Les personnes exclues des soins formels : une étude de Médecins du Monde
Fidèle Kabera Mugabe, Kathia van Egmond, Edith Hesse, Stéphane Heymans, Michèle Dramaix-Wilmet
Santé conjuguée n° 65 - septembre 2013
Les centres de consultation de Médecins du Monde accueillent les personnes exclues des soins formels. Ces personnes cumulent souvent les vulnérabilités[A,B] et leur risque de morbidité est accru. Qui sont-elles, de quoi souffrent-elles plus précisément ? A partir de données collectées en routine, les centres bruxellois et anversois de Médecins du Monde ont étudié ces questions auprès de 14.371 consultants pendant six ans (2006- 2011).
Diversité
Plus de 60% des répondants sont de sexe masculin, l’âge moyen est de 33,2 ans, environ 65% sont des étrangers en séjour illégal et 80% n’ont pas d’assurance maladie. La grande majorité de ces personnes sont célibataires et ne vivent pas en famille. Les origines sont variées et le profil des deux villes est un peu différent en ce qui concerne la proportion d’Asiatiques et de Maghrébins.Pathologies1 : liées aux conditions sociales
Le graphique 1 montre que les problèmes de santé prédominants sont ostéo-articulaires (18,5%), dermatologiques (11,5%), digestifs (11,3%), oto-rhino-laryngologiques (11,2%). Les problèmes psychologiques (9%) tendent à augmenter au fil des années. Ces problèmes sont directement liés aux conditions de vie. Le travail joue ici un rôle important : la plupart des personnes sans séjour légal n’ayant pas droit au travail, elles doivent souvent, pour pouvoir simplement survivre, travailler au-delà de leurs capacités physiques, dans des conditions très dures échappant à toute réglementation. Ces conditions du travail sont à l’origine de la plupart des problèmes ostéo-articulaires, lombalgies, tendinites etc., qui peuvent aussi être d’ordre psychosomatique ou/et liés aux conditions de logement. Les problèmes dermatologiques, digestifs et oto-rhino-laryngologiques sont typiques des conditions de vie difficiles : les situations de promiscuité, fréquentes vu les difficultés de logement, favorisent leur transmission. Les études récentes conduites aux Etats-Unis et au Canada font le même constat. Les problèmes clairement identifiés comme psychologiques sont associés à l’âge, au fait de ne pas vivre en famille, à la région d’origine et au cumul d’autres pathologies. On observe également que pour ces patients, la durée de prise en charge est plus longue (modèle de régression logistique)Les grossesses : une augmentation significative
Les femmes sont le plus souvent célibataires ; leur moyenne d’âge est de 28.4 ans (entre 20 et 45 ans). Selon les années, entre 3 et 10% ont moins de 20 ans. Elles n’ont en général pas d’assurance maladie ni de droit au séjour. Plus du tiers viennent d’Afrique subsaharienne, suivies pas les maghrébines et les asiatiques. Dans les deux centres, la proportion des femmes qui viennent consulter pour des raisons liées à la grossesse augmente significativement avec le temps. Cette proportion est deux fois plus élevée à Anvers qu’à Bruxelles.Accès aux soins : comparaison entre les deux centres
Environ deux tiers des personnes consultent les centres une seule fois, tandis qu’une proportion non négligeable de personnes consultent pendant un an ou plus ; on observe des différences entre Bruxelles et Anvers (tableau 3).Evolution de la prise en charge des médicaments selon les acteurs
C’est avant tout les organismes humanitaires qui prennent en charge les médicaments, et ceci de manière croissante (de 22% en 2006 à 40% en 2011) ; la participation des organismes publics diminue clairement, celle des mutuelles reste stable (tableau 4). La santé des personnes exclues des soins est un défi majeur pour la santé publique En Belgique, l’accès aux soins est conditionné par le statut administratif et par le fait d’avoir un domicile légal. Les personnes qui n’arrivent pas à remplir ces deux conditions[C] sont dans une situation de grande précarité et bien souvent dans un état de désaffiliation sociale, – deuxième cause de précarité en Belgique comme dans les autres pays de l’Union européenne[C, D]. L’immigration irrégulière reste la première cause d’exclusion aux soins, et les personnes vivant cette situation rencontrent différents problèmes de santé liés à leurs mauvaises conditions de vie. La durée prolongée de prise en charge, pouvant aller jusqu’à trois ans, révèle les difficultés d’accès aux soins, la chronicité et la persistance de ces difficultés. On ne peut par ailleurs pas oublier les stratégies adoptées par les personnes en séjour irrégulier : certaines évitent de recourir aux institutions publiques par crainte de se faire arrêter et expulser. Les écarts observés entre Bruxelles et Anvers sont dûs à la différence des politiques menées par ces deux vielles en matière d’accès aux soins pour les plus démunis. En fait, chaque CPAS interprète et applique la loi à sa manière : il dispose d’une grande autonomie de décision quant à la prise en charge des frais médicaux d’une personne. Et comme il existe autant de CPAS que de communes – soit 19 à Bruxelles – cela veut dire qu’il y a 19 procédures et politiques différentes à Bruxelles au lieu d’une seule pour obtenir de l’aide. Les contextes politiques différents peuvent expliquer qu’à Bruxelles un plus grand nombre de personnes démunies parviennent à avoir de l’aide médicale d’un CPAS qu’à Anvers.Documents joints
Cet article est paru dans la revue:
Santé conjuguée, n° 65 - septembre 2013
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