Maisons médicales : les patients face au changement
Marinette Mormont
Santé conjuguée n° 78 (Numéro spécial Congrès) - mars 2017
Le contexte des maisons médicales évolue et celles-ci aussi. Quel regard les patients portent-ils sur les mutations en cours ? Éléments de réponse en compagnie de quelques-uns d’entre eux.
Yves Gabriel, Suzanne Chaumont, Louis Pesesse et Jeanne-Marie Delvaux sont de longue date des patients de maisons médicales de la région liégeoise. Pour la plupart, cette démarche relevait d’un choix, qu’il soit politique ou qu’il porte sur la manière dont les soins sont organisés et délivrés. « Cela fait vingt-cinq, trente, ans que je suis patiente dans une maison médicale, précise Suzanne. À l’époque, la maison médicale était aménagée de bric et de broc. Puis c’est devenu plus chic. Dans la salle d’attente, on attendait parfois longtemps, mais tous les patients disaient que c’était sympathique. » Jeanne-Marie : « Je me suis tournée vers les maisons médicales pour le dialogue, pour son côté multidisciplinaire. La prise en charge y est plus cohérente, cela apporte plus de sécurité ». Louis, son mari, opine du chef : « Dans la maison médicale, j’existais en tant que personne ».Hier : conviviale maison médicale
La collaboration en équipe, une prise en charge globale intégrant le contexte psychosocial, un désintérêt financier dans le chef des médecins… S’il y a une chose qui revient par-dessus tout pour expliquer leur fidélité à leur maison médicale, c’est la qualité de la relation et la convivialité. « J’ai été épaté par le travail de groupe qui s’est opéré autour d’elle, autour de moi. Nous avons vraiment été soutenus pendant deux ans. » La convivialité s’exprime dans la prise en charge, dans l’environnement, dans la salle d’attente. Le travail réalisé sur la fonction d’accueil ou le développement de la santé communautaire y sont sans doute pour quelque chose. Les patients rencontrés évoquent des relations d’une « très grande qualité », « une honnêteté », « une franchise ». « Des sentiments d’attachement se créent, témoigne Jeanne-Marie. Quand mon généraliste a pris sa pension, j’ai eu besoin de lui dire des choses fortes. Cela relevait du sentiment. On a été ‘en croissance’ l’une et l’autre, on s’apprenait des trucs…» Des liens qui peuvent se renforcer davantage encore du fait d’être « un patient impliqué » dans la maison médicale. Aujourd’hui : les changements de société colorent les maisons médicales Du point de vue des patients, la relation avec les professionnels de la santé semble intacte. Mais certains soignants le ressentent et le disent : leur travail s’est modifié. La charge de travail est plus pesante, les procédures exigées se multiplient. Une certaine « industrialisation des soins », caractéristique de la médecine hospitalière et spécialisée, toucherait désormais les centres de santé intégrés. La patientèle s’est paupérisée. « La population dans la salle d’attente a changé. Aujourd’hui il y a des personnes qui ne sont plus acceptées nulle part », remarquer Yves. Le développement de la santé communautaire et de l’accueil sont insuffisamment financés. « Aujourd’hui on soigne autrement, on soigne beaucoup plus large », dit Louis. Le développement d’un certain formalisme est peu perceptible pour les patients mais Louis note toutefois une tendance à la fonctionnarisation, à une approche plus gestionnaire que relationnelle. « Les maisons médicales n’ont pas changé, précise-t-il. Mais la société autour, oui. » Car selon les patients rencontrés, le contexte dans lequel manœuvrent les maisons médicales déteint forcément sur ce qui s’y passe. Exemple : « J’ai réalisé que je ne finirais pas ma vie avec mon médecin généraliste, explique Jeanne-Marie. Il y a plus de turnover chez les soignants. C’est un élément nouveau qui n’existait pas ». Il y a à l’heure actuelle plus de mobilité professionnelle et la médecine n’y échappe pas. Si cela peut insécuriser certains patients, pour d’autres, il y a « un noyau », « un esprit » qui demeure : « ce sentiment que les jeunes ont la même approche que les anciens ». Autre illustration : l’ouverture des maisons médicales le samedi. Confort des travailleurs, féminisation de la profession et développement des temps partiels… cette plage horaire est de plus en plus remise en question. « L’image du médecin qui travaille jusqu’à 11 heure du soir ? Il n’y a plus grand monde qui aime faire ça », commente Yves. C’est aussi la salle d’attente qui a changé. « Les gens sont plus fermés les uns vis-à-vis des autres. Plus individualistes. Ils sont tous sur leur smartphone », témoigne Louis. « Je pense que la charge de travail, l’équilibre entre la vie en groupe et le maintien de la stabilité financière pompent une énergie d’enfer au détriment de la relation, dit Jeanne-Marie. On est moins dans l’idéologie. »Et les associations de patients ?
« Au début, mon médecin me parlait des activités autour de la maison médicale : je ne voulais pas en entendre parler. Et puis me voilà ici aujourd’hui ! » Yves est un patient actif de La Passerelle à Liège. Au même titre que les maisons médicales, les associations de patients sont confrontées aux évolutions de la société. Elles doivent se renouveler. « Il y a des difficultés pour toutes les associations à se regrouper autour d’une idéologie, indique Jeanne-Marie. En même temps, plein d’autres types de mouvements se créent. Ils prennent d’autres formes, ils sont peut-être plus fractionnés et attendent des bénéfices immédiats. Il faut trouver d’autres chemins… » Yves relativise les difficultés d’aujourd’hui : « C’est vrai, il y a un problème de valorisation, de reconnaissance de ce qui y est fait. Mais quand elles ont été créées, rappelle-t-il, ça ne marchait pas mieux, c’était déjà très dur de mobiliser. »Une maison médicale pour la vie ? Le choix de se faire soigner en maison médicale réserve parfois quelques surprises. C’est ce dont témoigne A. une patiente qui a choisi de rester anonyme. « Lors de mon inscription, j’ai appris que je devais choisir un médecin. Cela a été ma première confrontation : une maison médicale est un collectif mais qui ne fonctionne pas tout le temps en collectif. J’ai suivi les discussions qui s’y déroulaient, un éclatement et la création d’une deuxième maison médicale, puis un nouvel éclatement au moment des débats sur le forfait. J’ai suivi mon médecin qui a recréé une maison médicale à la fin des années 90. On m’avait informée que si j’avais un problème, on ne pourrait pas se rendre jusque chez moi. Je n’en avais jamais eu besoin jusqu’alors mais j’ai subi récemment une petite intervention chirurgicale qui nécessitait de la kiné à domicile. Les règles se sont imposées : 8 kilomètres, c’est 8 kilomètres. Je n’ai pas eu d’autre solution que de me désinscrire… Il y a eu des discussions au sein de la maison médicale autour de cette patiente de longue date forcée de quitter la structure, pour laquelle on n’avait pas de solution. Je me suis heurtée au système et mon médecin aussi d’ailleurs. Personne n’est venu me demander ce que j’allais faire. Il n’y a pas eu d’accompagnement. Ce sont les règles technocratiques qui se sont imposées. Cet épisode semble anecdotique mais c’est quand même quelque chose de changer de médecin après quarante ans… » Son projet aujourd’hui : ouvrir une maison médicale dans son quartier. « Les maisons médicales restent un lieu d’accueil pour toute la population, pour des personnes que d’autres médecins essayeraient d’éviter. Ce ne sont pas des consultations ‘guichets’, on n’est pas juste ‘gérés’ techniquement. J’ai toujours l’impression qu’on y prend le temps et qu’il y a une bonne attention aux gens. Cela reste la référence. Mais quand on parle des maisons médicales, on fait souvent référence aux fondateurs… Or il faut que le projet continue à vivre ! Cette militance doit être redéfinie collectivement. C’est un projet remarquable qui doit être renouvelé en évitant le piège de la technocratie. Comment se positionne-t-on face à des questions de santé plus larges comme la place des assurances santé, l’évolution de l’assurance chômage ? Il y a eu au sein des maisons médicales un resserrement vers un positionnement ‘technique médicale’ qui m’ennuie. Nous évoluons dans un courant de résignation générale. Il faut remettre du politique dans le projet. »
Documents joints
Cet article est paru dans la revue:
Santé conjuguée, n° 78 (Numéro spécial Congrès) - mars 2017
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