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Jeunes, école, emploi : là où ça coince


Santé conjuguée n°95 - juin 2021

C’est dans une démarche de prévention à l’exclusion sociale et dans une volonté de favoriser la maturation par les élèves de leurs choix professionnels et d’études que le programme JEEP a vu le jour.

C’est difficile d’avoir un emploi, même diplômé, et on s’en prend plein la g…! », déclare un jeune dans une enquête de terrain. Il ajoute : « Il faut expliquer les démarches à suivre pour trouver un travail, on a une méthode trop traditionnelle pour postuler, les étudiants n’ont pas ça en tête quand ils sortent de l’école. » Les jeunes ont été identifiés par des économistes et Actiris comme les premières victimes de la pandémie sur le marché de l’emploi. Certains en manque d’expérience (à cause notamment de l’annulation des stages et des jobs étudiants) vont être en concurrence avec des demandeurs d’emploi qui ont déjà travaillé. Cette situation sera d’autant plus difficile pour les moins qualifiés et on observe une hausse inquiétante du taux de chômage chez les jeunes de moins de vingt-cinq ans à Bruxelles et en Wallonie1. Une transition réussie vers la vie active, favorisant un épanouissement personnel et professionnel, est un enjeu prioritaire pour la jeunesse. Mais nous ne pouvons que constater l’étendue des obstacles auxquels ils sont confrontés, et en particulier les plus éloignés de l’emploi. Leurs besoins et leurs attentes peuvent varier selon les classes, mais un élément commun saute aux yeux : leur manque de préparation à l’élaboration d’un projet d’étude et professionnel. Créé en 1998 par la mission locale pour l’emploi de Forest dans le cadre du programme européen Youthstart, JEEP2 est régi par un accord de coopération depuis 2009 entre la Région de Bruxelles-Capitale et la Communauté française, financé par Actiris, la Fédération Wallonie-Bruxelles et le Fonds social européen. Nous proposons des modules de formation et de sensibilisation à la vie active à une quarantaine d’écoles pour un peu plus d’une centaine de classes chaque année. Nous ciblons les élèves du dernier degré de l’enseignement secondaire, toutes sections confondues. Les jeunes sont également mis en action par notre service job étudiant qui sert de tremplin pour expérimenter les exigences du monde du travail. Les entreprises sont quant à elles mobilisées et sensibilisées par notre service de recrutement et prospection. En ce qui concerne l’emploi, les jeunes rencontrés durant nos formations témoignent en grande majorité de l’appréhension qu’ils ont face à cette transition majeure dans leur parcours. Ils insistent sur leur manque d’expérience et sur le regard de l’employeur vis-à-vis de leur candidature : « Quasi tous mes amis ont peur de faire des études et de ne pas trouver de travail après. On a peur de gâcher cinq ans de sa vie », « Les employeurs se dirigent vers ceux qui ont le plus d’expériences ! » Lorsque nous les interrogeons sur leurs représentations du monde du travail, ils hésitent entre cette fascination pour une nouvelle vie d’adulte autonome et indépendante et la peur de ne pas être à la hauteur ou tout simplement de ne pas trouver leur voie.

Qu’en pensent les jeunes et les professionnels ?

Nous avons mené une enquête de positionnement et interrogé des professeurs, des partenaires des secteurs de la jeunesse et de l’insertion socioprofessionnelle, et des jeunes ayant participé ou non à nos formations ou ayant été accompagnés dans le cadre de leur recherche de job étudiant. Il apparait tout d’abord que la transition école-travail n’est pas toujours très claire à appréhender. Il existe plusieurs transitions : entre le secondaire et les études supérieures, entre le secondaire et le travail, et entre les études supérieures et le monde du travail. Chaque jeune connaitra une trajectoire individuelle qui ne sera pas toujours le fruit d’une réflexion liée à ses moteurs de motivation professionnels, mais à d’autres critères comme l’argent ou la valorisation aux yeux de la société ou de son entourage par exemple. Ces transitions seront donc vécues très différemment, en raison de multiples facteurs. Les étudiants vont être influencés par le milieu socioéconomique dans lequel ils évoluent ou par la filière d’enseignement, la proactivité de l’école et des professeurs, les formations, le réseau, les stages, les jobs, etc. Le deuxième constat concerne la problématique de l’orientation. Cette thématique est sans cesse ressortie durant notre enquête et évoque les problèmes rencontrés par les étudiants dans le choix de leur école, de la filière d’enseignement, des options, des formations, des études supérieures et finalement le choix d’un métier. Il y a un constat majeur d’échec dans ce domaine. Les étudiants aimeraient bénéficier d’un accompagnement plus poussé. Ils évoquent le rôle des centres PMS, des tests d’orientation, d’une personne qui puisse les écouter et même la création d’un centre dans lequel ils pourraient tester de nombreux métiers : « J’aurais voulu avoir une écoute, qu’on m’oriente et qu’on me donne des pistes. Parler des sections dont on ne parle pas souvent et balayer tous les stéréotypes. » Le troisième constat s’intéresse à l’étudiant d’un point de vue plus personnel. Beaucoup d’entre eux rencontrent des problèmes de motivation, expliqués en partie parce qu’ils ont du mal à trouver leur place dans la société et qu’ils s’interrogent sur le sens de l’école ou du travail. Selon des professionnels interrogés, l’offre d’accompagnement individuelle et collective devrait être étoffée et réalisée en amont, bien plus tôt dans le parcours des jeunes. Elle devrait cibler davantage les thématiques liées à la confiance en soi, les compétences et capacités, et tenir compte du processus de leur construction identitaire aux multiples reliefs. Chaque jeune évolue avec son propre cadre de références qui influence nécessairement la perception du monde qui l’entoure et par la même occasion ses croyances limitantes : « On sera de futurs chômeurs, c’est comme ça ! Ne vous fatiguez pas avec nous ! » Le dernier constat touche au fossé qui existe entre le monde du travail, l’enseignement secondaire et l’enseignement supérieur. Les étudiants se posent énormément de questions sur ces multiples réalités. Ils en arrivent même à les craindre. Les professionnels mettent aussi en avant les grandes différences qui peuvent exister entre les différentes filières d’enseignement secondaire. L’étudiant ne sera pas préparé de la même manière à entrer dans le monde du travail s’il a suivi une filière générale ou une filière qualifiante. Par ailleurs les étudiants tout comme les professionnels réclament plus de pratique, notamment via les stages et les jobs étudiants. Accueillir un stagiaire ou un jobiste ne doit pas être perçu comme l’opportunité d’utiliser une main-d’œuvre bon marché : les managers jouent un rôle crucial de formateur et d’initiateur aux exigences du travail. Ils confrontent les jeunes aux valeurs et à une culture du travail (code professionnel, savoir-être, savoir-faire…) qui s’éloignent du cadre scolaire qui les conditionne depuis tant d’années. Leur rôle de guide peut être déterminant dans leur parcours : « Les stages permettent de voir comment ça se passe réellement, le rythme est différent de celui de l’école. Ils m’ont permis de mieux me préparer, car les managers me faisaient des retours… » Ce fossé entre les filières d’enseignement et le monde professionnel est très présent dans l’imaginaire des étudiants, mais aussi de leur entourage : « On m’a toujours expliqué que latin- sciences c’est l’élite, les meilleurs. Alors que j’aimais le commerce et l’économie, j’ai perdu deux ans dans une section que je n’aimais pas. Je ressentais une certaine pression. Il faudrait enlever ce voile qu’on met sur certaines sections en les faisant passer pour des sous-sections. Il faut parler des électriciens ou des mécaniciens. On les dénigre, car ce sont des sections professionnalisantes. » De nombreux professionnels ont appelé à une meilleure connexion et une meilleure communication entre ces différents mondes. Tous ces constats sont interconnectés. Il est difficile de parler d’orientation sans parler de la construction identitaire de l’étudiant, mais aussi du manque d’informations et des appréhensions du jeune envers le monde du travail. Les enjeux sont complexes et les réponses que nous souhaitons apporter devront en tenir compte. Autre élément souvent relayé durant nos séances de formation : la crainte d’être discriminé à l’embauche. Interpellant de constater que des jeunes n’ayant pas encore franchi le cap des entretiens se questionnent déjà à ce sujet. Leurs craintes sont illustrées par des questions autour de leur candidature : « Dois-je mettre ma photo sur mon CV ? », « De toute façon ils verront mon nom de famille… », « Je préfère ne pas mettre ma langue maternelle. », « Est-ce que je pourrai garder mon voile ? » Plusieurs organismes comme Actiris Inclusive et Unia accompagnent les personnes victimes de discrimination. Aider et encourager les jeunes à préserver une estime et une confiance en eux, mais aussi en la société qui les entoure n’est pas facile. Pour certains cette confiance est déjà ébranlée par des expériences connexes liées, par exemple, aux violences policières ou aux discriminations au logement. Il serait grand temps d’inverser les tendances et de bousculer les mentalités afin de favoriser une égalité des chances en matière d’intégration des jeunes à l’emploi. Une mobilisation forte du secteur de l’enseignement, de la jeunesse, de l’insertion socioprofessionnelle, du monde politique et du monde du travail est nécessaire pour permettre aux jeunes d’appréhender ce nouveau cap sereinement. Les entreprises devront également s’adapter à notre nouvelle génération de jeunes, prenant en compte leurs particularités et différences qui sont aussi leurs atouts. Quelques initiatives innovantes Outre le pacte pour un enseignement d’excellence (dont les effets sont fort attendus), les actions de plusieurs professeurs engagés et de directions d’écoles, voici quelques exemples de réalisations. Un large réseau se constitue permettant de travailler en complémentarité sur le terrain. -La Cité des métiers à Bruxelles informe, conseille et oriente tout candidat vers le métier ou la formation, grâce à la collaboration de partenaires et grâce à son réseau international. -Les programmes TIQO (Transition insertion enseignement qualifiant ordinaire) et TR-Ins (Transition insertion spécialisé) proposent un accompagnement ciblé pendant la dernière année du secondaire et celle qui suit. -Infor-Jeunes Bruxelles informe, aide et conseille toute personne qui le souhaite grâce à une dizaine de permanences (Point d’infos/Espace Jeunesse), qui abordent différentes thématiques (logement, famille, santé, aide sociale, justice, loisir, international…), organisent des accompagnements à l’orientation et des actions visant le job étudiant. -Des AMO (services d’action en milieu ouvert) font de la prévention et proposent un accompagnement adapté aux besoins des jeunes et de leurs familles. -Le SIEP (Service d’information sur les études et les professions) organise un salon annuel et communique aussi sur des thématiques telles que la citoyenneté, le travail, les droits, les projets internationaux, les loisirs, la culture, etc. -Le Défi des talents, dédié à l’orientation des jeunes, est organisé par le centre de formation en alternance PME à Bruxelles (EFP). Il donne l’opportunité aux élèves de deuxième et de troisième secondaire en Région bruxelloise de découvrir les métiers techniques et technologiques de manière pratique et ludique. -NicetoNEETyou est un projet développé par Backstage.Network et le SIEP Bruxelles. Il est exclusivement dédié à ces jeunes qui ne sont ni étudiants ni employés ni stagiaires (en anglais : not in education, employment or training). Le dispositif vise à les soutenir dans leurs transitions scolaires et professionnelles à toutes les étapes de leur parcours, et en particulier dans tous les écueils qui les mènent à décrocher du système.

Documents joints

 

  1. M. Paquay, « Marché du travail : les jeunes sont bien les premières victimes de la crise du coronavirus », RTBF, 5 août 2020.
  2. www.jeepbxl.be.

Cet article est paru dans la revue:

Santé conjuguée, n°95 - juin 2021

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