Une expérimentation de la médiation a eu lieu en région liégeoise. Ailleurs, le projet a reçu un accueil très timide. Alors que les maisons médicales sont très attachées à la qualité de la relation avec les patients, pourquoi l’idée de médiation semble-t-elle mobiliser si peu les professionnels et les équipes ? Pour étoffer la réflexion, Ingrid Muller a interviewé deux travailleuses d’équipes bruxelloises. Gestionnaire ou membre du conseil d’administration, elles sont régulièrement amenées à gérer des différends avec des patients.
La première réaction est toujours la même : il n’y a pas vraiment de problème avec les patients. Le plus souvent, ce n’est pas grave. Quand ça pose vraiment problème, on en parle en équipe et on gère. Cela se fait à l’initiative du travailleur qui se trouve en difficulté, pour l’aider à construire une position, une solution, ou simplement pour lui permettre d’en parler. Comme dans la plupart des équipes, quand un problème se pose, soit il y a une position institutionnelle qui vise un recadrage des règles de fonctionnement via un courrier ou une rencontre avec le conseil d’administration, soit une rencontre est organisée avec un autre professionnel de l’équipe pour écouter le patient. Parfois, c’est le psychologue qui rencontre le patient. Parfois, le professionnel concerné est présent, mais pas toujours. Cela dépend de son souhait. Une de mes deux interlocutrice témoigne : « Au début, on a déjà désinscrit des patients qui étaient agressifs. Ensuite, on s’est demandé si cela était vraiment éthique. C’est pour cela que, maintenant, on envoie des courriers, on préfère prendre du temps pour écouter et expliquer pour éviter la désinscription. Le courrier, on l’envoie même si on sait que la personne ne sait pas lire. Cela l’amène à prendre rendez-vous avec l’assistante sociale, ça crée un espace de dialogue et de réflexion ». L’accueil, lieu de gestion des conflits Et les patients, comment vivent-ils leurs difficultés vis-à-vis de la maison médicale ? « Parfois, les patients se désinscrivent et on ne sait pas toujours pourquoi. Il arrive que ce soit par insatisfaction ». Ce phénomène est vécu comme plutôt rare. Ce qui ressort des échanges, c’est que le souci de l’information, de la communication et de l’écoute sont les outils essentiels à la prévention de conflits au quotidien : « On a prévu les choses pour permettre une grande disponibilité à l’accueil pour les patients ( … ). Les patients viennent volontiers parler à l’accueil, même simplement pour dire bonjour, c’est un lieu de vie ». Et en cas de difficulté : « On prend le temps de parler avec les patients, notamment la personne à laquelle ils se plaignent, cela concerne plutôt l’accueil. Et quand un conflit se déclare, des travailleurs peuvent se rendre disponibles pour écouter. Ce n’est pas toujours dans des conditions optimum, par exemple quand ça arrive au moment où tu termines ta journée, mais cela se fait, c’est une priorité. Les travailleurs essayent d’être clairs par rapport au fonctionnement. Une personne est disponible à l’accueil pour prendre le temps d’expliquer les principes, le fonctionnement… ». Le fait que l’équipe soit capable d’assumer ses erreurs permet également d’éviter que des situations s’enveniment. Un exemple donné est le remboursement d’un médicament prescrit dans sa version chère plutôt qu’en générique. « La médiation n’apportera rien de plus » Un autre élément important est le questionnement permanent sur la manière d’être en relation. Cela doit faire partie intégrante du travail de chacun. Car « l’humain est au coeur de nos pratiques. On pratique beaucoup l’écoute, la conciliation avec les patients, on fait preuve d’empathie, on travaille à apaiser, à expliquer, à éclairer les points de vue différents, on est formés à prendre du recul par rapport à nos émotions… La réunion d’équipe permet de travailler cette culture dans l’équipe ». Ces aptitudes sont au coeur du travail de médiation. Ce qui amène à dire qu’il ne serait pas nécessaire d’aller chercher une position de tiers en dehors de la maison médicale. D’autant que ce qui est difficile à vivre pour les travailleurs, c’est l’agressivité au moment où le conflit éclate. Or, par définition, si un médiateur intervient, c’est après, quand la colère est toujours là mais que l’agressivité est retombée. Ici encore : « Notre qualité d’accueil est un bon moyen de réguler l’agressivité qui pourrait s’exprimer à la maison médicale. Les réactions agressives des patients cachent des besoins que nous pouvons entendre. Par ailleurs, quand on a l’impression que les patients ont dépassé les bornes, on ne se sent pas prêts à négocier. On a implicitement le sentiment que la médiation n’apportera rien de plus. » Dans cet exemple, on voit se dessiner les différentes fonctions du professionnel impliqué dans la relation aux patients. Dans le cadre d’un conflit, deux de ces fonctions peuvent entrer en contradiction : la fonction d’éducation ( l’usage d’un service au collectif nécessite des règles et comporte des limites qu’il faut parfois apprendre ) et la fonction d’explicitation, compréhension, négociation utile à la sortie du conflit. Parfois, les problèmes naissent de troubles au niveau psychologique. Dans ce cas, les travailleurs imaginent mal ce que peut faire un médiateur. Cependant, il existe des médiateurs travaillant au niveau des plate-formes en santé mentale.Pour quoi faire ?
L’idée de faire appel à un médiateur n’est pas complètement exclue : « Pour permettre aux gens de se parler quand il n’y a plus moyen, pour trouver la meilleure solution possible ». Dans ce cas, celui qui est identifié comme une ressource accessible sur le territoire est le médiateur de quartier. La médiation « droits du patient » n’est pas connue. Au terme des échanges, l’impression qui se marque est que, dans leur travail, les professionnels ont déjà mis beaucoup de choses en place pour anticiper et au besoin gérer les conflits avec les patients. L’apport extérieur ne laisse entrevoir aucune réelle perspective plus favorable que ce qui se fait déjà. Voire, et nous l’avons vu dans l’article précédent, elle est perçue comme une éventuelle menace, elle suscite des craintes.Documents joints
Cet article est paru dans la revue:
Santé conjuguée, n° 68 - juillet 2014
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