La Grèce vit une des crises les plus importantes de son histoire : les politiques exigées par l’Union européenne font des ravages sur la situation sociale d’une grande partie de sa population. Cependant, la résistance tente de s’organiser : comme on le verra dans cet article, elle navigue entre défaites et espoirs.
La Troïka : à l’attaque des droits sociaux…
Suite à l’éclatement de la crise financière en 2008, la Grèce a dû faire face à des attaques spéculatives sans précédent, menaçant le pays de sombrer à tout moment dans le marasme économique. La réponse de l’Union européenne à l’attaque des marchés a été, elle aussi, d’une force inouïe ; en contrepartie de sommes « prêtées » aux pays, l’Union européenne a exigé de la Grèce une baisse drastique du niveau de vie de ses habitants : diminutions de salaires, coupes gigantesques dans les dépenses publiques, quasi destruction des services publics, licenciements massifs dans tous les secteurs de l’économie, augmentation de taxes horizontales ( TVA, taxe sur le logement principal, sans critères de revenu ),… L’instrument pour imposer ces politiques s’appelle Troïka. Composée de représentants de l’Union européenne, de la Banque centrale européenne et du Fonds monétaires international ( les créanciers ), c’est sous son égide que sont signés les memoranda qui fixent sur le marbre les sacrifices présents et à venir du peuple grec. Les résultats de cette politique imposée par les bailleurs de fonds, l’Union européenne en tête, sont amplement connus et ils sont dramatiques : explosion du chômage et de la pauvreté, salaires de misère, augmentation de la dette du pays, destruction et privatisation des services publics. En termes de santé, les indicateurs sont tout aussi inquiétants : baisse de l’espérance de vie, augmentation de la mortalité infantile, explosion des suicides. Le système de santé est dans un tel état de délabrement que des dispensaires bénévoles ont vu le jour et ne désemplissent pas. La Troïka a imposé des coupes salariales de 30% dans le secteur public. Il y a 1,5 millions de chômeurs officiels pour une population active de 5,7 millions. On estime à 1,1 million le nombre de travailleurs qui ne sont pas régulièrement payés. Environ 3 millions d’habitants ( sur 10,5 millions ) n’ont pas d’assurance maladie. Le pouvoir d’achat des ménages a diminué de 37% et l’exclusion sociale a crû de 23%. Le chômage des jeunes atteint 60%…1 … et des droits démocratiques Les pouvoirs conférés à la Troïka sont énormes et ils mettent à mal la souveraineté des peuples à choisir leur avenir. En effet, pas une seule instance démocratique nationale ou européenne n’a été consultée sur les politiques mises en place ( et qui concernent pourtant des millions de citoyens européens, notamment grecs mais aussi espagnols, portugais ou encore irlandais ). La responsabilité des institutions de l’Union européenne dans la dégradation des conditions de vie du peuple grec pose également question mais rappelle surtout que l’Europe ne fait qu’appliquer les politiques qu’elle-même préconise depuis longtemps dans les pays du Sud qui ont fait les frais, dès les années 80, d’impositions autoritaires de politiques antisociales. Depuis l’éclatement de la crise, le mouvement social grec n’est pourtant pas resté passif. Syndicats, collectifs, partis ont tenté d’organiser la résistance. Pas moins de 30 grèves générales ont été décrétées, certaines organisées par secteur : la grève du métro d’Athènes reste emblématique. Il y eut également des récupérations d’usines, etc. Face à la montée du mécontentement populaire et afin de maintenir le cap des « réformes » imposées par la Troïka, le Gouvernement grec – en perte totale de légitimité – a adopté de nombreuses lois limitant les droits démocratiques : démantèlement du dialogue social, imposition des salaires par décret, affaiblissement du droit de grève ou encore criminalisation de la résistance populaire. Les négociations collectives appliquées dans le pays depuis 1914 sont devenues caduques dans les faits. A défaut d’un nouvel accord entre employeurs et employés, l’ancien accord n’est plus automatiquement renouvelé comme c’était le cas dans le passé. A défaut d’accord, la seule contrainte est le salaire minimum : autant dire que les employeurs ne sont guère motivés à en conclure un ! En novembre 2012, une autre loi a prévu que le salaire minimum pouvait être imposé par décret gouvernemental, et que l’avis des « partenaires sociaux » n’était que consultatif. Un autre exemple saillant, c’est la résistance au projet minier de la multinationale canadienne El Dorado, dans la localité Skouries de Chalkidiki – ainsi que sa répression : grenades lacrymogènes lancées par les forces anti-émeutes dans des cours d’écoles, irruptions domiciliaires durant la nuit sans raison valable, arrestations de mineurs pour forcer un prélèvement d’ADN, détentions injustifiées et sans procès durant plusieurs mois. Des dizaines d’habitants de la région ont été inculpés pour formation d’organisation criminelle… La résistance populaire, des hauts et des bas La profondeur de la crise économique en Grèce sans perspectives de sortie prochaine a également profondément modifié les rapports politiques. Les partis qui se sont partagés le pouvoir depuis la fin de la dictature ( les socio- démocrates du PASOK et les conservateurs de la « Nouvelle Démocratie » ) sont en pleine déconfiture. La société grecque se polarise notamment autour de deux tendances : la gauche radicale incarnée par le parti Syriza ( coalition de partis issus de la gauche historique ) et l’extrême droite d’Aube dorée. Cette dernière, malgré la violence qu’elle incarne ( et dont elle fait preuve contre les immigrés, les femmes, etc. ), s’enracine durablement dans l’échiquier politique et représente aujourd’hui 10% des votes. D’un autre côté, le parti Syriza est devenu le premier parti grec avec plus de 25% des voix au dernier scrutin européen. Ce parti a su tirer profit de la résistance populaire à l’austérité en remettant à l’ordre du jour un discours de gauche et de changement. Après de fortes mobilisations en 2011 et 2012 et le peu de victoires engrangées, le mouvement social grec est aujourd’hui en reflux. La population s’adapte tant bien que mal à la nouvelle réalité économique et à la précarité. Cependant, la résistance continue sous d’autres formes : solidarités de proximité, comités de quartiers,… C’est peut-être de ces foyers de résistance que renaîtront les grande batailles de demain, les nouvelles manières de faire de la solidarité et par là-même de la politique. Que pourrait être une politique économique alternative ? C’est difficile de l’imaginer aujourd’hui, tant le carcan national et européen interdit toute velléité de changement substantiel. Imposer un nouveau cap dans les politiques économiques exige un rapport de force au niveau européen qui n’existe pas encore : il faut s’atteler à le construire. Les mouvements sociaux actifs en Europe commencent à le comprendre et des initiatives se font jour pour construire des réseaux de résistance au niveau européen. Les tâches d’un tel mouvement social sont énormes. Il s’agira de résister au saccage des droits fondamentaux attaqués de toutes parts en Europe. Et dans une perspective plus lointaine, commencer à construire une alternative politique faite de solidarité et de justice sociale. Tout un programme… à inventer ensemble.Documents joints
Cet article est paru dans la revue:
Santé conjuguée, n° 69 - décembre 2014
Les pages ’actualités’ du n° 69
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