Se soigner coûte cher et, faute de moyens, dans certaines familles la santé passe après le reste… Le premier salon de la santé et du social, qui s’est tenu le 23 juin à la Maison de la participation et des associations de Marchienne-au-Pont, a porté cette précarité au cœur des débats. Deux conférences ponctuées de moments d’échanges étaient au programme, en voici quelques moments choisis.
Le premier salon de la santé et du social ne s’est pas contenté d’attirer près de nonante structures et services de première ligne actifs dans le domaine de la santé. Il visait plus largement à alimenter les réseaux, favoriser la rencontre de partenaires professionnels potentiels, découvrir les missions d’autres associations, développer des idées et des projets thérapeutiques ou préventifs. Il a aussi permis aux participants et participantes d’assister à de riches échanges et de débattre. Deux moments avaient été prévus à cet effet par les organisatrices. Le premier portait sur la manière de travailler la santé avec des personnes en grande précarité. Le deuxième a permis d’en savoir plus à propos des activités et de la philosophie de services tels que l’initiative d’habitations protégées « Le Regain » ou encore le Relais social de Charleroi.
C’est Alicia Monard, échevine carolo de la Santé, qui a lancé le mouvement. « L’idée de ce salon, c’est de créer du lien entre professionnels de la santé », a-t-elle déclaré avant de présenter les deux premières intervenantes : Christine Mahy, secrétaire générale du Réseau wallon de lutte contre la pauvreté (RWLP), et Fanny Dubois, secrétaire générale de la Fédération des maisons médicales.
« Trop peu de tout »
Cette première conférence a débuté par un reportage sur l’action des facilitateurs et facilitatrices de santé qui travaillent actuellement pour les mutualités et aident les personnes les plus vulnérables, ayant perdu l’habitude de prendre soin de leur santé, à se diriger à nouveau vers un médecin généraliste, une pharmacie, un dentiste, une psychologue…
Christine Mahy profite de cette occasion pour souligner le rôle du RWLP, qui est de rassembler des personnes qui se vivent exclues, qui sont dans le « trop peu de tout », comme elle le résume, afin de leur permettre de s’exprimer – notamment sur ce qu’elles vivent dans leur rapport à la santé. « Une chose est compliquée pour ces personnes, souligne-t-elle. Le monde de la santé les aborde en leur disant qu’elles devraient mieux manger, qu’elles devraient faire de l’exercice. Mais dire cela, c’est leur dire de mettre en place certaines choses alors qu’elles n’en ont pas les moyens. Pour cuisiner par exemple, encore faut-il avoir un équipement. Dans certains ménages, il n’y a qu’une seule taque, un four à micro-ondes, et un compteur à budget… Il faut casser la patte à l’idée que la santé ne serait pas importante pour les gens dans la pauvreté. Quand cela leur semble inaccessible, hé bien ces personnes n’y pensent plus. Parce que penser à quelque chose qu’on ne peut pas mettre en œuvre, c’est se faire mal tous les jours. »
Pour Christine Mahy, ces « éléments externes » – comme la mobilité, le logement – constituent autant de freins à l’accès à la santé (comment aller consulter un kinésithérapeute si l’on n’est pas en mesure de se déplacer, comment profiter d’une bonne santé si l’on vit dans un logement insalubre ?) et sont souvent « invisibles ». Pour les professionnels de la santé, il conviendra dès lors de réfléchir à la manière de résoudre ces problèmes qui ne sautent pas directement aux yeux.
Reste aussi pour Christine Mahy à régler la question du tiers payant pour les spécialistes, un nœud encore méconnu. Pour rappel, le tiers payant permet au patient de ne payer que son intervention personnelle – souvent assez basse – dans les frais de soins de santé, le médecin facturant directement à la mutuelle. « Le fait que les spécialistes ne pratiquent pas le tiers payant est un véritable obstacle pour les personnes précarisées dans leur accès à la santé », affirme-t-elle. Autre problème encore : celui de la langue. Souvent, les personnes en situation précaire ne comprennent pas ce que le médecin leur dit, soit le jargon utilisé ne passe pas, soit ces personnes ne maîtrisent pas suffisamment le français.
Fanny Dubois a axé son intervention sur l’ensemble des facteurs structurels « qui dépassent les professionnels » et qui ont également une influence sur l’accès à la santé des plus fragilisés. Accroissement des inégalités sociales, choix politiques : « il existe une systémique en Belgique qui fait que les soins de santé sont de plus en plus cloisonnés et que la santé est uniquement vue sous l’angle curatif, négligeant la première ligne et l’aspect holistique de la santé, argumente-t-elle. L’air que l’on respire, le logement que l’on occupe, l’alimentation sont des déterminants qui influencent énormément la santé, mais qui dans les faits sont peu pris en compte par les politiques au niveau fédéral ».
Pour la secrétaire générale de la Fédération des maisons médicales, la première ligne de soins, dans laquelle les professions de soins pourraient déjà faire de la prévention et de la promotion à la santé, est aujourd’hui sous-investie par les pouvoirs publics au détriment de la deuxième ligne – les hôpitaux et les spécialistes. Résultat : cette première ligne se retrouve souvent saturée, ce qui a aussi des conséquences sur les travailleurs et les travailleuses. « On remarque un essoufflement de la première ligne, certains soignants tombent dans la culpabilité parce qu’ils peinent à trouver des solutions. Pour moi, dans cette situation, il convient de renforcer la solidarité entre vous toutes et tous. » Sur les freins à l’accessibilité à la santé, Fanny Dubois a également mis en avant les suppléments d’honoraires hospitaliers qui ne font que croitre. Parallèlement, la hausse du nombre de médecins et de dentistes déconventionnés est également à pointer. « Il est grand temps de réguler ces suppléments et de rappeler au corps médical l’importance du conventionnement », conclut-elle avant de laisser la parole au public.
Des interventions de la salle ressortent deux autres freins à l’accès aux soins pour les personnes précarisées : l’absence d’une adresse pour certaines d’entre elles, radiées du registre national, et les suppléments d’honoraires pratiqués par certains spécialistes qui, d’après un conseiller du CPAS de Charleroi, sont parfois « gigantesques ». « On passe parfois de 1000 à 6000 euros pour la même prestation », affirme-t-il. Des propos auxquels Fanny Dubois réagit : « Il n’est plus possible de vivre dans une société où des personnes qui ont pu suivre des études grâce aux deniers publics peuvent exiger des tarifs à ce point élevés », s’insurge-t-elle.
Housing First et Working First
La deuxième conférence a réuni un autre panel : Silvano Gueli, coordinateur de l’initiative d’habitations protégées « Le Regain », Marion Lorge, coordinatrice du Housing First au Relais social de Charleroi et Laurent Ciaccia, coordinateur adjoint du Relais social de Charleroi.
La structure pour laquelle Silvano Gueli travaille s’adresse aux personnes âgées de plus de 18 ans qui ne nécessitent pas un traitement continu en hôpital et qui, pour des raisons psychiatriques, doivent être aidées dans leur milieu de vie et de logement. Une démarche particulière, sous-tendue par le fait que le « client-usager » sait ce qu’il veut. Il convient donc, selon Silvano Gueli « de proposer à la personne les services dont elle a besoin en fonction de ce qu’elle exprime et voit comme important pour elle ». Trois attitudes favorisent cet accompagnement centré sur la personne : congruence ou authenticité (plus l’accompagnant est fidèle à lui-même dans sa relation à l’accompagné, plus grande est la probabilité que celui-ci se développe de manière constructive) ; considération positive inconditionnelle (acceptation totale et inconditionnelle du client tel qu’il apparaît à lui-même dans le présent) et empathie ou considération empathique (capacité de s’identifier à autrui dans ce qu’il ressent). Dans ce contexte, le Regain propose une « réhabilitation », c’est-à-dire un modèle d’accompagnement centré sur la personne. « Toute personne est capable d’évoluer vers un projet de vie choisi », affirme le coordinateur du Regain. L’équipe pourra proposer, selon les envies et les difficultés du patient-client, un plan d’accompagnement individualisé, le choix des domaines à travailler et le rythme de ce travail, l’utilisation d’outils adaptés, des bilans d’évolution du projet, etc.
Laurent Ciaccia présente le Relais social de Charleroi, « une structure qui a plus de vingt ans et dont le but est de traiter et de trouver des solutions pour les publics sans-abri ». Il prévient d’emblée : « Des solutions, il y en a, mais ce n’est pas facile ». Parmi celles-ci, on compte notamment le Housing First, un dispositif testé dès 2013 en Belgique et dont l’objectif est de changer la logique de l’insertion. Ici en effet, on commence par un accès direct et sans condition, pour le sans-abri, à un logement. « Au relais social, on s’est aperçu que la lutte contre le sans-abrisme passe définitivement et objectivement par le logement », appuie-t-il.
Marion Lorge explique que le Housing First à Charleroi est destiné à un public de personnes sans abri depuis au moins deux ans, avec des troubles de santé mentale ou en assuétudes. « L’idée, dit-elle, c’est l’insertion en logement avec l’aide d’équipes pluridisciplinaires. » Assistante sociale, infirmière, éducatrice et psychologue sont présentes dans l’équipe afin de travailler à durée indéterminée sur tous les volets de la vie de la personne une fois qu’elle est installée dans un logement. « Le plus important dans le Housing First, c’est le rétablissement de la personne par rapport à ses troubles de santé mentale et d’assuétude. Le logement n’est donc pas une fin, c’est un moyen », poursuit-elle. Venu des États-Unis, ce modèle est présenté comme contre instinctif, la plupart du travail avec ce type de public débutant en général par un travail sur les assuétudes, les troubles de santé mentale, sur une stabilisation, avant d’envisager une mise en logement. « Là-bas, les accompagnants se sont rendu compte que les bénéficiaires restaient coincés dans cette étape de stabilisation », relate Marion Lorge.
Le Relais social a ensuite décidé de mettre en place un projet de Working First. « Un prolongement du Housing First », dit Laurent Ciaccia. Dans ce cas, c’est l’emploi qui est considéré comme un moyen vers le rétablissement, pas une finalité. Le Relais social travaille avec des opérateurs issus du monde de l’emploi, comme les missions régionales et le Forem, ou encore avec le secteur de l’insertion sociale et le monde académique. « Car nous voulions évaluer notre projet », souligne le coordinateur adjoint du Relais social.
Comment passer du Housing First au Working First ? « Quand les personnes retrouvent un logement, elles se trouvent à l’abri et certaines d’entre elles souhaitent travailler. Et ce n’est pas facile. Il y a des problèmes d’estime de soi, un statut de sans-abri. Or, tout comme le logement, le travail est un droit fondamental, une manière de donner un sens à sa vie. C’est une composante importante du rétablissement. » Un parcours semé d’embûches donc, tant les histoires de vie des personnes prises en charge sont fragiles. Laurent Ciccia l’illustre par la situation de Benoît, un prénom d’emprunt, passé en Working First et pour qui « on pensait que tout allait rouler », qui obtiendra un emploi, puis un stage, puis encore un emploi et que l’on retrouvera à chaque fois, dès les premiers jours de travail, ivre sur un banc… « Nous avons de belles histoires, mais nous voulons vous montrer qu’il faut s’accrocher », conclut-il avant de laisser lui aussi la parole au public.
Au cours des échanges, le cas de Benoît sera débattu, mais aussi le fait que certaines personnes n’ayant pas de logement ne peuvent pas entrer en formation, à nouveau par défaut d’adresse suite à une radiation du registre national… Peut-on les envoyer chez Working First ? Faute de places, Working First travaille uniquement avec les personnes issues du projet Housing First. « Nous travaillons à développer ce projet afin de pouvoir collaborer avec plus de partenaires, explique Laurent Ciaccia. Notre difficulté pour l’instant, c’est que nous fonctionnons avec des moyens insuffisants et que nous ne pouvons suivre qu’un nombre limité de personnes. Mais qui sait, cela pourra peut-être se faire plus tard », espère-t-il, comme un appel du pied… Un appel du pied renforcé par le souhait d’une intervenante, médecin, de voir cette mesure du Working First étendue également aux CPAS, aux administrations, à d’autres services sociaux proposant de l’accompagnement…
La prochaine édition du salon est prévue pour dans deux ans, autour d’une autre thématique.
Cet article est paru dans la revue:
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