Inami, forfait et confinement
Duprat Gaël, Estibaliz San Anton, Roger van Cutsem
Santé conjuguée n°93 - décembre 2020
Alors que l’OMS requalifie l’épidémie de Covid-19 en pandémie, les autorités belges annoncent un premier décès le 11 mars 2020. Le pays, comme d’autres en Europe, entre en confinement le 18 mars. Parmi les mesures imposées pour lutter contre le virus et ses conséquences, les soignants se voient obligés de ne réaliser que les soins urgents et essentiels. Activités ralenties, baisse du nombre de consultations physiques, il n’en fallait pas plus pour que les premières rumeurs de fermeture de maison médicale apparaissent...
Ces rumeurs sont suffisamment persistantes. Le 2 avril, Luc Maroy, président de la commission forfait de l’Inami, envoie un courriel aux maisons médicales au forfait leur intimant de répondre à un questionnaire dans les 48 heures : « La Commission tient à attirer l’attention des maisons médicales sur le fait que, dans tous les cas, les conditions pour recevoir les montants du forfait doivent être remplies et que ces conditions restent pleinement d’application. Dans l’intérêt du secteur, une transparence totale doit être assurée ». Le ton est donné. Ce premier questionnaire, mal formulé, recevra peu de réponses. Le 28 avril, l’Inami sollicite à nouveau les maisons médicales au forfait, cette fois avec deux questionnaires. Le premier, ciblant de potentielles dérives, est axé sur les aspects administratifs (fermeture, chômage technique…). Le second, préparé par la Fédération des maisons médicales (FMM), cherche à mettre en évidence les initiatives mises en œuvre du 1er mars au 30 avril1. Les maisons médicales au forfait ont été tenues d’y répondre pour le 7 mai. Grâce à ses représentants dans cette commission, la FMM a pu recevoir et analyser les réponses de ses membres (89 maisons médicales au forfait) au second questionnaire. Une méthodologie plus qualitative que quantitative Les maisons médicales partagent certaines caractéristiques, comme l’autogestion. Chacune cependant diffère dans son mode de fonctionnement. Cette hétérogénéité rend difficile une comparaison générale. Il est donc possible que ce sondage n’ait pu mettre en évidence certaines pratiques, car celles-ci étaient déjà d’application antérieurement dans les équipes. Le questionnaire s’appuie par ailleurs sur des questions ouvertes autorisant une grande liberté d’expression des réponses et la difficulté réside ici dans leur interprétation. Un manque de précision est possible pour plusieurs raisons : une maison médicale peut ne pas avoir mis en pratique l’un ou l’autre élément ou avoir omis cet élément lors du remplissage du questionnaire (par manque de temps par exemple).
Que ressort-il de cette analyse ?
-Toutes les maisons médicales au forfait membres de la FMM ont poursuivi leurs activités médicales, principalement via les consultations téléphoniques, mais aussi par des consultations physiques « justifiées par une situation d’urgence ou de nécessité » (81,6 %). Elles ont montré leur volonté de remplir au mieux leurs missions d’acteurs de première ligne en adaptant spontanément leurs heures d’ouverture aux besoins de la population : 56 % d’entre elles ont élargi leurs disponibilités par téléphone en semaine et 73 % durant le week-end. -Les maisons médicales se caractérisent par une approche pluridisciplinaire dont l’accueil est le premier maillon de la chaine de soins. Cet accueil a joué un rôle essentiel d’information, de présence, d’orientation et de tri. Un rôle indispensable pour gérer l’augmentation massive des contacts téléphoniques : 41,6 % des maisons médicales ont rapporté le renfort des autres secteurs (psychologues, kinésithérapeutes…) à ce poste. -Les infirmières ont été les yeux, les mains et les oreilles des médecins. Elles ont pour beaucoup continué à assurer des soins à domicile (89,9 %) ou au dispensaire si nécessaire (80,7 %). Ce fut également le cas des kinésithérapeutes : 72,7 % des maisons médicales ont maintenu les consultations physiques lorsque la situation l’exigeait. -Ces circonstances ont mis en évidence le caractère crucial de la circulation des informations entre les professionnels de la santé. Les liens entre les travailleurs ainsi qu’entre eux et leurs patients ont pu se maintenir grâce aux technologies numériques. Les kinésithérapeutes (27,3 %) et les secteurs psychosociaux (23,8 %) ont eu recours à la visioconférence pour poursuivre les consultations à distance. -Les maisons médicales ont maintenu de diverses façons leurs missions de santé publique et de prévention. Les patients plus fragilisés ont bénéficié d’un suivi téléphonique proactif pour les soins médicaux (52,9 %). 40 % des maisons médicales se sont impliquées dans le suivi psychosocial de leurs patients les plus fragiles, dans l’aide alimentaire, la confection de masques, les démarches administratives, la diffusion et la communication des initiatives locales, etc. -L’approche pluridisciplinaire a nourri de nombreuses collaborations externes : participation dans les centres de tri (85,4 %), volontariat dans les maisons de repos et de soins (76,4 %), le secteur du sans-abrisme (25 %) et les centres d’accueil (13,5 %).
Le rôle de la Fédération
Depuis leur création, des maisons médicales se sont alliées autour d’une vision de la santé basée sur des soins de première ligne, globaux, intégrés, continus et accessibles. Elles ont mutualisé leurs moyens et développé une fédération dont le rôle est notamment de les soutenir dans leur travail quotidien, mais aussi de se faire entendre du monde politique. Le travail de la Fédération des maisons médicales s’est concrétisé de différentes manières : tri d’informations pertinentes pour le terrain, formulation de recommandations adaptées aux travailleurs, interface entre l’administration et le terrain pour différentes actions comme la coordination du dépistage dans certaines institutions ou la transmission des difficultés vécues par les travailleurs. Grâce à cette mutualisation et au travail en équipe, la Fédération des maisons médicales a pu fournir à l’Inami un questionnaire adapté, l’analyser et en proposer une interprétation. Elle assure de la sorte une bonne adéquation entre les décisions politiques et les attentes du terrain.
Critique de la démarche
Était-il opportun de se questionner sur la fermeture potentielle de certaines structures au forfait ? Contrairement aux pratiques à l’acte, les maisons médicales au forfait n’ont pas dû gérer une perte de revenus et ont pu concentrer leur énergie sur la recherche de solutions. Puisqu’elles continuaient à être financées, elles se devaient d’assurer la continuité des soins. C’est probablement cet aspect qui a inquiété les pouvoirs subsidiants, sans négliger le climat de méfiance dans lequel baigne cette forme de dispensation des soins qui remet en question le modèle libéral… L’analyse descriptive de ce questionnaire a permis d’objectiver l’adéquation du modèle de soins défendu par la FMM aux besoins du terrain et de la population. Pendant le confinement, grâce à leur mode d’organisation fait de concertation et d’intelligence collective, les maisons médicales se sont rapidement adaptées pour assurer la continuité des soins et de leur mission de santé publique tout en luttant contre le virus. Cette objectivation a été rendue possible grâce aux informations que les maisons médicales ont fournies à l’Inami. Plus globalement, les données collectées quotidiennement par les maisons médicales constituent un excellent indicateur de la situation sanitaire, de l’orientation et de l’évaluation de leurs actions. Ce travail d’acteur de santé publique renforce la crédibilité de la Fédération et de son projet résolument tourné vers une société favorisant la santé accessible à tous.
Documents joints
- Pour empêcher une surcharge des services hospitaliers de seconde ligne, l’objectif de cette première phase de confinement était de prendre en charge efficacement les patients développant des symptômes compatibles Covid-19 tout en évitant les risques de propagation de la maladie (Conseil national de sécurité du 12 mars 2020 annonçant les premières mesures pour lutter contre le Covid-19).
Cet article est paru dans la revue:
Santé conjuguée, n°93 - décembre 2020
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