La Fédération des maisons médicales veut un secteur assaini, la ministre de la Santé veut le tuer.
La deuxième phase de l’audit sur les pratiques forfaitaires s’est achevée fin août avec un goût amer pour les maisons médicales. La mise à mort du secteur, annoncée par la ministre De Block il y a plus d’un an, est en train de se produire, mettant en danger : -l’accessibilité aux soins de 350 000 patients ; -l’emploi de plusieurs milliers de travailleurs ; -les soins de santé généralistes sociaux, locaux et associatifs. La ministre utilise pour ce faire la mise en place d’un moratoire sur le système du forfait, ce qui empêche la création de nouvelles pratiques. Le forfait est un système de solidarité qui permet aux personnes de ne pas devoir payer la consultation chez les généralistes, kinés et infirmiers. Les mutuelles versent pour cela aux maisons médicales une somme par mois et par patient. Même dans ce contexte, la Fédération des maisons médicales, acteur largement majoritaire dans le secteur des pratiques forfaitaires, assume sa place d’interlocuteur politique institué, capable de négocier et de faire des compromis. Il nous apparait en effet logique de collaborer lorsqu’on nous demande de rendre des comptes sur l’utilisation d’argent public et en cela une forme d’audit n’est pas dénuée de sens. Depuis de nombreuses années, et en collaboration avec la VWGC (de Vereniging van wijkgezondheidscentra, notre équivalent flamand), nous mettons d’ailleurs tout en place pour permettre un secteur assaini des pratiques déviantes. Nous avions notamment proposé une étude au KCE (Centre fédéral d’expertise, indépendant), qui a été refusée. Nous ne partageons pas les positions extrêmes de boycott prises par une petite minorité de pratiques associées à l’extrême gauche, dont nous nous distinguons par notre pluralisme et notre combat politique non partisan. Mais nous condamnons également la méthode violente, inadaptée et inefficace choisie par la ministre. En effet, le cabinet De Block préfère assommer le secteur d’un moratoire qui ne génère aucune économie pour la Sécurité sociale afin de piloter en toute discrétion un audit à charge. Pour cela, la ministre avance des arguments erronés : elle prétexte la croissance du budget pour le secteur alors que celle-ci est liée à la croissance du nombre de patients inscrits dans le système. En d’autres mots : nous coûtons plus cher car nous soignons de plus en plus de gens. Et ce n’est pas sans lien avec la croissance de la précarité dans notre société, elle-même liée aux politiques d’austérité choisies par notre gouvernement. Les patients qui se voient refuser l’accès aux maisons médicales à cause de ce moratoire iront, au mieux, se faire soigner en médecine libérale ou aux urgences des hôpitaux (ce qui ne changera rien dans le budget des soins de santé) et, au pire, reporteront les soins (ce qui engendrera des coûts supplémentaires pour des maladies prises en charge à des stades plus avancés). Cet audit, confié par le cabinet à KPMG, est mené selon une méthodologie plus que douteuse, pointant certains aspects et en oubliant d’autres, consultant les parties prenantes, mais en n’en faisant rien, car le questionnaire est validé par le cabinet. Il est également mené dans la précipitation : sur les 51 questions posées, toutes sauf trois ont été retournées à KPMG pour réécriture. Par ailleurs, certaines questions sont restées hors propos, sans réponse possible, ou répétitives. Le questionnaire s’est par contre largement étendu sur les résultats comptables, sans prendre en compte des critères de qualité des soins délivrés. La gestion globale de la santé (intégration de la médecine préventive et de la santé communautaire, travail pluridisciplinaire) est le socle du travail des maisons médicales de la Fédération. Le système forfaitaire est un outil qui nous permet d’atteindre ces objectifs. Nous regrettons l’hostilité du cabinet envers nos pratiques, qui sont pourtant internationalement reconnues et recommandées depuis plus de trente ans par l’Organisation mondiale de la santé. En conclusion, malgré un positionnement d’ouverture et de dialogue et une volonté de travailler à une amélioration positive du secteur, nous nous voyons contraints par un moratoire dur et injustifié financièrement. La Fédération des maisons médicales enjoint la ministre De Block de prendre ses responsabilités. Soit, pour elle et le Gouvernement fédéral, l’accessibilité à des soins généralistes n’est pas une priorité, il faut alors l’assumer sans se cacher derrière cet audit pseudo-scientifique et un moratoire qui ne réalise aucune économie. Soit c’est une priorité et il est nécessaire : -d’ouvrir enfin le dialogue ; -de lever le moratoire et d’enfin permettre aux nouvelles structures qui le souhaitent de pratiquer au forfait ; -d’étudier les pistes qui ont été proposées pour améliorer le fonctionnement forfaitaire ; -de compléter l’audit en cours par une recherche, validée scientifiquement par un organe neutre et public comme le KCE.Les chiffres du forfait En Belgique, trois fédérations rassemblent les différentes pratiques au forfait : la Fédération des maisons médicales (FMM, francophone), la Vereniging van wijkgezondheidscentra (VWGC, néerlandophone) et la Fédération des pratiques médicales de première ligne au forfait (FEPRAFO, francophone et néerlandophone). La Fédération des maisons médicales, née en 1980, est la plus ancienne et la plus importante. Elle compte aujourd’hui 108 membres constitués en asbl (50 situés à Bruxelles et 58 en Wallonie). 89 maisons médicales travaillent au forfait et totalisent pour leur part 197 640 patients. Médecine pour le peuple compte 11 maisons médicales dans le pays : 5 en Flandre, 4 en Wallonie et 2 à Bruxelles ; 5 de ses membres francophones sont affiliés à la FMM, ce qui représente 10 360 patients. Fondée en 2004, la VWGC fédère 30 maisons médicales. En 2016, elle touchait 70 262 patients, dont 95,1% au forfait. Dernière fédération créée, en 2013, la FEPRAFO compte 18 maisons médicales : 7 en Flandre, 7 à Bruxelles et 4 en Wallonie (dont 2 germanophones). Elle compte quelque 50 000 patients. Ces structures ont diverses formes juridiques : asbl, association de fait, société coopérative ou sprl. Sources : FMM, VWGC, FEPRAFO.
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Cet article est paru dans la revue:
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