Médicaments : après Pretoria, New Delhi ?
Santé conjuguée n° 65 - septembre 2013
Une nouvelle géopolitique du médicament se dessine depuis plusieurs années : bras de fer entre les pays émergents et l’industrie pharmaceutique.
Les pays du Sud, certes appelés « émergents », mais encore largement plus pauvres que ceux du Nord plaident leur obligation morale de rendre disponibles à prix abordables les médicaments efficaces à leur population. Les laboratoires pharmaceutiques expliquent que les profits qu’ils tirent des innovations mises sur le marché permettent d’être massivement réinvestis dans la recherche et le développement de nouveaux médicaments.Lors du procès de Prétoria en 2001, le Gouvernement sud-africain a remporté une victoire face aux firmes pharmaceutiques commercialisant les médicaments contre le SIDA. Douze ans plus tard, une décision de la Cour Suprême d’Inde montre que l’on assiste à l’émergence d’une nouvelle économie pharmaceutique globale. Une revendication analogue à celle exprimée dans le cas du SIDA est en train de s’organiser de la part des pays émergents : ils exigent de disposer des avancées thérapeutiques majeures pour leurs populations à des coûts raisonnables. Après les traitements contre le SIDA, les traitements contre le cancer à prix générique ? Le procès de Prétoria, en 2001 avait opposé trente-neuf compagnies pharmaceutiques mondiales ainsi que l’Association des fabricants pharmaceutiques d’Afrique du Sud au Gouvernement d’Afrique du Sud soutenu par l’association de malades TAC (Treatment Access Campaign). En fait, les fabricants pharmaceutiques avaient fini par retirer leur plainte avant la fin du procès. Puis GSK et Boehringer Ingelheim ont décidé d’attribuer des licences volontaires à des génériqueurs sud-africains pour qu’ils produisent l’AZT, le 3TC et la nivérapine dès 2003. Cet événement allait marquer la première étape décisive de ce que Maurice Cassier appela « La nouvelle géopolitique du médicament » dans le livre Des épidémies et des Hommes, La Martinière, 2008. Lundi dernier, la Cour Suprême d’Inde à New-Dehli a décidé d’autoriser les génériqueurs indiens à poursuivre la fabrication hors licence de l’Imatinib (Glivec, de Novartis), un anti-cancéreux efficace contre plusieurs types de leucémies. Clin d’oeil (ou revanche ?) de l’histoire, le Glivec a été mis sur le marché en 2001. Il est aujourd’hui considéré comme l’une des plus grandes découvertes médicales depuis des décennies. Chacun défend ses intérêts. L’Inde est aussi le premier producteur mondial de médicaments génériques : elle exporte pour 10 milliards de dollars de génériques par an, devenant ainsi un concurrent sérieux pour les entreprises américaines, japonaise et européennes, mais aussi… l’un des outils majeurs pour l’amélioration de la santé dans le monde. Un an de traitement par Glivec représente environ 70 000 dollars US sur le marché mondial, tandis que les génériqueurs indiens le proposent à 2500 dollars, selon le New York Times en date du 1er avril dernier. Une nouvelle géopolitique du médicament se dessine donc depuis plusieurs années. 80% des substances actives des médicaments que nous consommons sont aujourd’hui fabriquées en Chine et en Inde. Ces pays ont acquis un savoir faire dans la fabrication des médicaments. Ils réclament aujourd’hui que leurs populations puissent avoir accès à ces produits qu’ils fabriquent à très faible coût (le prix de la substance active est le plus souvent très marginal dans le coût d’un médicament). Les pays du Nord restent encore ceux aujourd’hui d’où sortent la plupart des innovations médicamenteuses. Souvent elles sont le résultat de partenariats entre industriels et recherche publique.
Comment trouver les mécanismes qui permettront de ne pas arrêter la pompe à innovations tout en offrant le fruit de ces innovations au plus grand nombre ? C’est la difficile équation qui se pose désormais pour les médicaments contre les cancers et les autres maladies chroniques.
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Cet article est paru dans la revue:
Santé conjuguée, n° 65 - septembre 2013
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