La culture participe à la bonne santé d’une communauté, c’est même un moteur puissant de bien-être. Dans cette optique, le projet imaginé par les centres culturels du Nord-Ouest de Bruxelles a permis de toucher des personnes qui ne fréquentent pas forcément ce type de lieux, de tisser du lien social et de leur confier une programmation dans un objectif d’empowerment, ce processus par lequel un individu est amené à prendre des décisions visant à acquérir plus d’autonomie quant à sa vie, sa santé.
Il n’a pas fallu longtemps aux chargées de santé communautaire de la maison médicale Kattebroek, à Berchem-Sainte-Agathe, et des maisons médicales Esseghem et Tournesol, à Jette, pour plonger dans l’idée d’un projet autour du film court. Ensemble, centres culturels et maisons médicales ont construit le projet « Les maisons médicales font leur cinéma ». Face au constat que la crise du Covid a fortement contribué à disloquer le lien social, qu’aujourd’hui encore un certain nombre de patients et de patientes souffrent d’isolement, ces partenaires ont décidé de programmer des ateliers à un horaire qui attirerait des personnes ne se trouvant pas sur le marché du travail.
Appel a été fait à l’asbl 68 Septante, dont la Vidéothèque Nomade recèle un trésor de films courts, fictions, documentaires, animations. Traitant de sujets légers et graves, convoquant l’humour, la poésie, l’absurde, ils constituent autant d’invitations à délier les langues et à échanger les points de vue. Cette association a aussi cette capacité de fonctionner tout-terrain, de s’adapter à toutes les configurations possibles, qu’elles soient de l’ordre du contenu (une multiplicité de fils rouges peuvent être tirés entre les films proposés) ou de l’animation du groupe en présence.
Accompagner
Les chargées de santé communautaire des maisons médicales ont mené un large travail de communication auprès de leurs publics en identifiant les personnes susceptibles de répondre favorablement à la proposition, en les contactant personnellement, en les accompagnant au sens propre comme au figuré dans le projet puisqu’elles leur donnaient rendez-vous dans leur maison médicale « mère » pour rejoindre les maisons médicales « sœurs » où avaient lieu les ateliers. Le groupe était constitué d’une vingtaine de personnes qui, si elles étaient à l’aise avec la langue française, pouvaient être plus vulnérables à d’autres égards. Toutes étaient attirées par l’originalité de la proposition et, avant tout, mues par leur intérêt pour le film court.
Explorer la créativité et susciter la réflexion
Huit ateliers de deux heures se sont tenus pendant l’automne 2023, tour à tour dans ces trois maisons médicales, les patientes et les patients accueillant les autres membres du groupe avec un joyeux « Bienvenue dans MA maison médicale ! ». D’atelier en atelier, le groupe se consolidait, les personnalités se dévoilaient, les liens se tissaient. Une trentaine de films courts ont été visionnés, suscitant moult discussions, laissant la place à tous les points de vue et faisant œuvre de démocratie. Tant de films différents ont été vus, que « même si un film t’a pas plu, c’est pas grave, il y en a plein d’autres chouettes », souligne un membre du groupe. Le groupe a découvert à quel point le film court met en jeu une multiplicité de techniques artistiques (pellicule, dessin, gravure, collage, sculpture) et une inventivité sans fin.
Dans la foulée, le groupe a élaboré une programmation pour trois moments de projection tout public au centre culturel La Villa (Ganshoren), au centre culturel de Jette et au centre culturel Archipel 19 (Berchem-Sainte-Agathe). Ce qui a guidé leur choix était précisément de ne pas chercher à définir un fil conducteur, mais de laisser la place aux coups de cœur. L’envie était de montrer des films donnant à réfléchir et de ponctuer la soirée de propositions plus légères et joyeuses. C’est ainsi qu’a été projeté Le mal du siècle de la Québécoise Catherine Lepage, traitant du burn-out, le savoureux Kin de l’atelier collectif Zorobabel, évoquant l’art de la débrouille et du recyclage en République démocratique du Congo. Un petit clin d’œil a été adressé aux maisons médicales avec Ceci n’est pas un trou de Lucie Thocaven, qui revient avec pédagogie et un ton humoristique sur l’histoire de la Sécurité sociale et son fonctionnement. Les horaires ont été choisis de manière à attirer des publics ayant des modes de vie différents : en après-midi pour toucher des personnes qui n’apprécient guère de sortir de chez elles une fois la nuit tombée et en soirée pour attirer un public plus large travaillant pendant la journée.
Participer, à tous les échelons
Des rôles tournants ont été répartis au sein du groupe : qui pour distribuer les programmes, qui pour assurer la présentation introductive, qui pour gérer le temps, qui pour modérer les discussions avec les personnes invitées (réalisateurs et réalisatrices, personnes chargées de la diffusion des films). Des participantes se sont donné rendez-vous afin d’approfondir leur réflexion et la manière dont elles allaient s’adresser à la salle. Le groupe a commencé à prendre vraiment corps et à se vivre comme groupe au moment où il ne s’est plus seulement agi d’exposer son point de vue, mais de décider d’une programmation et de se distribuer les rôles. Des talents ont émergé, pas nécessairement identifiés par les membres du groupe eux-mêmes. Tel T., qui se disait timide. Il s’est lancé sur scène dans une série de questions spontanées à un invité ; et N., que l’on a découverte en présentatrice hors pair. Chacune et chacun a pris sa place différemment, et si certains ont été plus prolixes au cours des ateliers, d’autres ont contribué à faire lien, comme F. et A. qui ont fait la surprise d’arriver à une projection les bras chargés de victuailles soigneusement présentées, contribuant ainsi à une belle convivialité. L’occasion de découvrir que A. était cheffe de cuisine dans des restaurants et hôtels prestigieux et de partager des brins de vie.
Le public en présence lors des projections comprenait les membres du groupe, bien entendu, de même que des membres d’autres maisons médicales comme Calendula, à Ganshoren. Les collègues soignantes et les soignants des maisons médicales du Nord-Ouest ont aussi pu participer à l’une des projections et ainsi sortir de leur cadre et profiter d’une activité programmée par leurs patientes et patients. Passer du rôle de celui à qui l’on dispense des soins et de l’écoute à celui qui propose une programmation culturelle et prend la parole sous les feux des projecteurs constitue une expérience plébiscitée par tout le monde et qu’une grande partie du groupe souhaite vivre à nouveau.
Démocratisation de la culture et démocratie culturelle
Les centres culturels constituent des lieux de réflexion, de mobilisation par, pour et avec les populations. Au niveau local, ils sont les premiers lieux de rencontre entre la culture et les habitants. En offrant la possibilité au plus grand nombre d’accéder à la culture, ce projet mené avec les maisons médicales répond pleinement à l’objectif de démocratisation de la culture qui constitue l’une des grandes missions des centres culturels. Par ailleurs, il a permis de répondre à un enjeu de démocratie culturelle : des citoyennes et des citoyens se sont engagés dans un processus de réflexion aboutissant à la programmation de trois soirées de projection de films. Ce faisant ils sont devenus des partenaires actifs de la vie culturelle de leur quartier.
Un projet qui coche toutes les cases et qui a fait la fierté de toutes et tous : membres du groupe, équipes des maisons médicales, animateur de la Vidéothèque et chargée de projets des centres culturels du Nord-Ouest.
Cet article est paru dans la revue:
Santé conjuguée, n°106 - mars 2024
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