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L’inentendu. Ce qui se joue dans la relation soignant-soigné


Santé conjuguée n° 49 - juillet 2009

Une réflexion qui atteint son objectif
de nous éclairer sur ce qui se joue
dans la relation soignant-soigné mais
qui donne à son propos une vigoureuse
dimension critique sur l’enseignement
et l’exercice de la médecine aujourd’hui.


Jean-Pierre Jacques, médecin généraliste
et psychanalyste, fondateur et
longtemps cheville ouvrière du projet
Lama est retourné en faculté de médecine.
Pas en chaire, non, dans les travées
de l’amphithéâtre. Pour y suivre,
à sa demande, les cours de psychologie
médicale de son ami, le professeur
Philippe Van Meerbeeck et les
transcrire dans un dialogue critique.
De ce défi est né L’inentendu. Ce qui
se joue dans la relation soignant-
soigné, un ouvrage qui dépasse de loin
le niveau d’une matière enseignée et
qui va sans doute susciter pas mal de
réactions dans le sérail universitaire.

Une histoire éternelle inscrite dans le temps

C’est que le « cours » de Philippe Van
Meerbeeck s’entend comme une polyphonie.
Au premier abord, il décrit ce
qui se joue pour le sujet tout au long
de sa vie, en commençant dès avant
sa naissance, au moment où il n’est
encore que l’objet d’un désir et en
passant par les différentes étapes de
la vie.

La liquidation en cours du
patriarcat met en crise
l’autorité… L’ère de l’autorité
cède la place à l’ère de la
séduction. Quels effets peut-on
en observer sur la pratique
médicale ? On pourrait prédire
que les médecins sont
désormais tentés soit de
séduire leurs patients, soit de
les chosifier.

Contrairement à nombre d’ouvrages
du genre qui privilégient le début de
l’histoire, la formation de soi (les stades
classiques du développement
psychogénétique) au détriment de « la
suite » et se concentrent sur ce qui fait
sujet en estompant le sociétal, les
auteurs prennent le temps pour développer
la réflexion sur l’enfance dite
latente « après » l’Oedipe, l’adolescence
et la crise de l’autorité parentale
telle qu’elle nous interroge aujourd’hui,
la vieillesse et même ils n’hésitent
pas à consacrer un chapitre à ce
thème encore malséant pour de
nombreux soignants qu’est la mort,
tout en restant attentifs aux dimensions
sociales de ces époques de la vie.

Sur ce terreau descriptif, ce qui pousse
n’a rien d’académique. Traquant par
tout l’inconscient et l’infantile en
action (comme il se doit pour un cours
de psychologie), le texte entre sans
cesse en résonance avec l’actualité (du
meurtre de Guy Van Holsbeeck à la
catastrophe de Ghislenghien en passant
par l’initiation sexuelle sauvage
offerte par Internet), interagit avec le
ressenti de son lecteur (notamment
quant au formatage déshumanisant
auquel le futur médecin est soumis et
sur l’Ordre médical qui s’en nourrit),
se confronte aux nouvelles technologies
(dans le domaine de la procréation
par exemple), aux questions
éthiques (la médecine après la Shoah
et le code de Nuremberg) et aux mutations
du temps présent (recomposition
des familles, nouvelles formes de
violence). Ainsi, il ne se borne pas à
donner à savoir, il donne à questionner,
il donne à penser, il donne à se penser.
En cela déjà, il prend ses distances
avec la « masse » de la formation médicale,
basée sur la transmission d’un
savoir à reproduire, et expose sa dissidence
d’avec sa « caste ».

La formation médicale ne peut
plus faire l’économie de la
subjectivité en ce début du
troisième millénaire.

Dissidence marquée aussi par la lisibilité
de l’exposé, accessible à tous et
certainement à celui dont on parle sans
cesse en n’y pensant jamais dans la
relation soignant-soigné, cet empêcheur
d’être médecin en rond qu’est
le patient.

Dissidence marquée encore par la
présence d’un « énonciateur ». Car le
« savoir psychologique » présenté ici
se veut situé et non dogmatique, il
s’inscrit dans une histoire dont il n’est
fait aucun mystère, celui d’une exploration
de la psyché qui a connu un
engouement extraordinaire au XXème
siècle mais qui, est-ce la faute à la
jargonomanie des psychanalystes (que
les auteurs, eux-mêmes psychanalystes,
déplorent), recule aujourd’hui
devant la marée montante des neurosciences
et des comportementalismes.
C’est donc avec le statut non dissimulé
d’un « je » (ou plutôt d’un double
« je », les deux auteurs n’étant pas
forcément d’accord sur tout) que
s’énonce le contenu, et non sous la
bannière d’une vérité impersonnelle1.

Depuis quinze ou vingt ans,
quelque chose a changé. On
ne peut plus parler de la
période de latence comme
jadis. Désormais, ce qui va
perturber les enfants de six à
douze ans, ce sont les crises
dans le couple des parents.

La relation oubliée

Ce type d’approche est sans doute le
plus cohérent avec le projet des auteurs
qui est d’offrir au lecteur un
espace où la relation soignant-soigné
puisse s’épanouir sans se laisser écraser
par le schéma médical dominant,
fait de savoir sur la maladie et où le
malade dérange dès qu’il se manifeste
comme davantage que le support
inerte de cette maladie en tant que
donnée de connaissance. Un schéma
qui ne peut entendre la maladie comme
un langage, qui ne peut intégrer le
fait que le malade puisse « résister à
la Faculté », un schéma où le soignant
lui-même oublie qu’il est en interaction
avec une personne (une caractéristique
du burn-out des soignants est
la dépersonnalisation de la relation).
Il s’agit de sortir de la caricature
cartésienne d’un corps rigoureusement
séparé de l’esprit, caricature qu’illustre
à merveille l’attitude réflexe
enseignée aux carabins en stage à
l’hôpital : être au top pour tout ce qui
est biomédical et rédiger une demande
d’avis psychologique pour tout ce qui
dépasse. L’inconscient est en action
dans la relation, le transfert et le
contre-transfert sont inséparables de
la relation de soins et le nier expose
soignant et soigné à l’échec de cette
relation. Bien sur, le propos n’est pas
de transformer les lecteurs en professionnels
de la psyché mais de leur
donner l’ouverture nécessaire à percevoir
ce qui se jouer dans la relation et
à l’intégrer à la pratique.

Les auteurs ne pèchent toutefois pas
par angélisme. Ils savent qu’il existe
« chefs de service soucieux du bon état
psychique de leurs collaborateurs, du
climat dans le service et l’accueil humain
des patients (…) hélas minoritaires
» et que l’institution elle-même
doit être mise en cause car « ce qui
l’anime n’est pas déterminé par les
idéaux affichés d’humanisme et de
culture mais par des valeurs d’ambition,
de compétition, de productivité
et de marchandisation de la médecine.

La culture, c’est quand on a 65 ans,
qu’on est émérite et qu’on a du temps
à perdre. Sinon, le temps consacré à
parler aux gens se limite à dénigrer les
collègues pour se pousser tandis que
le temps dévolu à parler un patient est
considéré comme du temps perdu »
(page 196-197).

Malgré cette pluie de remèdes,
la douleur persiste,
le ou la malade continue
à souffrir
et à demander de l’aide.
Les médecins, dépités, créent
alors des équipes
pluridisciplinaires…

Changeant de registre après l’exposé
du développement du psychisme et
une analyse critique de l’histoire de
la médecine (dont les extraits que vos
venez de lire ne sont qu’un reflet bien
incomplet), l’ouvrage nous entraîne
maintenant dans les méandres de la
psyché en action dans la relation,
explorant la séduction, l’amour, ses
dimensions et ses maladies, la pensée
magique, l’effet placebo, la violence
et la peur, l’enseignement, pour en
arriver à se pencher au chevet de « la
médecine malade ».

On se prend à rêver. A se dire que si
les étudiants peuvent entendre le cours
à l’origine du livre comme une parole
essentielle pour leur pratique, et non
comme un autre de ces cours littéraires,
donc secondaires et sans danger,
alors la médecine de demain aura
encore des traits humains. A se dire
que si les médecins d’aujourd’hui
peuvent lire ce livre, les uns comme
une (re)découverte de leur idéal, les
autres comme un renforcement leur
combat pour une approche humaine de
la santé et de la maladie, alors c’est
oeuvre de salut public.

Le deuil n’a plus de place.
Aujourd’hui, le droit social
accorde un congé de trois
jours, ni plus ni moins, à celui
ou celle qui perd son enfant de
leucémie ou son conjoint dans
un accident de voiture. Ensuite
il doit reprendre le travail. Si la
tristesse le submerge, un
médecin compatissant lui
prescrira des antidépresseurs.

C’est aussi un formidable plaidoyer
pour la médecine générale, pour une
médecine qui développe une conception
globale de la santé et de la maladie,
qui intègre en priorité le vécu du
patient, qui accorde autant d’importance
à la parole de la personne, à ses
peurs, à ses attentes, à ses incompréhensions
qu’aux résultats des analyses
crachés par l’ordinateur. La question
n’est pas de négliger l’apport irremplaçable
de la science dans la lutte
contre la souffrance mais de rendre à
cette lutte une dimension vivante et
d’accepter de se servir de ce levier
thérapeutique inestimable qu’est le
sens que l’homme donne (ou cherche)
à ce qui lui arrive et de reconnaître la
puissance que l’inconscient déploie,
parfois de façon bénéfique, parfois de
façon destructrice, dans la relation de
soins.

  1. Ou d’un énoncé sans énonciateur. C’est
    cette subjectivité assumée qui explique
    sans doute que de ci de là des affirmations
    trop péremptoires, des opinions, des raccourcis
    ou des liaisons étranges aient fait
    réagir le rédacteur de cette présentation,
    truffant de « pas d’accord » les marges de
    certains chapitres. Cela aussi ne manque
    pas d’intérêt…

Cet article est paru dans la revue:

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