La prévention quaternaire, une tâche du médecin généraliste
Thomas Kuehlein, Allemagne, Donatella Sghedoni, Italie, Giorgio Visentin, Italie, Juan Gérvas, Espagne, Marc Jamoulle, Belgique
Santé conjuguée n° 55 - janvier 2011
La prévention quaternaire est la prévention de la médecine non nécessaire ou la prévention de la surmédicalisation. Le principe « primum non nocere » est central à l’exercice médical. Empêcher l’excès d’intervention médicale est une obligation particulière à la médecine générale. Nous faisons ici rapport d’un séminaire tenu à ce sujet lors de la quinzième conférence de WONCA Europe à Bâle en septembre 2009. Dans un monde obsédé par la question de la santé et la tentation du « faire », il est indispensable d’évaluer la pertinence des actes médicaux. Le domaine de la prévention s’encombre de nouvelles maladies et de propositions thérapeutiques. Ceci impose de repenser les objectifs et la philosophie sous-jacente des soins de santé primaires. Haut degré d’incertitude, faible prévalence, maladies graves, voici les ingrédients de la tâche la plus difficile des médecins, celle de décider de « ne pas faire » et de protéger les patients de la médecine non nécessaire. Cette attitude se fonde tant sur l’analyse des probabilités des études cliniques que sur l’histoire individuelle de nos patients.
Nous proposons de faire de la prévention quaternaire une tâche explicite du médecin généraliste. T.M. 62 ans et jusqu’à ce jour en bonne santé vient voir son médecin traitant1. Il a lu, dans un journal reçu à la pharmacie, que le nombre de cancers de la prostate diagnostiqués chez les hommes de son âge ne cesse d’augmenter. Il demande un dépistage du cancer de la prostate et un dosage de l’antigène prostatique spécifique – PSA. Les frais du test ne sont pas couverts par l’assurance mais il veut le payer lui-même. Il n’a pas de problème de miction ni de vie sexuelle. Il n’y a pas d’histoire de cancer de la prostate dans sa famille. Il dit « Vous savez, je suis en bonne santé. Mais je sens que je vieillis et ma femme dit que je dois faire le nécessaire pour rester en bonne santé. ». Quel doit être le conseil du médecin ?L’atelier de Bâle
Nous faisons ici rapport d’un atelier tenu lors de la conférence de WONCA Europe sous le titre « Prévention quaternaire ». Soyons explicite : la prévention quaternaire est la prévention de la surmédicalisation ou de la médecine non nécessaire. Un des principes fondamentaux de la médecine est primum non nocere. L’idée est de détecter les patients à risque d’excès de procédures médicales (qui vont probablement leur faire plus de mal que de bien) et de leur offrir une alternative acceptable. Un atelier permet de présenter des faits et des idées mais aussi de se nourrir des apports des participants. Nous avons eu trois présentations sur le sujet, suivis de vives discussions. Dans cet article nous développons le sujet en utilisant les apports des participants de l’atelier. Prévention primaire, secondaire, tertiaire et quaternaire – maladie du patient et maladie du médecin2 Les niveaux de prévention ont été définis et utilisés de différentes façons [1]. Le terme prévention quaternaire lui-même a plusieurs acceptions [2]. En tant que médecins généralistes, nous nous référons au concept de prévention tel que publié initialement par un des auteurs, Marc Jamoulle, en 1986 [3]. Ce concept a été accepté par le Comité international de classification de la WONCA et publié en 2003 dans le WONCA Dictionary of General/Family Practice [4]. Leavell and Clark ont dé ni en 1958 préventions primaire et secondaire comme des mesures de santé à prendre avant et après qu’une maladie n’émerge. Dans ce modèle, la prévention secondaire se limite aux stades précoces de maladie détectés par exemple par dépistage, la prévention tertiaire concerne l’évitement des complications de maladie déjà cliniquement manifestes et la mise en place de procédures de réhabilitation [5]. Il s’agit d’une approche de santé classiquement centrée sur le médecin. Le concept proposé par Marc Jamoulle détermine une nouvelle stratégie en combinant la vision du patient et celle du médecin et en élaborant un concept de prévention basé sur cette relation. Sa façon d’aborder le concept de prévention fait rupture avec l’approche chronologique habituelle. Ce concept est interprété comme la rencontre de la perception du patient (maladie ou santé) et de l’évaluation du médecin (maladie ou pas maladie). Quand nous utilisons les concepts de maladie vécue par le patient (illness) et de maladie comme appréciation du médecin (disease), nous nous référons au livre de Arthur Kleinman, « The Illness Narratives – Suffering, Healing and the Human Condition » [6]. Figure 1 : Différentes formes de prévention selon le modèle relationnel.Kleinman distingue les deux concepts. Il évoque la maladie (illness) en tant que « les principales difficultés que les symptômes et le handicap créent dans notre vie ». La maladie (disease) est par contraste ce que « le praticien crée en repositionnant le vécu malade subjectif du patient dans le cadre de la pathologie médicale théorique ». La maladie est ce que les praticiens ont été entraînés à voir au travers des lentilles théoriques de leur forme particulière de pratique. C’est-à-dire que le praticien recadre les problèmes de santé du patient et de sa famille en tant que questions purement techniques. La sensation d’être malade ne rencontre pas nécessairement le jugement du docteur qu’une maladie est présente. D’un autre côté, il y a de plus en plus d’étiquettes de maladies collées à des patients qui vont parfaitement bien. En réalité les maladies dites « chroniques » telles que l’hypertension, diabète et ostéoporose sont des maladies de non malades. Comme Charles Rosenberg l’a écrit : « …la médecine contemporaine et la bureaucratie ont construit des entités morbides comme acteurs sociaux réels grâce à des tests de laboratoire, la définition de seuils pathologiques, les facteurs de risque dérivés statistiquement et autres objets de prime abord sans valeur biomédicale. » [7]. La figure 1 donne une idée de cette nouvelle façon de classifier la prévention. Par rapport à la table originale (http ://docpatient.net/mj/P4_ citations.htm), nous proposons ici une vision dichotomique et d’exclusive mutuelle d’une maladie présente ou absente en contraste avec le continuum existant entre se sentir malade et se sentir bien portant. Prévention primaire, secondaire et tertiaire sont des tâches bien connues des médecins. Dans la prévention primaire, il n’y a ni malade ni maladie. Stricto sensu le patient n’est pas un patient. Les mesures préventives seront par exemple de parler de style de vie et de faire des vaccinations. Dans la prévention secondaire, il y a des états de maladie auxquels on peut donner l’étiquette de maladie, la plupart sont en fait des facteurs de risque et en tant que tels ; on peut se demander s’ils doivent être des entités maladie à part entière. Un autre exemple en serait les stades précoces de la maladie détectée par le dépistage comme par exemple le cancer de la prostate précoce. L’être, maintenant appelé patient, se sent parfaitement bien sauf à être menacé par la connaissance d’un état de maladie potentielle. Les étiquettes de maladie comme hypertension, diabète de type II ou hypercholestérolémie sont dé nies par des marges arbitraires dans un continuum de mesures relevées. L’objectif de la prévention secondaire est de réduire le risque d’apparition de certains critères de ces conditions comme par exemple l’infarctus du myocarde, l’accident vasculaire cérébral ou les fractures. Donc, à strictement parler, le traitement de l’hypertension n’est pas un traitement puisque le patient n’est pas malade. Le concept de facteur de risque n’est pas neuf mais il a gagné en popularité en peu de temps [8]. La plupart des patients présentant des facteurs de risque ne développera malgré ces facteurs, jamais de complications. Néanmoins, il est possible d’appeler ces patients malades chroniques ou multimorbides s’ils ont plus d’un facteur de risque. Il ne faut pas effrayer nos patients en leur faisant prendre conscience que la vie est en soi un facteur de risque de décès, alors qu’en fait il s’agit d’une prédisposition à la mort (Figure 2). Figure 2 : Aider le patient à gérer l’incertitude ?
On sait que les facteurs de risque sont d’une importance relative. Par exemple, on sait qu’en prévention secondaire, il n’y a pas lieu de traiter l’hypercholestérolémie si le risque global de complications cardio-vasculaires est faible. D’autre part, on peut tenter de protéger, par la prescription d’une statine, un patient dont le taux de cholestérol est relativement bas si son risque général est élevé. Un autre problème lié à l’activité préventive secondaire est les stades très précoces de maladies révélés par le dépistage. La majorité des hommes de plus de 80 ans ont un cancer de la prostate [9]. Peu d’entre eux en mourront [10]. La prévention tertiaire est le seul point où coïncident maladie et malade. Prenons un patient qui a eu un infarctus du myocarde. Ce patient n’est plus seulement à risque de faire un infarctus mais en a déjà fait un. Il a un très haut risque d’en faire un autre dans un futur proche. Il faudra tenter de le prévenir avec tous les moyens possibles, du moins si cela a du sens dans les circonstances de vie du patient et si c’est sa volonté. Dans la prévention quaternaire, nous faisons face au malade sans maladie. Alors que le patient se vit malade et mérite une étiquette de maladie, les médecins, comme proposé récemment, étiquetteront la plus grande part de ses maladies comme MUS3, acronyme anglais de symptômes médicaux inexpliqués [11]. Beaucoup de termes et de concepts sous-jacents ont été utilisés dans l’histoire médicale pour ce genre de situation [12]. Un de ces termes est la maladie psychosomatique. Malgré la présence du mot somatique, le concept place clairement la cause du côté psychique, l’effet se ressentant uniquement au niveau du corps. D’un autre côté, on fait des efforts pour construire des étiquettes telles que fibromyalgie, bien accueillie par les patients qui se sentent alors déchargés du blâme que représente une maladie psychique. Tous ces symptômes ont comme caractéristique commune d’ouvrir toutes grandes les portes de procédures diagnostiques interminables. La plupart d’entre elles auront des résultats normaux, beaucoup seront à la limite ou faussement positives. Les conséquences en seront des tests diagnostics ininterrompus et des prescriptions de traitements jamais validés mais avec des effets secondaires bien connus. Le problème est aussi, comme montré dans la figure 1, qu’il y a un continuum entre malade et maladie qui contraste avec la dichotomie entre avoir une maladie et ne pas en avoir. La plupart des gens ont en fait des symptômes à un moment donné [13]. Malgré cela, la plupart d’entre eux ne vont pas consulter un médecin. Mais on peut les y inciter. On pourrait appeler ces patients les malades imaginaires, concept qui est mieux rendu en anglais pas l’expression worried well. En fait, les médias, l’industrie pharmaceutique, les politiciens et la profession médicale, dans une étrange mixture de bonnes intentions et de pro t, ont le potentiel de distiller le doute et de faire surgir les plaintes, mêmes chez des gens en parfaite santé [14, 15]. Un des auteurs, Juan Gérvas a un jour dit dans une présentation : « Je vais vous prouver que vous êtes tous morts ». Ensuite il nous montré une nouvelle recommandation professionnelle pour la décompensation cardiaque [16]. On y définit quatre degrés à la décompensation cardiaque dont le premier concerne les gens sans maladie cardiaque structurelle ni symptôme mais qui sont à risque. A la n de sa présentation sur la décompensation cardiaque, il revint à son affirmation du début. « Maintenant vous pouvez voir que vous êtes tous morts mais heureusement au stade A ». Il y a beaucoup de vérité dans cette plaisanterie. Le stade B concerne les gens qui ont une maladie cardiaque structurelle mais sans signes ou symptômes de maladie. Les personnes étiquetées de degré A et B sont-elles des patients ? Les plaintes des patients nous guident- elles réellement ? S’agit-il d’un élargissement cynique du spectre étroit des patients par les médecins ? En effet, ceux-ci sont de plus en plus spécialisés et du fait de cette spécialisation croissante ont de moins en moins de patients. S’agit-il de l’activité tout aussi immorale de compagnies pharmaceutiques à la recherche de nouveaux consommateurs pour leurs produits ? Personne n’a l’exclusivité de ce domaine. C’est un danger qui nous concerne tous. Ce seront nos patients ou ceux que nous aurons plus ou moins consciemment transformés en patients qui en subiront les conséquences. C’est ce que nous devons avoir à l’esprit quoique nous fassions. Et c’est pour cela que nous pensons qu’il est important d’avoir un nom pour cette tâche ; la prévention quaternaire. Une des réactions de nos patients, qui est aussi le fait de bien des collègues de médecine générale, en face de cette menace à caractère technique de la médecine moderne est de se retirer romantiquement dans ce qu’on appelle la médecine alternative ou complémentaire. Nous pensons qu’il n’y a pas d’alternative à la bonne médecine fondée sur une approche scientifique robuste d’une part et respectueuse des peurs et des souhaits de nos patients d’autre part. Si la médecine moderne manque d’empathie et de compréhension humaine sous sa surface technique et mesurable, il y a un déficit. S’il y a un déficit, nous devons l’identifier comme tel et non l’ajouter sous le label alternatif ou complémentaire. Comment faire la promotion de la prévention quaternaire ? Que pouvons-nous faire dès lors pour promouvoir la prévention quaternaire ? Lors de l’atelier un collègue a fait valoir qu’un généraliste isolé ne peut rien faire face à la puissance écrasante de tant de profiteurs. Mais nous ne sommes pas seuls. L’European Union of General Practitioners – UEMO, la représentation professionnelle des médecins généralistes et médecins de famille en Europe défend l’idée de la prévention quaternaire [17]. Nous pensons que beaucoup peut être fait. En premier lieu, promouvoir le concept en en discutant avec nos collègues, tout en ayant à l’esprit qu’il s’agit de notre quotidien. Nous pensons que la prévention quaternaire est tellement inhérente au monde du généraliste que la plupart d’entre nous l’ont déjà pratiquée d’une façon ou d’une autre, sans l’appeler ainsi explicitement. Pour continuer, nous avons besoin d’armes solides et d’alliés. La décision la plus difficile pour les médecins et leurs patients est celle de ne pas poursuivre certaines mises au point diagnostiques et certaines thérapeutiques [18]. L’esprit humain semble plus enclin à l’action, même inutile ou dangereuse qu’à l’inaction ou même à une approche « attendre et voir ». Cela donne lieu à des absurdités comme ces femmes qui aux États- Unis, continuent à subir des frottis de col alors qu’elles ont subi une hystérectomie complète [19]. Dans ces cas là, il est aisé d’être convaincu de la pertinence du concept de prévention quaternaire. Mais que faire dans ces cas aux limites imprécises et dont on ne sait s’ils sont plus bénéfiques que dangereux ? Un bénéfice perceptible au niveau d’une population ne traduira pas forcément un bénéfice perceptible au niveau individuel. Ceci est probablement le cas dans beaucoup d’option de prévention secondaire. Dans son célèbre article sur les personnes et les populations malades, Geoffrey Rose distingue, sans les mélanger, les causes d’incidence et les causes de cas [20]. La médecine préventive est souvent mal interprétée et fait appliquer des stratégies à haut risque à des patients individuels pour une part de plus en plus grande de la population [21]. L’âge est un des facteurs de risque des plus déterminants pour de nombreuses maladies et pour la mort évitable. Mais il n’y pas de limites claires pour savoir s’il est utile ou futile d’essayer de prévenir une maladie, alors que la probabilité de mourir de tant d’autres maladies fortement dépendantes de l’âge devient l’évidence. Peu de gens accepteront de discuter de la pertinence d’administrer des statines à un patient sévèrement dément ou atteint d’un ulcère de décubitus très sévère. La polymédicamentation et donc la sécurité du patient sont un problème majeur des soins aux personnes âgées. Stopper ou non un traitement relève du médecin généraliste en accord avec le patient ou son entourage. La prévention quaternaire est donc aussi la prévention de la prévention inutile. Une des méthodes les plus rigoureuses pour éviter des actes médicaux inutiles est la médecine basée sur les preuves, communément appelée Evidence Based Medicine (EBM) au sens où elle a été développée par David Sacket et collègues [22]. La connaissance des probabilités du niveau de bénéfices ou de dommages à partir des études cliniques peut nous fournir la confiance nécessaire pour proposer l’abandon de beaucoup de diagnostics ou de thérapies en accord avec nos patients. Si nous restons gés dans la dichotomie « ça marche/ ça ne marche pas », nous ne serons jamais capables d’abandonner un traitement. Mais il ne s’agit pas que de traitement. Chris del Mar et ses collègues Australiens décrivent dans un livre de belle facture à propos de la pensée clinique [23], l’existence d’un dangereux syndrome appelé VOMIT, un acronyme anglais pour « Victim Of Modern Imaging Technology »4. Il est bien plus facile de recommander un test inutile « par sécurité » que de l’écarter. Il est difficile de supporter d’être dans l’erreur en écartant l’une ou l’autre maladie potentiellement à l’origine de la maladie du patient. Et comment expliquer au patient que nous ne trouvons rien, que nous ne pouvons expliquer, que nous ne pouvons aider ? Laisserons-nous le patient seul avec son mal, seulement parce que nous n’avons pas d’étiquette à lui proposer ? En cas de basse prévalence pour la plupart des maladies sévères, la valeur prédictive positive des résultats de tests diagnostiques est très basse, même si leur sensibilité est très élevée.[24]. On peut penser que si nous intégrions mieux les conséquences du théorème de Bayes quant à la validité des résultats de tests positifs, nous deviendrions plus restrictifs dans nos prescriptions de tests. Le problème est que nos professeurs si spécialisés ne connaissent pas cela. C’est la connaissance et non la méfiance qui fait le socle de la prévention quaternaire. L’histoire personnelle de notre patient est un autre point clef de la prévention quaternaire. Face aux circonstances de vie de certains de nos patients, beaucoup d’actes médicaux proposés perdent tout leur sens. Cette approche est appelée Narrative based Medicine [25] ou médecine basée sur l’histoire des patients. Cela nous mène au point clef de la prévention quaternaire ; la communication et la confiance que nous avons acquise par une présence de longue durée. Mais avant de convaincre d’autres de l’importance de la prévention quaternaire, nous pouvons facilement commencer par nos propres pratiques. Nous pouvons commencer par exemple par prescrire moins de tests de laboratoires inutiles lors des mises au point, moins d’imagerie pour les maux de dos et moins de prescription d’antibiotique dans les bronchites et les rhinosinusites, où le bénéfice réel escompté est nul ou quasi nul. Il y a suffisamment de preuves et de recommandations pour nous protéger de l’accusation de faute professionnelle dans les cas rares de complications. La possibilité ou parfois la menace réelle d’une poursuite pour faute professionnelle est un des facteurs les plus importants de réalisation d’actes médicaux inutiles. Nous espérons que nos juges « seront plus indulgents envers nos péchés[Le péché de commission consiste à faire ce que la loi défend, & le péché d’omission à ne pas faire ce qu’elle prescrit. ]] par commission qu’envers nos péchés par omission » [26]. Traiter de nombreux patients pour des complications possibles mais rares avec des médicaments potentiellement dangereux et tout ça « par mesure de sécurité » n’a aucun sens. Les recommandations de nos collèges nationaux de médecine générale indiquent le plus souvent des prohibitions et sont par la même rejetées [27]. Elles ne doivent pas être libellées dans un sens d’interdiction mais vue dans un sens protecteur « il n’est pas nécessaire de ». Un patient demande un test pour la prostate Revenons à notre patient du début. Que lui dirons-nous ? Nous lui dirons qu’il est vrai qu’à son âge de plus en plus de gens se voient diagnostiqués porteurs d’un cancer de la prostate mais que c’est la conséquence d’une activité intense de dépistage. Le taux de mortalité du cancer de la prostate décline quel que soit le pays, avec ou sans dépistage [28]. Nous pourrons lui dire que cette année deux grands essais cliniques ont été publiés dont un ne montre aucun effet [29], et l’autre un effet minimal [30] sur la mortalité par cancer de la prostate. Nous pourrons donner au patient l’une ou l’autre adresse Internet d’information fiable sur la question ou une brochure explicative. En tant que médecin homme, nous pouvons lui dire ce que nous décidons pour nous-mêmes. Nous devons toutefois rester à l’écoute et ouverts à l’éventualité que le patient passe outre nos objections. La prévention quaternaire ne peut être réalisée qu’en accord avec notre patient et jamais contre lui. Le patient est notre meilleur allié en prévention quaternaire s’il se rend compte que nous ne défendons pas un intérêt ou une idéologie personnelle. L’idée n’est pas de se mettre en croisade contre la technologie médicale et le progrès mais de faire preuve d’une approche raisonnable de l’utilisation des actes médicaux. La médecine basée sur la narration La prévention quaternaire est la prévention d’un interventionnisme médical non nécessaire et en tant que tel une des pierres d’angle de la médecine (primum non nocere). Le meilleur moyen de l’accomplir est de mieux écouter nos patients. Ceci a été appelé la médecine narrative ou médecine basée sur la narration (NBM), ce qui implique d’adapter le médicalement possible aux besoins et demandes de la personne. Nous avons besoin d’une relation forte et durable avec le patient et de sa confiance dans notre honnêteté et notre savoir. L’autre moyen important est la médecine factuelle ou basée sur les preuves (Evidence Based Medicine). La connaissance de la valeur prédictive positive des tests diagnostiques, de la probabilité des effets de taille, des bénéfices et danger des traitements et des mesures préventives nous autorise à abandonner de nombreux actes médicaux inutiles. Nous pensons que la prévention quaternaire est une tâche de base du médecin généraliste. Il faut en parler ouvertement, il faut en faire un thème de recherche, il faut l’enseigner. Pour plus d’information au sujet de la prévention quaternaire, voyez les pages Internet : http://docpatient.net/ mj/P4_citations.htm. Références 1. Froom P, Benbassat J., “Inconsistencies in the classification of preventive interventions”, Preventive Medicine 2000 ;31 :153-58. 2. 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Documents joints
- Médecin traitant, médecin généraliste, médecin de famille sont des équivalents en Belgique, Suisse ou France qui en Allemagne, Suisse et Autriche se disent Hausarzt, en Flandre et aux Pays-Bas huisarts, en Espagne médico general, médico de familia ou médico de cabecera, en Italie medico di famiglia, medico di base ou medico di medicina generale.
- Maladie du patient ou patient malade traduit l’expérience subjective rendue en anglais par patient’s illness tandis que la maladie du médecin réfère au terme de maladie objectivée ou disease.
- MUS : medically unexplained symptoms.
- Victim Of Modern Imaging Technology : Victime de la technoimagerie médicale moderne.
Cet article est paru dans la revue:
Santé conjuguée, n° 55 - janvier 2011
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