons médicales. Je suis d’abord passée par la mutualité. Même si j’ai à cœur de toujours garder un lien avec le terrain, de toujours(…)

- Fanny Dubois

Rendez-vous en 2062 !

F.D. : Quand je suis arrivée à la Fédération des maisons médicales, l’une des premières choses que l’organe d’administration m’a dites, c’est que j’avais tendance à survaloriser ce mouvement et que j’en comprendrais vite la complexité. Effectivement !(…)

- Fanny Dubois, Pascale Meunier

Accélération

Ce mal touche de nombreux soignants et tant de nos patients. Nous courons, nous courons et nous avons de moins en moins de temps. Hartmut Rosa, philosophe et sociologue allemand, a consacré un essai à cette(…)

- Dr André Crismer