Les maisons médicales, terreau de l’éco’ pop’ ?
Pauline Gillard
Santé conjuguée n°109 - décembre 2024
Les maisons médicales contribuent-elles au déploiement d’une écologie attentive aux spécificités sociales et culturelles des milieux populaires ? Quelles pistes s’offrent à elles pour impliquer les laissés-pour-compte de l’écologie dominante ?
En raison de leur ancrage local, de leur souci d’inclusion de toutes les franges de la population et de leur approche globale de la santé, les maisons médicales paraissent constituer un terrain propice au développement d’une écologie populaire, définie comme une écologie ancrée dans les préoccupations et les vécus des milieux populaires qui vise à se réapproprier collectivement son milieu de vie et à agir sur celui-ci.
À la lumière des entretiens réalisés avec des intervenants en santé communautaire, appréhender frontalement l’écologie avec les patients s’apparente à un défi. Beaucoup l’approchent par petites touches, sous l’angle de la santé, à travers une variété d’activités : marche, jardinage, cuisine, sensibilisation aux impacts des pollutions sur la santé, etc. Aussi diverses soient-elles, ces démarches ne se réclament pas de l’écologie populaire. Pouvons-nous pour autant conclure qu’elles n’en relèvent pas ?
Une écologie qui ne dit pas son nom
Dans une enquête sur les rapports des milieux populaires à l’écologie, les sociologues Gaëtan Mangin et Alex Roy dessinent les contours d’une écologie populaire « appréhendée au concret, nichée dans les actes ordinaires et ancrée dans un territoire de vie disponible et atteignable » qui s’appuie, sous la contrainte économique, sur des pratiques de débrouillardise faites de réparation, de bricolage, de jardinage, d’économies d’énergie, etc.1 Ils mettent en lumière l’attachement des classes populaires à leur environnement proche et identifient des enjeux de transmission culturelle liés à l’héritage et à la perpétuation de modes de vie sobres fondés sur des valeurs inhérentes à la culture populaire : anti-gaspillage, éthique de l’effort, apprentissage, plaisir de faire soi-même…
D’après eux, ces logiques relèvent d’une « écologie de la subsistance qui ne dit pas toujours son nom » sur lesquelles les associations peuvent s’appuyer pour susciter l’engagement collectif des personnes défavorisées. Ces chercheurs soulèvent également le caractère fécond du mode d’action fondé sur « l’agir ici et maintenant », en marge des pouvoirs publics, et sur une posture inductive et non moralisatrice qui laisse émerger les définitions et les représentations des premières et des premiers concernés, et qui valorise les savoirs vernaculaires et le partage de savoirs entre pairs.
Quid en maison médicale ?
Les activités de santé communautaire proposées en maison médicale rencontrent en partie ces orientations : action territorialisée, prise en compte des préoccupations et des souhaits des publics, rejet des prescriptions moralisatrices, valorisation des savoirs en présence, etc. Bien que ces initiatives soient encore clairsemées et qu’elles s’organisent de façon peu concertée, nous pouvons considérer qu’elles participent dans une certaine mesure au déploiement « d’une démarche écologique qui entend valoriser les savoirs expérientiels, lutter contre les inégalités environnementales sans le revendiquer, expérimenter des systèmes écologiques de circulation de biens ou de services alternatifs à la société de consommation et susciter un processus d’engagement dans les milieux populaires » 2.
S’inspirer d’autres initiatives
On ne compte plus les associations et les collectifs militants qui travaillent de concert la question sociale et la question écologique en prenant possession d’espaces menacés par l’accaparement des plus nantis et en (ré)apprennant à prendre soin du vivant. Une partie de ces mobilisations associent les milieux populaires et peuvent inspirer les maisons médicales.
Depuis 2017, le projet de cohésion sociale « De Là Haut » porté par le centre culturel d’Evere L’Entrela’ a pour mission d’améliorer le vivre-ensemble au sein de la cité sociale Everecity et d’accompagner les initiatives citoyennes. Grâce au soutien de Bruxelles Environnement, le projet de quartier durable et citoyen « City Zen » est né. Son coordinateur, Youen Arts, témoigne : « Des habitants nous ont d’abord interpellés pour pouvoir travailler des parcelles abandonnées qui appartenaient à Everecity. Les objectifs du groupe étaient d’accéder à de la terre, se nourrir, tenter des choses, éprouver du plaisir, se détendre, briser l’isolement, etc. Ce n’était absolument pas de l’écologie. Puis, plusieurs personnes se sont greffées au projet, dont un apiculteur. Il a fait déguster son miel et montré ses ruches. Et les gens, par le goût et la beauté, ont adhéré progressivement aux valeurs de l’agriculture biologique. Des personnes ont bénéficié de formations en apiculture et en maraîchage. Pour certains, c’était le premier diplôme de leur vie. Des habitants ont ensuite voulu créer un verger sur un terrain jouxtant le potager que la commune projetait de bétonner pour faciliter l’accès à une déchetterie. Nous y avons planté des arbres sans permission et nous nous sommes organisés pour permettre l’accès des habitants à cette terre. La désobéissance civile est un excellent moteur pour encourager l’action collective. »
Favoriser le faire ensemble
Charlotte Renouprez, présidente du mouvement des Équipes populaires, constate que beaucoup de groupes de citoyens qui s’emparent de l’écologie populaire démarrent autour du faire ensemble. « Si au départ ces démarches collectives ne sont pas forcément politiques (tricot, cuisine, production de produits cosmétiques et de produits d’entretien…), elles le deviennent grâce au fait que les gens se regroupent, font quelque chose ensemble, discutent. C’est le rôle de l’animateur ou de l’animatrice de faire des liens avec des enjeux plus globaux et d’amener des réflexions plus politiques. » Elle s’arrête également sur l’importance de susciter l’intérêt du public. « Par exemple, dans le groupe “Aumale vit” à Anderlecht qui s’est approprié un terrain communal abandonné depuis plusieurs années, les activités qui fonctionnent le mieux, ce sont les ateliers de bouturage et le troc de plantes. Les habitants du quartier sont contents parce qu’ils repartent avec quelque chose de tangible. En même temps, ils ont appris quelque chose et ont eu des moments d’échange avec leurs voisins. Il faut donc analyser l’intérêt direct des participants, sans perdre de vue l’intérêt politique, à plus long terme. » Chiara Lefevre, médecin généraliste à la maison médicale La Brèche à Châtelet, veille aussi à prévoir un « petit appât » lors des activités : « À Noël, nous avons confectionné une brume parfumée, mais en réalité, le but c’était de discuter des produits ménagers toxiques. »
Stephanie Devaux, promotrice en santé communautaire à la maison de santé Espace Temps à Gilly recommande de « ne pas se lancer trop vite dans un projet de trop grande envergure, de diagnostiquer les besoins et de prendre en considération ce qui existe déjà dans les réseaux locaux pour voir comment s’y impliquer. S’il s’agit de créer un jardin collectif, il faut s’accorder avec les habitants sur sa finalité, en faire avant tout un lieu d’accueil et miser sur d’autres activités qui peuvent s’y dérouler ».
Politiser sa démarche
« Lutter contre la dépossession écologique des classes populaires […] ne consiste pas à les aider à mieux s’approprier les refrains écologistes dominants en les “sensibilisant” davantage ou bien en formulant différemment le même message pour qu’il “passe mieux” », rappelle le sociologue Jean-Baptiste Combye[fn_note]J.-B. Comby, « À propos de la dépossession écologi[/efn_note]que des classes populaires », Savoir/agir n° 33, septembre 2015.[/efn_note]. Le défi consiste au contraire à créer les conditions de leur participation et à politiser les démarches, en articulant les actions locales aux enjeux globaux. En outre, il importe que l’écologie soit « mise en mots » et assumée comme préoccupation centrale des activités proposées, selon Gaëtan Mangin et Alex Roy, car « lorsque l’écologie reste latente sans être posée au sein du groupe, cela freine le processus d’émancipation. En réalisant les impacts de son action par sa mise en perspective avec des enjeux plus vastes, il est en effet possible de favoriser le développement d’un sentiment de pouvoir d’agir sur la société, et de générer des effets positifs en termes d’estime sociale » 3.
Cet article est paru dans la revue:
Santé conjuguée, n°109 - décembre 2024
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