« Professionnels de la santé, vous avez un rôle important dans la réalisation de nos projets » : une interpellation du Quart Monde
ATD Quart Monde Wallonie-Bruxelles asbl
Santé conjuguée n° 49 - juillet 2009
Ce document s’adresse au monde associatif, aux citoyens, aux professionnels, à tous ceux qui s’engagent pour le respect de la dignité de chacun et agissent pour que les droits fondamentaux soient effectivement assurés à tous. Ce document forme un tout dont chaque élément doit être situé dans son contexte. Ancrée dans la vie, la connaissance bâtie sur l’engagement et l’action est en construction permanente. Le travail présenté a pour premier objectif d’alimenter et de soutenir les engagements des uns et des autres, pour faire progresser les droits de l’Homme et la lutte contre la misère et l’exclusion. Nous avons fait le choix de diffuser largement ce travail non seulement pour faire connaître l’expérience et la pensée des personnes très pauvres (et de ceux qui s’engagent à leurs côtés) mais aussi pour qu’il soutienne et inspire d’autres démarches de connaissance qui renforcent les projets et les combats menés avec eux et à partir d’eux.
Pour produire cette analyse Christiane Baton, Ester Paradis, Carine Vanden Elshout et Emmanuel Vandericken se sont appuyés non seulement sur leur propre expérience vécue de la pauvreté et de l’exclusion sociale, mais aussi sur le travail collectif de plusieurs membres du Mouvement ATD Quart Monde ayant une expérience semblable. Ils n’ont pas seulement rassemblé des éléments appris de leur propre vie, mais aussi ce qu’ils avaient appris d’autres personnes de leur milieu avec lesquelles ils sont engagés dans la durée, dans leur vie quotidienne et au sein des Universités populaires Quart Monde. Plusieurs membres de leur entourage, membres ou non d’ATD Quart Monde, ont directement contribué à cette écriture. Le groupe a également travaillé à partir de plusieurs productions collectives antérieures :ainsi que sur des extraits du texte « Pour un politique de la santé » écrit par Joseph Wresinski, in Revue Igloos n° 120 de septembre 1985. Cette analyse a été produite et présentée pour la première fois à un groupe de professionnels de la santé à l’occasion d’une co-formation co-organisée par ATD Quart Monde et la Fédération des maisons médicales et centres de santé intégrés de la Communauté française de Belgique.
- Le Croisement des savoirs – Quand le Quart Monde et l’Université pensent ensemble, Ed. de l’Atelier/Ed. Quart Monde, Paris, 1999, 525p ;
- Rapport général sur la pauvreté publié par la Fondation Roi Baudouin 1995 ;
- comptes-rendus de l’Université populaire Quart Monde ;
- Extraits de la Lettre ouverte aux professionnels de la santé produit par le Comité de Concertation du Projet européen de lutte contre la pauvreté à Charleroi « Pauvreté 3 » (1989-1994) ;
Nous avons des rêves et des projets
Nous qui vivons dans la pauvreté, nous avons des rêves et des projets, contrairement à ce que certains pensent. Nous sommes des êtres humains comme les autres. La différence entre un rêve et un projet, c’est qu’un projet c’est plus concret… D’abord c’est un rêve et cela peut devenir un projet quand on le planifie dans le temps. Nous avons des rêves pour notre famille. Pour beaucoup d’entre nous, le premier rêve, c’est que leur famille soit unie. Nous rêvons de partir en vacances ensemble. Certains ne sont jamais partis en vacances. Une sortie d’un jour, ce serait le minimum, une journée à la mer avec nos enfants par exemple : certains n’ont jamais vu la mer… Des vacances complètes, cela nous coûterait beaucoup trop cher. Nous rêvons de sorties familiales, d’aller au restaurant comme tout le monde. Faire des activités, c’est bien pour la famille, ça rapproche. Ce sont des moments de pur bonheur où nous oublions les tracas de la vie quotidienne. Nous avons des rêves pour nos enfants. Nous rêvons de pouvoir mettre de l’argent de côtés pour eux, pour leurs études, leur futur logement ou leur future famille. Certains rêvent d’acheter leur propre maison pour la laisser en héritage à leurs enfants. Nous rêvons d’être comme les autres pour ne plus être regardés d’en haut. Par exemple, nous rêvons d’avoir une maison salubre, un beau salon, une belle cuisine où nous ne serions plus embêtés de recevoir quelqu’un. Nous rêvons de ne plus avoir de dettes, ne plus avoir ce souci et surtout ne pas les laisser en héritage à nos enfants. Certains rêvent aussi d’être assez riches pour pouvoir aller dans les pays pauvres pour aller aider ceux qui sont encore plus démunis que nous.Nous manquons d’argent, de moyens
Ce sont des rêves car faute d’argent et de moyens, il nous est difficile de planifier pour qu’ils deviennent des projets. Si nous n’avons pas d’argent, nous ne pouvons rien faire. Cela bloque tout car tout coûte, même avec une réduction. Nous avons comme tout le monde des priorités dans la tête : payer un loyer pour avoir un toit, nous savons bien que c’est primordial. Mais il y a comme ça des tas de choses importantes qu’il faudrait toutes pouvoir payer. Il faudrait payer le loyer et faire manger la famille, et se soigner, et payer l’huissier, et payer les frais pour l’école, et acheter un cadeau à un enfant pour son anniversaire, et… et… et… C’est impossible. Il faut bien choisir. Et alors, nous sommes jugés inaptes à gérer notre budget. Parce que nous n’avons pas pu faire beaucoup d’études, la plupart d’entre nous ne trouvent pas d’emploi ou alors, des travaux lourds, insalubres ou dégradants qui nous démolissent la santé. Sans carte d’identité, sans domicile, qu’ont soit belge ou étranger, il nous est difficile d’avoir des projets. Pour cela, il faudrait se mettre en règle. Sans papier, se déplacer devient risqué ; sans papier, impossible d’avoir un travail déclaré. Celui qui fait du travail au noir ne peut guère se permettre de s’arrêter pour quelque raison que ce soit sinon l’argent ne rentre pas. A cause des problèmes de manque d’argent et de moyens, nous sommes plus sensibles à la maladie, aussi bien physiquement que moralement. Nos nerfs sont mis à rude épreuve, nous sommes souvent obligés de prendre des logements trop petits et humides. Tout cela provoque plus de maladies et les problèmes de santé nous empêchent de réaliser nos projets. Pourtant, il faut tenir malgré la maladie, on ne peut pas se permettre de baisser les bras : nous devons assumer les enfants, le ménage… Il nous est difficile d’avoir de l’aide de quelqu’un, faute d’argent et aussi parce qu’une aide familiale qui entre dans la maison, cela nous fait peur : c’est quelqu’un d’étranger qui entre chez nous, dans notre vie privée. Nous nous sentons épiés, surveillés. C’est encore un souci supplémentaire ! Nous ne pouvons pas nous permettre de montrer que nous sommes fragiles de peur qu’on nous juge incapables et qu’on nous place nos enfants. Alors nous continuons aussi longtemps que nous le pouvons, malgré le mal, pour que la famille tienne. Quand nous sommes malades, se soigner n’est pas évident. Cela coûte cher. Une fois les factures et le loyer payés, il ne nous reste plus grand-chose. Quelques fois même se nourrir est difficile, alors penser à la santé, vous comprenez que c’est encore plus difficile ! Certains imaginent que la santé ne nous coûte pas cher parce que nous avons droit à davantage de remboursement de nos frais. Mais tout le monde n’arrive pas à obtenir ces avantages. Et même alors, ce qui reste à payer, pour nous, c’est beaucoup : nous n’avons pas forcément l’argent pour le bus et pour payer la consultation. En général, une visite prévue suppose que nous ayons mis de l’argent de côté pour la payer. Pas facile d’imaginer que nous ayons pu avoir besoin de cet argent pour quelque chose de plus urgent comme un pain. Nous nous justifions comme nous pouvons en disant par exemple : « J’ai oublié mon portefeuille ». Avec certains médecins, il y a moyen de s’arranger mais à condition de ne pas le faire trop souvent. Parfois, nous pouvons donner juste une vignette et encore : à condition d’être en ordre de mutuelle, évidemment ! Nous connaissons beaucoup de personnes qui attendent le plus possible en espérant que « ça passe ». Ou alors, nous allons chez le pharmacien et nous lui demandons un médicament, de préférence pas trop cher. Si cela marche, tant mieux. Mais parfois, c’est grave et on ne le sait pas. Nous connaissons des personnes dont la situation est devenue très grave. Lorsque nous ne voyons plus d’autre solution, nous finissons par nous résoudre à aller aux urgences parce que là, on peut se faire envoyer la facture plus tard. Mais parfois, on nous dit alors que ce n’est pas une urgence puisque nous avons attendu… et l’hôpital nous réclame un supplément ! De toute façon, la facture nous arrive par après. Et, malgré ces arrangements, nous sommes quand même bloqués : nous ne pourrons pas payer les médicaments. Tout cela ne fait que renforcer le sentiment de ne pas être comme les autres. La honte parfois empêche même certaines personnes d’avoir recours à des facilités prévues « pour aider les gens pauvres ». Se soigner, quand on est malade, c’est une chose difficile. Alors, dépenser pour ce qui n’est pas urgent, c’est encore plus difficile, même si nous savons que c’est important. On veut bien, mais ça coûte : un régime, ça coûte ; faire du sport, ça coûte. Pour réaliser nos projets, le temps nous manque aussi, très souvent. Il y a des tas de choses à faire sur une journée et sans voiture, parfois sans argent pour payer le bus, tout prend beaucoup plus de temps : aller rendre visite à un enfant placé, se rendre aux convocations du Service d’aide à la jeunesse, du Service de protection de la jeunesse, du CPAS, etc., chercher du travail ou chercher des preuves comme quoi nous en cherchons… Il faut aussi garder la maison en ordre. Et quand nous sommes à court d’argent, trouver une solution, par exemple de quoi faire manger la famille. Il nous faudrait des journées de 48 heures ! Quand l’argent manque, c’est un souci du matin jusqu’au soir. Il faut tout le temps réfléchir : où vais-je trouver cet argent, où vais-je trouver à manger ? Il nous faut réfléchir tout le temps, tout le temps, jusqu’à en attraper la migraine. Nous cherchons des solutions et souvent nous n’en trouvons pas. Nous nous angoissons, nous stressons, c’est le ras-le-bol total. Certains tombent dans l’alcool, allant jusqu’à boire à crédit, pour oublier. Ivre, tu ne penses pas à tes problèmes, tu parles avec des gens, tu te sens mieux sur le moment mais après c’est pire. D’autres en arrivent à la dépression, parfois jusqu’à la tentative de suicide. On se traite soi-même de bon à rien parce qu’on n’y arrive pas. Et c’est encore pire quand les autres vous font la réflexion. Les jugements, cela provoque la peur. Lorsque nous faisons appel à quelqu’un, nous avons plein de questions en tête :- Est-ce qu’il va comprendre nos difficultés ?
- Est-ce qu’il va voir aussi nos bons côtés ?
- Est-ce qu’il va voir le courage qu’il nous a fallu pour nous relever chaque fois que nous sommes tombés ?
- Est-ce qu’il va voir notre amour pour nos enfants ? Et nous n’avons pas de réponse.
Malgré tous ces problèmes, nous avons quand même de vrais projets
Parfois, nos projets sont mal perçus, nous sommes critiqués, jugés et parfois, on va dire que ce n’est pas un projet, alors que c’en est bien un pour nous. Par exemple, une famille de cinq enfants qui n’a qu’une allocation de chômage. On la critique parce qu’elle s’est acheté une voiture alors qu’il y a un manque de nourriture. Mais pour eux, c’est peut-être important : avec cinq enfants, ce n’est pas facile d’aller quelque part en transports en commun. Beaucoup d’entre nous ont des enfants placés : leur premier projet, c’est de le récupérer. C’est dur mais c’est le principal et le reste viendra après. Nous faisons tout le temps hyper-attention parce qu’il peut toujours y avoir une assistante sociale qui arrive à l’improviste, nous avons intérêt à ce que la maison soit en ordre, qu’il y ait à boire et à manger dans les armoires. Certains essayent d’avoir un logement suffisamment grand pour pouvoir récupérer leurs enfants, même si c’est plus cher. Tant que les enfants sont placés, la plupart des parents essayent de voir leurs enfants le plus souvent possible et font des démarches auprès des responsables de la protection de la jeunesse pour obtenir davantage de visites. Ces visites, c’est toute une organisation : dès qu’une est finie, nous pensons déjà à la suivante, à mettre de l’argent de côté pour le ticket de train, pour acheter un cadeau pour les différentes fêtes de l’année. Pour éviter qu’on ne place les enfants qu’ils ont encore avec eux, des parents font des sacrifices qu’on n’imagine même pas. Par exemple, une maman n’est pas sortie de chez elle pendant des jours et des jours, pour que personne ne sache qu’elle avait son bébé avec elle, de peur que les services sociaux ne le lui prennent. Les parents veulent protéger leurs enfants parce qu’ils ne veulent pas qu’ils soient malheureux comme ils l’ont été. Surtout ceux qui ont vécu l’expérience du placement quand ils étaient petits ne veulent pas que leurs enfants souffrent ce qu’ils ont souffert eux-mêmes en étant placés. Ce sont nos enfants qui nous tiennent sur nos deux jambes.« Une famille, c’est comme une voiture. Les enfants en sont le moteur. Sans lui, la voiture n’avance plus. ». C’est pour nos enfants que nous ne baissons pas les bras si facilement. Nous connaissons des personnes qui ne se soignent pas pour pouvoir subvenir aux besoins de leurs enfants et parfois, ils le payent cher dans leur santé. Nous voulons que nos enfants soient comme les autres. Surtout à l’école, c’est important. C’est violent, des enfants entre eux : l’enfant qui subit des moqueries à l’école cela l’empêche de suivre les cours ou il ne veut plus aller à l’école du tout. Nous ne pouvons pas laisser faire ça : l’école, c’est son avenir ! Alors nous lui achetons un nouveau cartable, ou des baskets de marque, par exemple, pour qu’il soit comme les autres. Il faut bien trouver une solution. Notre avenir, c’est l’avenir de nos enfants. Même si ce n’est pas toujours évident, nous faisons tout ce que nous pouvons pour qu’ils aient un métier, du boulot et ne connaissent pas les problèmes de la pauvreté, comme nous, pour qu’ils soient plus haut que nous. Nous avons aussi des projets pour nous. La plupart d’entre nous, nous n’avons pas pu apprendre beaucoup à l’école. Nous en connaissons beaucoup qui n’ont même pas appris à lire et à écrire. Nous voulons apprendre pour ne pas être bête devant nos enfants et devant les autres. On nous a souvent dit que nous étions des moins que rien et nous voulons prouver que nous sommes capables, que nous valons autant que les autres. C’est aussi pour cela que parfois, certains achètent des choses chères : pour être comme les autres. Entre nous, nous nous soutenons les uns les autres, sans rien attendre en retour de la part de l’autre. Nous nous comprenons parce que nous vivons les mêmes choses. C’est quelqu’un qui soutient un autre qui n’a pas le moral, c’est dépanner quelqu’un qui n’a plus rien, c’est se rendre de petits services. Certains s’engagent dans des opérations humanitaires, dans des associations… Il faut être fort : ne pas avoir d’argent, aller en chercher pour les autres, avoir tant de sous en main, et ils ne sont pas pour soi ! Nous agissons aussi pour faire changer le monde pas seulement pour nos enfants, pas seulement pour nous, mais pour tous ceux qui vivent dans la pauvreté et les difficultés, et même pour les autres aussi, dans tous les pays. C’est pour cela que nous participons à des associations telles qu’ATD Quart Monde, Luttes solidarités travail asbl, les Equipes populaires… et que nous participons à des projets comme les co-formations avec des professionnels.Professionnels de la santé, vous avez un rôle important pour la réalisation de nos projets
Parce que vous êtes des professionnels de la santé, vous avez de l’influence sur notre santé. Avec votre soutien, nous pouvons être plus forts pour donner vie à nos projets. Dans la société, vous avez plus de pouvoir que nous. Votre parole est davantage écoutée que la nôtre. Au moins à un moment de notre vie, bon nombre d’entre nous a rencontré des professionnels de la santé qu’ils ont appréciés. Un professionnel qui nous explique notre maladie, les traitements, qui ne pense pas que nous sommes incapables de le comprendre ; un professionnel qui nous écoute, qui prend le temps de discuter et de nous comprendre, un médecin qui nous suit depuis qu’on est tout petit et qui sait par où on est passé ; une assistante social d’un service de santé qui remonte le moral, qui aide à trouver une maison et du boulot ; un médecin qui ose se mettre à table avec nous, parler de ses vacances ; un professionnel qui demande des nouvelles du restant de la famille ; quelqu’un dont nous acceptons plus facilement les conseils parce qu’il est devenu proche de la famille, presqu’un ami. « Mon docteur est un bon docteur, c’est un médecin qui n’est pas gêné de nous, il voit notre manière de vivre. Il y en a qui n’osent même pas boire une tasse de café chez nous. Cela fait une grande différence : on n’est pas des déchets, on est un être humain comme lui. ». Nous ne sommes pas des « cas » mais des personnes avec des sentiments, des émotions, des besoins… Nous avons trouvé une citation de Joseph Wresinski, fondateur du Mouvement ATD Quart Monde, qui dit ce qui est important pour nous : « Les familles les plus démunies ne peuvent avoir confiance et agir avec vous, (professionnels de la santé), que si, profondément, vous connaissez leurs aspirations et si vous êtes d’accord avec la quête qui est la leur : celle d’échapper à leur condition. ». Il faut que vous sachiez que des choses qui pour vous n’ont pas d’importance, pour nous en ont énormément. Parfois, on nous reproche d’attendre la dernière minute et d’aller aux urgences en catastrophe : « Je suis allé chez le médecin bien tard, alors que j’aurais dû y aller depuis bien longtemps. Pour moi, ce sont mes enfants qui passent d’abord. Si j’ai 20 euros dans mon portefeuille, ils iront d’abord pour eux. Je sais que pour m’en occuper je dois être en bonne santé. Mais je pense avoir toujours quelque chose à prouver, je dois toujours me justifier, je dois prouver que je suis une bonne mère. ». Du fait d’être sans cesse jugés, de devoir sans cesse nous justifier, nous finissons par penser que nous avons « raté le coche », que nous avons fait une bêtise à un moment donné, et nous voulons rattraper cette bêtise. Nous avons besoin de prouver à tout le monde, mais aussi à nous-mêmes, que nous savons faire comme les autres, autant que les autres, même si nous n’avons pas les moyens. Nous devons le prouver parce que nous sommes plus vite jugés, plus surveillés que les autres ; nos enfants risquent d’être plus vite placés. Nous voulons faire changer le regard que les autres ont sur nous. Nous ne voulons pas être traités différemment des autres. Une maman a été aux urgences avec un de ses enfants. Au bureau, on lui a dit : « Je te le facture ? ». Elle n’a pas compris pourquoi on la tutoyait alors qu’aux autres on leur disait « vous ». Elle n’a pas compris pourquoi on lui proposait d’office de facturer alors qu’à cet hôpital, il faut normalement payer au moment de l’urgence et qu’elle n’avait rien demandé. Et pourtant elle était habillée normalement, elle était propre sur elle ! Quand quelqu’un n’a pas les moyens, pour ne pas faire trop de dettes, le personnel hospitalier va plus vite lui dire : « Allez vous reposer chez vous » alors que ce n’est peut-être pas la meilleure solution. Nous avons toujours l’impression de porter une étiquette sur le front. Parfois, nous avons peur de laisser voir où nous habitons, de peur d’être traités autrement que les autres. Nous avons besoin d’avoir votre confiance avant de pouvoir vous donner la nôtre. Certains professionnels, quand nous arrivons avec un enfant avec un coup, pensent tout de suite que nous l’avons battu. Quand un enfant a régulièrement des bleus, on est en droit de se poser des questions. Mais cela peut être un enfant qui tombe tout le temps, un enfant cascadeur, un enfant qui se frappe lui-même, il peut avoir une maladie… Il est nécessaire d’avoir davantage d’informations, d’apprendre à connaître la famille, la personne. Il faut du temps pour apprendre à se connaître, à se faire confiance. Parce qu’à un certain moment, nous avons été délaissés, bafoués, il nous faut du temps pour reprendre confiance. Vous entrez chez nous, vous voyez où nous vivons, comment nous vivons. Nous voulons avoir la certitude que vous garderez pour vous ce que vous entendez et ce que vous voyez et surtout, que vous ne l’utilisez pas contre nous. Nous avons besoin que vous soyez patient. Par exemple, lorsque nous entreprenons une thérapie, chaque fois il faut payer. Il y a des moments où ne pouvons pas payer, où d’autres soucis sont notre priorité et nous n’allons pas au rendez-vous… Une fois, deux fois ça va peut-être passer, mais vous aurez du mal à comprendre si cela se répète ! C’est pour cela que nous avons besoin que vous nous connaissiez mieux. Ce n’est possible qu’avec un médecin traitant qui nous suit depuis longtemps. Ce n’est malheureusement pas possible, ou très difficile, pour les familles qui déménagent tout le temps à cause de la misère qu’elles vivent. Parfois les médecins soignent les gens mais oublient de soigner le moral. Il faut soigner les deux. Sinon, on se laisse aller. Cela va parfois jusqu’au suicide. Pour terminer, nous vous demandons de chercher les moyens d’atteindre ceux qui ont le plus de difficultés. Nous, nous avons déjà fait un certain parcours. Mais il y a des personnes qui ont peur, qui n’osent pas ouvrir la porte parce qu’elles ont peur de tomber sur un huissier ou sur une assistante sociale. Certains n’ont pas accès aux informations telles qu’elles existent. Ce sont ces personnes-là qu’il vous faut chercher d’abord à rencontrer.Travail collectif publié dans la collection « Nous d’un peuple » en 2008. Nous vous proposons de découvrir dans notre collection « documents de référence » quelques textes qui situent clairement les enjeux de telles démarches et leurs exigences pour qu’elles servent réellement les plus pauvres et contribuent effectivement à lutter contre la misère et l’exclusion. La collection « Nous d’un peuple » publie des interventions construites collectivement par des personnes ayant l’expérience vécue de la pauvreté et de l’exclusion sociale. Elles ont été conçues pour engager un échange entre personnes de différents milieux, mais toujours avec des personnes en situation de pauvreté : « Ne parlez pas de nous, parlez avec nous ! ».
Documents joints
Cet article est paru dans la revue:
Santé conjuguée, n° 49 - juillet 2009
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