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Il y a un peu plus de quarante ans s’ouvrait la première maison médicale financée au forfait en Belgique. L’occasion de rappeler à quel point ce mode de financement des soins alternatif s’inscrit dans une philosophie de santé publique chère au mouvement des maisons médicales.

Le forfait est un contrat tripartite fixé entre une maison médicale, le patient et sa mutuelle. Les prestataires de soins de la maison médicale s’engagent à offrir des soins de première ligne (médecins, kinésithérapeutes, et infirmiers) au patient, celui-ci s’engageant à ne consulter que dans la maison médicale dans laquelle il est inscrit pour ces soins primaires ; son organisme assureur (sa mutuelle) verse en échange une somme mensuelle fixe à la maison médicale, quelle que soit la consommation de soins1. Contrairement au financement à l’acte classique, le patient ne doit dès lors plus se faire rembourser ses soins via sa mutuelle après une consultation, le mécanisme du forfait s’en est déjà chargé pour lui.

Que permet le forfait ?

Le forfait, c’est ce financement alternatif de la santé qui s’inscrit dans une logique de « promotion de la santé » plutôt que de « gestion des maladies ». Effectivement, sous l’angle purement financier, le professionnel de santé qui travaille au forfait a tout intérêt à maintenir ses patients en bonne santé parce que ça lui fera moins de travail, son revenu n’étant pas lié à sa prestation. À l’inverse, le soignant qui est financé à l’acte dépend de ses prestations. Exprimé de façon caricaturale : il a intérêt à ce qu’il y ait des malades puisque ses revenus en dépendent.
Le mode de financement forfaitaire instaure donc une culture de travail fort différente, axée sur la recherche d’autonomisation des personnes dans la gestion de leur santé. En outre, il assure une meilleure accessibilité à la santé puisque le patient ne doit rien avancer ou payer de sa poche. C’est également un mécanisme pertinent de solidarité entre les personnes en bonne santé et celles en moins bonne santé, le forfait des uns contribuant à financer les prestations de santé des autres.
Derrière le forfait, la logique de coopération entre les prestataires de soins prévaut sur celle de concurrence, ce qui est un gage de qualité dans la prise en charge globale. Des études2 démontrent par ailleurs qu’en matière de bien-être au travail, les médecins qui pratiquent au forfait parviennent à mieux tenir l’équilibre entre vie professionnelle et privée. Ils ont également une charge mentale moins élevée en raison du support collectif et multidisciplinaire qui les accompagne au quotidien. Enfin, la fidélisation demandée au patient assure une meilleure continuité des soins par l’équipe, qui le connait de mieux en mieux au fil du temps.
Les maisons médicales, nées d’un mouvement contestataire et d’une volonté de rompre avec la médecine à deux vitesses, ont donc trouvé dans le forfait un outil indispensable pour concrétiser leurs valeurs.

D’où vient le forfait ?

En 1982, un tournant majeur s’opère dans le paysage des soins de santé en Belgique avec l’organisation par l’Inami de ce mode de financement des soins. À partir de 1984, les premières maisons médicales commencent à l’adopter3. En réalité, il était déjà inscrit dans la loi depuis le début des années 19604, mais le courage politique manquait pour débloquer les financements publics nécessaires à sa concrétisation sur le terrain. Au lendemain de l’échec d’une grève médicale libérale de lutte contre la régulation publique des dépenses de Sécurité sociale du corps médical, sous les conseils experts de la sociologue Monique Vandormael, les représentants des fédérations flamande et francophone des maisons médicales (Ri De Ridder, Marco Dujardin, Michel Roland, Jan De Maeseneer) ont profité de la brèche politique ouverte par ce conflit pour proposer un calcul financier du forfait qui assure l’équilibre budgétaire de la maison médicale. Dans les grandes lignes, le forfait versé à chaque maison médicale est censé couvrir les besoins de soins des patients inscrits. Son calcul se base sur la moyenne des dépenses classiques du financement à l’acte pour un citoyen lambda et sur différents indicateurs reflétant les caractéristiques médicales et sociales de la population soignée (il est prouvé que les personnes à faible revenu sont en moins bonne santé donc consomment plus de soins quand ceux-ci sont accessibles5). Le calcul intègre aussi les économies qui seront générées en seconde ligne de soins si les bénéficiaires sont pris en charge de façon globale et préventive, comme cela a été observé lors de différentes études en 2008 et 201867.
Dans les soins de première ligne, le forfait comparé à l’acte coûte donc plus cher, mais si on intègre dans l’analyse la variable sociologique de la population soignée et les économies qu’il permet dans les soins aigus de seconde ligne, il représente une économie publique. En d’autres termes, les personnes soignées au forfait accèdent plus facilement au système de soins de santé et restent en meilleure santé sans que cela coûte plus cher aux finances publiques.
Au fil des ans, le forfait a permis aux maisons médicales de se développer et de déployer des démarches créatives en santé publique, dans l’éducation thérapeutique aussi bien que la promotion de la santé.

Un avenir prometteur, à condition de maintenir le système vertueux

Aujourd’hui, alors que notre système de santé est confronté à de nombreux défis – vieillissement démographique, augmentation des inégalités sociales de santé, dégradation de la santé mentale –, le forfait en maison médicale apparait plus que jamais comme une solution d’avenir. Sa capacité à garantir une prise en charge sociosanitaire de proximité accessible et de qualité en fait un modèle à valoriser et à soutenir.
Entre 2011 et 2020, nous avons enregistré la construction de neuf nouvelles maisons médicales au forfait par an. Toutefois, nous ne sommes pas à l’abri de dérives de marchandisation de ce mode de financement. Effectivement, économiquement, le forfait ne fonctionne que si les soignants jouent le jeu de mettre en œuvre les valeurs qui le sous-tendent : accessibilité, prévention et promotion de la santé, autonomisation de la personne, multidisciplinarité, continuité des soins, solidarité… Dans certaines régions du pays, des mégastructures de soins se déploient au forfait dans un but de rentabilité économique plus que de santé publique. Les patients y sont incités à s’inscrire en masse (10 000 patients par structure) et consultés à la chaine. Si ce modèle rapporte le gros lot à leurs gestionnaires, nous sommes bien loin du centre de santé intégrée proche des besoins de la communauté de patients et le risque de voir des groupes cotés en bourse s’intéresser au rachat de ces structures – comme c’est le cas dans les maisons de repos privées – est alors à prévoir.
À l’inverse, des équipes plus proches des philosophies sociales alternatives développent des projets dont l’effectif ne dépasse pas 350 patients inscrits par équivalent temps plein médecin (à titre de comparaison, la patientèle d’un médecin généraliste à l’acte tourne autour du millier). Les promoteurs de ces projets de plus petite taille privilégient la qualité des soins à la quantité. Pour assurer l’équilibre budgétaire, ils sont à l’affut des moindres subsides publics. Il faut se rendre à l’évidence que, avec l’enjeu majeur actuel de la pénurie de soignants et en sachant que près d’un citoyen sur trois n’a pas de médecin généraliste attitré, ce modèle ne tient pas la route tant d’un point de vue économique que de santé publique. Il y a dès lors lieu de trouver une vision équilibrée entre le modèle « capitaliste » et le modèle « minimaliste » pour que les maisons médicales puissent assurer des soins de qualité aux citoyennes et citoyens.
Célébrer ici quarante années de pratique du forfait permet de réaffirmer l’importance d’un système de santé basé sur des soins primaires globaux, intégrés, continus, accessibles et participatifs. C’est faire honneur à l’ensemble des professionnels de soins qui s’engagent au quotidien pour orienter leur pratique vers l’amélioration de la santé publique de toutes et tous et non leur profit individuel.

 

  1. Inami, « Maison médicale : une prise en charge forfaitaire des soins de santé »,www.inami.fgov.be.
  2. SPF Santé publique, Analyse de l’emploi du temps des médecins généralistes, avril 2023.
  3. A. Hendrick, J.-L. Moreau, De A à Z. Histoire(s) du mouvement des maisons médicales, Fédération des maisons médicales, 2022.
  4. Art. 34ter de la loi du 9 août 1963 instituant et organisant un régime d’assurance obligatoire soins de santé et indemnités, tel qu’inséré par la loi du 8 avril 1965 modifiant la loi du 9 août 1963 instituant et organisant un régime d’assurance obligatoire contre la maladie et l’invalidité, modifiée par les lois des 24 décembre 1963 et 6 juillet 1964.
  5. Des faits et des chiffres : inégalités sociales de santé, Service de lutte contre la pauvreté, la précarité et l’exclusion sociale, https://luttepauvrete.be.
  6. L. Annemans et al., Comparaison du coût et de la qualité de deux systèmes de financement des soins de première ligne en Belgique, KCE reports 85 B, Centre fédéral d’expertise des soins de santé, 2008.
  7.   M. Boutsen et al., Comparaison des coûts et de la qualité de deux systèmes de financement des soins de première ligne en Belgique : une mise à jour, Agence Intermutualiste, 2017, https://aim-ima.be.

Cet article est paru dans la revue:

Santé conjuguée, n°108 - septembre 2024

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