L’accès aux soins pour une population socio-économiquement défavorisée : situation du quartier de Bruxelles-centre
Santé conjuguée n° 72 - septembre 2015
L’accessibilité aux soins en Belgique est insuffisante, on ne le dira jamais assez, et nous avons récemment évoqué les recommandations émises à ce sujet par Médecins du Monde et l’INAMI1. L’argent est bien sûr un nerf de la guerre ; mais il n’est pas le seul. A partir d’observations de terrain faites aux urgences de l’hôpital Saint-Pierre, les auteurs de cet article analysent les différents types de barrières auxquelles se heurtent des publics variés dans le quartier de Bruxelles-Centre. Une petite pierre qui s’ajoute aux nombreux constats sur les inégalités de santé.
Le système de sante belge, le meilleur du monde ?
La qualité des soins de santé apparaît généralement élevée en Belgique2, perception accréditée par le KCE (centre fédéral d’expertise des soins de santé) dans son rapport sur la performance du système de santé belge2. Par contre, 27% des ménages dans le quintile des revenus les plus faibles déclarent avoir postposé des soins de santé pour des raisons financières en 20083 et l’on estime que seulement 24% des ayant-droit bénéficiaient réellement du statut préférentiel OMNIO en 20093. L’accessibilité aux soins est donc bel et bien insuffisante, en particulier pour les populations socio-économiquement défavorisées. Pour évaluer l’accès aux soins en Belgique, nous avons utilisé comme baromètres d’accessibilité les données provenant de dix sources d’information. Notre cadre d’analyse est construit selon deux dimensions (tableau 1). D’abord nous avons réparti les dix sources en fonction des types de populations à propos desquelles elles rapportent :- la population sans mutuelle (les demandeurs d’asile, les illégaux …) ;
- les pauvres (définition dépend de la source) ;
- la population avec mutuelle ;
- l’ensemble de ces trois populations.
- la disponibilité : la présence du personnel et des ressources nécessaires ;
- l’accessibilité financière : la capacité du patient à payer ;
- l’acceptabilité : dans quelle mesure le patient se sent confortable dans les services disponibles, en terme de culture, de valeurs, et d’intimité ;
- l’accessibilité géographique : la capacité du patient à atteindre le prestataire de santé au sens physique du terme.
- « l’efficacité des soins » : dans quelle mesure le contact avec un professionel de santé est-il un succès par rapport au problème de santé 6 ;
- le concept « d’information », qui reflète la connaissance qu’a le patient de l’offre de soins disponibles.
L’accès aux soins sous la loupe
La catégorie rassemblant le plus de barrières différentes évoquées (dernière ligne : « grand total ») est l’acceptabilité des soins, suivie par l’accessibilité financière et l’efficacité. Nous voyons clairement une différence en nombre de barrières entre les deux premiers groupes (les populations défavorisées) et le troisième groupe pour toutes les catégories, à l’exception de l’accessibilité géographique. La différence est la plus grande pour l’acceptabilité, mais est encore substantielle pour l’efficacité et l’accès financier. Entre les groupes un et deux on note surtout une différence au niveau de l’information.La présentation des dix sources d’informations
Le Centre d’accueil de soins et d’orientation (CASO) de l’organisation non-gouvernementale Médecins du Monde offre de l’information à « quiconque éprouvant des difficultés pour se faire soigner sur leurs droits et obligations ». La majorité (65%) qui bénéficient sont des sans-papiers. Mighealthnet est un réseau d’information sur les ‘bonnes pratiques’ en santé pour les migrants et minorités en Europe. L’asbl ATD Quart Monde Wallonie-Bruxelles est un mouvement qui lutte contre l’exclusion sociale et la grande pauvreté. Le groupe de travail ‘hospitalisations’ de la Concertation sans-abri : santé est un groupement de professionnels ayant un sujet de recherche précis : les barrières à l’accès aux soins pour la population spécifique des sans-abris. Une concertation de différents acteurs de la société civile et de l’Etat a fait une évaluation du statut OMNIO. L’Observatoire de la santé et du social de Bruxelles, service d’étude des services du Collège réuni de la Commission communautaire commune, a publié le Rapport bruxellois sur l’état de la pauvreté 2010, baromètre social. L’association Test Achats a réalisé un dossier sur l’accès aux soins en Belgique. L’Institut scientifique de la santé publique belge a fait une enquête de santé par interview en 2008 qui met en évidence des différences entre les classes socio-économiques en ce qui concerne des soins notamment préventifs. Le rapport du Centre fédéral d’expertise des soins de santé (KCE) sur la performance du système de santé belge. L’expérience terrain du vécu de l’auteur principal aux urgences de Saint-Pierre à Bruxelles et des discussions informelles avec des collègues travaillant dans le système de santé du centre de Bruxelles : des médecins et assistantes sociales hospitaliers, des assistantes sociales du CPAS, des médecins et infirmières de première ligne et la coordinatrice de projet d’accès.Les barrières identifiées
Les barrières qui relèvent de l’acceptabilité des soins sont liées à une barrière linguistique et culturelle, un manque de confiance dans le personnel de santé, la peur d’une dénonciation chez les personnes en séjour illégal et des sentiments d’infériorité. L’accessibilité financière est relative aux procédures administratives et au manque d’initiative pour réaliser les démarches nécessaires (par exemple : aller au CPAS…). D’autre part, il persiste une barrière financière directe qui comprend les frais non remboursés ou remboursés à posteriori. Pour ce qui est de l’efficacité de la réponse de soins, nous retrouvons comme barrières la méconnaissance par les professionnels des problématiques spécifiques aux populations défavorisées, les différences socioculturelles entre patients et professionnels et l’effet d’un système fragmenté dans lequel les soignants se retrouvent isolés. Les barrières liées à l’information créent un manque de connaissance chez les patients et les prestataires des possibilités offertes par le système. Elles sont liées à une communication inadaptée vis-à-vis de la population cible (exemple : à cause d’une barrière linguistique, culturelle…), l’isolement social plus fréquent et une méconnaissance du réseau de soignants par les professionnels. Les barrières de disponibilité sont liées à la démotivation des professionnels par l’excès de lourdeurs administratives et financières afin de prendre en charge cette population défavorisée. L’organisation du système, par sa complexité et sa fragmentation avec absence de coordination entre acteurs, semble à l’origine de barrières dans différents domaines.Conclusion
Nous constatons que les barrières à l’accès aux soins de qualité restent encore fortement présentes pour les populations socio-économiquement défavorisées à Bruxelles. Ignorer cette population défavorisée peut mener à des conclusions inadéquates et la priver des soins nécessaires.Documents joints
- Marianne Prévost Accessibilité aux soins, recommandations de Médecins du Monde et de l’INAMI, SC 69 décembre 2014
- Uzunboylu H, Iacobuţă A-O. Patients’ Evaluation of Access and Quality of Healthcare in EU Countries. A Comparative Analysis. Procedia – Soc. Behav. Sci. 2012;62:896–900. Disponible à: http://www.sciencedirect.com/science/article/pii/ S1877042812035926.
- Belgian health care knowledge centre. Belgian health system performance. 2012. Disponible à: https://kce.fgov.be/sites/ default/files/page_documents/KCE_196B_performance_ systeme_sante_belge_0.pdf.
Cet article est paru dans la revue:
Santé conjuguée, n° 72 - septembre 2015
Les pages ’actualités’ du n° 72
La consultation « sans argent »chez le généraliste : débat
Pouvoir consulter le médecin généraliste sans débourser : une nécessité, dit un groupe de médecins, experts et de terrain, dans une carte blanche publiée le 15 avril (Le Soir). Oui mais… répond Pierre Drielsma, permanent politique(…)
Les maisons médicales disent non au TTIP
Le collectif de soignants et patients de deux maisons médicales a récemment pris une position très nette contre le TTIP. Nous reprenons ici la carte blanche publiée dans La Libre du 5 juin 2015.
L’accès aux soins pour une population socio-économiquement défavorisée : situation du quartier de Bruxelles-centre
L’accessibilité aux soins en Belgique est insuffisante, on ne le dira jamais assez, et nous avons récemment évoqué les recommandations émises à ce sujet par Médecins du Monde et l’INAMI. L’argent est bien sûr un nerf(…)
Introduction
Chapitre 1
Ailleurs et autrement
La vieillesse, « ça » n’existe pas : c’est ainsi que Michael Singleton ouvre un « listing d’élucubrations décousues » où il révèle l’immense diversité des manières de penser les âges de la vie. Ce voyage(…)
Ensemble au long cours
Michel Roland, médecin généraliste tout juste retraité, a pratiqué longtemps en maison médicale (Forest et Santé Plurielle). Marie-Louise Fisette, qui a une longue carrière d’infirmière à la maison médicale de Ransart, coordonne le groupe sectoriel des(…)
Vieux, moi ?…
Ce n’est pas si simple de parler d’un phénomène collectif avec lequel on est soi-même aux prises. D’en parler autrement que comme d’un objet d’observation qui ne vous implique pas vraiment, ou alors seulement sur le(…)
Señor Blues : les mots et les images
Vieux, aîné, vieillard, ancien, personne âgée, troisième et quatrième âges, vieillissement actif, jeune senior… Autant de termes qui véhiculent des représentations, des limites, des attentes voire des injonctions paradoxales. De celles qui rendent fous ! Alain(…)
Chapitre 2
Un accompagnement heureux
Après avoir travaillé longtemps dans un quartier excentré et populaire de Liège, Miguelle Benrubi est depuis bientôt deux ans médecin généraliste dans une maison médicale située au centre-ville. Ce changement modifie le cadre de sa pratique(…)
Comment répondre aux besoins de la personne âgée en maison médicale ?
La maison médicale Calendula a parmi sa patientèle des personnes vieillissantes aux prises avec une perte d’autonomie progressive et des pathologies neurologiques qui suscitent des inquiétudes : ces personnes peuvent-elles encore vivre dans leur environnement naturel(…)
La vieillesse n’est pas une maladie
Médecin depuis 34 ans, Thierry Pepersack s’est spécialisé en gériatrie. Il est donc moins proche des patients que le médecin de famille – un des plus beaux titres que l’on puisse avoir, dit-il. Mais il reçoit(…)
Quitter le monde
Thierry Pepersack poursuit ici l’histoire de Philomène, qui, à 85 ans, a – heureusement – échappé à un diagnostic de démence et pu continuer sa vie en étant suivie pour dépression (voir article précédent). Mais le(…)
L’accompagnement des personnes âgées en maison médicale : la richesse d’une approche intégrée
De par leur approche globale et intégrée. Les maisons médicales semblent a priori bien équipées pour accompagner le vieillissement. Qu’en est-il en pratique ? Madeleine Litt a rencontré des travailleurs de quatre équipes implantées depuis 20(…)
Chapitre 3
Maintien à domicile : initiatives soutenues par l’INAMI
L’INAMI a lancé en 2009 un appel à projets visant à maintenir les personnes le plus longtemps possible au domicile, à un coût inférieur à celui d’une admission en maison de repos, pour l’INAMI. Comme le(…)
Santé du vieillissement et action communautaire
La majorité des personnes âgées souhaitent vieillir et mourir chez elles : comment soutenir concrètement ce désir ? Pour identifier des pistes de réponse, les auteurs de cet article ont mené une recherche action dans deux(…)
Accompagnement des personnes âgées : l’option et le système
Soutenir l’autonomie tout au long du vieillissement : telle est très clairement l’option des auteurs de cet article et le souhait de nombreux intervenants. Mais le système, la politique de santé n’ont pas été pensés dans(…)
Habitats alternatifs : projets d’avenir ou de niche ?
Depuis les années septante fleurissent ci et là des projets alternatifs d’habitat qui poursuivent une aspiration : permettre de ‘bien vieillir ensemble’. À l’heure où le vieillissement de la population devient un enjeu crucial qui se(…)
Chapitre 4
Vieillissement actif en Europe : les dessous d’une belle idée
L’Union européenne est attentive aux questions démographiques. Tout aussi attentive, la plateforme ‘Courants d’Ages’ a chaussé des lunettes critiques à l’occasion de l’année européenne « du vieillissement actif et de la solidarité entre générations ». Quelques(…)
Économie et politique du vieillissement
Dans cet article, Pierre Drielsma éclaire quelques facettes des impacts du capitalisme sur les relations intergénérationnelles et sur la perception du vieillissement et des « vieux » dans notre société.
Travailler au-delà de l’âge de la retraite
Peut-on travailler au-delà de l’âge de la retraite ? Est-ce un problème ? Pour qui ? Quels sont les enjeux ? Quels sont les différents regards qu’on peut poser sur le travail des personnes qui ont(…)
Vieillissement : un poids pour le système de santé ?
Le coût du vieillissement menace-t-il la viabilité du système de santé ? Cette question est souvent agitée comme un chiffon rouge sur fond d’alarmisme. Quelques éléments de contextualisation et d’analyse permettent toutefois de voir qu’il n’y(…)