Encore un dossier sur les migrants, les sans-papiers ? Encore un dossier sur l’aide médicale urgente et la misère du monde ? Ces dernières années, la presse et les réseaux sociaux nous ont littéralement noyés d’informations (et de désinformations) sur ce sujet. Le parc Maximilien est devenu tristement célèbre pour être le théâtre de mouvements migratoires sans précédent… Selon les messages véhiculés, nous sommes confrontés à une migration de masse absolument ingérable qui vise à déstabiliser tout notre écosystème. Le phénomène migratoire est devenu une sorte de baromètre servant à mesurer l’état de décrépitude de notre société post-moderne ou notre niveau de tolérance aux nuisibles. Le monde s’est partagé entre « pour » et « contre », ceux qui sont favorables à l’arrivée des migrants et ceux qui y rechignent. Les premiers sont décrits pour la plupart comme de doux rêveurs, des bobos gauchistes ou des individus possédant une grande ouverture sur le monde… Les « contre » sont des vilains, des inhumains, ou des réalistes, ils sont convaincus que nous ne pouvons absorber le désarroi de la planète et que nous n’avons pas suffisamment de ressources pour les accueillir…
Blanc, noir ou gris ?
Si tout et son contraire ont été dits, des mouvements prenant des directions différentes se sont également enclenchés. Les conditions de séjour des personnes arrivant sur le sol belge ont eu tendance à se durcir, et une partie de la population a manifesté un grand élan de solidarité en mobilisant un accueil alternatif citoyen avec, entre autres, la mise en place d’une plateforme organisée autour du fameux parc Maximilien. Cette plateforme est constituée de milliers de bénévoles réussissant la prouesse d’entourer, de soutenir le flot de migrants livrés à eux-mêmes. Ces mêmes bénévoles colmatent les trous béants et interviennent là où l’État s’est retiré. Alliant hébergement, accompagnement, récolte de vivres, de vêtements et de matériel de première nécessité, mais aussi encadrement psychologique, organisation de cours de langue pour petits et grands. Cette plateforme partie de peu, partie de rien, a réussi le pari fou de se substituer, du moins partiellement, à des opérations mandatées, subsidiées et organisées par les pouvoirs publics. De telles mobilisations viennent questionner l’incapacité des pouvoirs publics à prendre les mesures nécessaires pour encadrer convenablement ces arrivées massives de « migrants ». Car si cet accueil bénévole ramène un peu d’humanité là où l’État s’est retiré, il permet, voire encourage, indirectement ce même retrait. Du côté des professionnels du social et de la santé, la mobilisation s’est également accentuée avec les ressources disponibles, mais sans moyens supplémentaires octroyés. Certains services comme les CPAS ont vu leurs compétences se réduire à l’octroi de l’aide médicale urgente. Le monde associatif est venu lui aussi remplir les trous en organisant une aide souterraine, en initiant des chaines de solidarité, en mobilisant le réseau formel et informel, en tentant de résister au marasme ambiant, en apportant soutien et réconfort à ces laissés-pour-compte. Vulnérables parmi les vulnérables : des femmes, des mères devant prendre soin de jeunes enfants dans une société qui leur accorde peu d’égards ou qui leur est carrément hostile. Ce dossier met l’accent sur ces initiatives de l’ombre et en particulier celles qui touchent à la santé et aux soins. Il entrouvre les portes de lieux où l’on pénètre peu, à moins d’y être tenu : les centres d’accueil, les centres fermés, les cabinets médicaux ou de kinésithérapie, les consultations psychologiques ou de gynécologie. Il nous éclairera aussi sur les procédures, souvent longues et vaines, de régularisation.
Santé et migration, n’est-ce pas antinomique ?
Est-il seulement possible d’être en bonne santé quand tout vient à manquer ? La question de l’accès aux soins des migrants nous confronte à une forme d’impuissance et à de l’irrésolu. Ceux qui ont côtoyé de près des personnes en séjour illégal savent qu’être confronté à cette réalité soulève un sentiment d’injustice, que la migration est toujours accompagnée de perte et de souffrance, qu’elle n’est jamais un choix léger. Et qu’accueillir n’est jamais simple. C’est peut-être pour cela d’ailleurs qu’il serait préférable de fermer les frontières : c’est trop confrontant, trop envahissant, trop compliqué. Trop cher aussi sans doute. Mais au-delà des aspects politiques, légaux et d’intégration que sous-tend inévitablement cette problématique de l’accueil, c’est notre humanité qui est questionnée. Qui sommes-nous pour décréter qu’une personne mérite ou non de séjourner sur un territoire ? Comment accepter que certaines d’entre elles restent toute leur vie dans l’illégalité ? Qu’elles ne figureront jamais dans le registre de la population et qu’elles seront à jamais des invisibles ? Dans nos maisons médicales comme dans d’autres services qui offrent des soins primaires ou spécialisés, nous constatons à quel point la santé est conditionnée par de multiples déterminants : le niveau de revenu et le statut social, les réseaux de soutien, l’éducation et l’alphabétisme, l’emploi et les conditions de travail, l’environnement social et physique, le sexe, la culture… Les conditions de vie des migrants sont le plus souvent minables, précaires, instables, voire inexistantes. Et nous nous retrouvons, soignants, travailleurs psychosociaux, accueillants, intervenants, totalement dépourvus face à ce manque viscéral, structurel, mais organisé. Les logements manquent, pour eux comme pour d’autres, les structures d’accueil sont débordées, voire empêchées, les solutions trouvées sont partielles ou irréalistes, partout, tout le temps. Alors oui, ce dossier est un de plus, mais pas un de trop… Car ne rien écrire, ne rien dire, correspondrait à s’anesthésier, à acquiescer, à laisser faire, à faire avec. Et à cela, nous ne pouvons nous résoudre.
Documents joints
Cet article est paru dans la revue:
Santé conjuguée, n°90 - mars 2020
Introduction
Encore un dossier sur les migrants, les sans-papiers ? Encore un dossier sur l’aide médicale urgente et la misère du monde ? Ces dernières années, la presse et les réseaux sociaux nous ont littéralement noyés d’informations (et de(…)
L’aide médicale urgente : pour qui ?
Dans ce contexte d’invisibilité, plusieurs enjeux majeurs se dessinent : l’accessibilité aux soins et leur qualité, la solidarité, la cohérence des politiques. Assurer un accès aux soins pour tous Assurer un accès aux soins aux personnes(…)
Les laissés-pour-compte du système de santé
Le CASO a trois missions : l’accueil (proposer un lieu d’accueil inconditionnel et sécurisant), le soin (offrir une prise en charge globale de qualité, continue et multidisciplinaire) et l’orientation (orienter les patients vers le système de(…)
L’autorisation de séjour pour raison médicale
L’étranger qui séjourne en Belgique qui démontre son identité […] et qui souffre d’une maladie telle qu’elle entraîne un risque réel pour sa vie ou son intégrité physique ou un risque réel de traitement inhumain ou(…)
Exil, violence institutionnelle et santé mentale
De plus en plus de nos patients retenus en Libye nous relatent avoir vécu des mois voire des années d’horreur. Les personnes qui parviennent à quitter ces zones pour tenter la traversée par la Méditerranée le(…)
Des maux pour le dire
Cet article est issu d’un travail de fin de formation traitant des thèmes de l’exil, de la douleur chronique et de la somatisation. La base est constituée des récits de vie de quatre de mes patients(…)
Maternité en exil
Fatimetou arrive de Mauritanie. Son mari a des problèmes au pays, elle ne nous en dira jamais plus. Elle est venue accompagnée de ses trois enfants et enceinte du quatrième. En arrivant à Bruxelles, le passeur(…)
Femmes migrantes en transit
En 2017, la Belgique est confrontée à une nouvelle arrivée d’exilés au parc Maximilien. Originaires essentiellement du Soudan, d’Éthiopie et d’Érythrée, la majorité d’entre eux ayant pour but de rejoindre l’Angleterre. Pour les protéger des actions(…)
Les centres d’accueil
Depuis l’été dernier, toutes les places des centres existants sont occupées. La Croix-Rouge cherche des bâtiments propices à l’ouverture de centres supplémentaires. Cette situation s’explique par le fait que les procédures sont longues et que le(…)
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Les pages ’actualités’ du n°90
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L’articulation entre la commission communautaire francophone (Cocof), commune (Cocom) et flamande (VGC), c’est une nouveauté. Elle s’est imposée ? A.M. : C’est l’idée, voulue dès le départ, d’une simplification institutionnelle, quelque chose qui me tenait particulièrement à(…)
Améliorer l’accompagnement périnatal
La mise en place précipitée du séjour écourté en maternité a renforcé les failles du système de santé, notamment le vide de soins. Assurer l’accessibilité et la continuité des soins est l’une des raisons d’être des(…)
Une chaire universitaire pour la première ligne
Be.hive – ruche en anglais – est une collaboration entre trois universités (ULB, UCLouvain et ULiège) et trois hautes écoles (HELB-Ilya Prigogine, HE-Vinci, et Hénallux). C’est aussi une quarantaine de professionnels de la santé : infirmiers,(…)