En 2012, les maisons médicales de la région liégeoise ont expérimenté la médiation. L’analyse des craintes qui se sont exprimées au cours de ce projet permet de décoder les enjeux de l’introduction de la médiation dans un univers professionnel particulier. Des enjeux spécifiques aux maisons médicales ? À vous de juger …
Parler de ses conflits n’est pas évident. Derrière un conflit, il y a l’idée d’une faute à dénoncer ou à reconnaître. Il y a l’idée de la culpabilité mais aussi de l’agressivité. L’idée qu’après le conflit ce ne sera plus comme avant, qu’on va peut-être gagner mais aussi peut-être perdre quelque chose … Parler de ses conflits à quelqu’un d’extérieur, c’est aussi se soumettre à son avis, son jugement, c’est peut-être laisser transparaître ses défauts, ses travers, ses faiblesses. C’est pourtant ce que nous avons proposé de faire aux équipes des maisons médicales de la région liégeoises dans le début de l’année 2012. « Nous », c’est-à-dire moi en tant qu’animatrice à la Fédération des maisons médicales et Évelyne Vinck, médiatrice, qui a soutenu et s’est impliquée dans notre projet de recherche autour de la médiation pendant plus d’un an. Des rencontres entre des groupes de professionnels ont été organisées. En partant des difficultés identifiées par les professionnels, le but était de décrire les processus de résolution de conflit à l’oeuvre et d’envisager dans quelle mesure un dispositif de médiation pouvait apporter quelque chose de plus ou de complémentaire. Apporter au conflit mais aussi plus largement à la qualité de la relation entre patients et professionnels de la santé, voire peut-être à l’évolution du modèle des maisons médicales.À l’épreuve de la médiation
Ensuite, de juin 2012 à mars 2013, l’intergroupe liégeois des maisons médicales ( IGL ) a proposé la possibilité d’intervention de la médiatrice pour toute demande au sein des maisons médicales liégeoises. Les situations pouvaient impliquer des patients et des professionnels ou des professionnels entre eux. Cette expérimentation a été accompagnée par un comité composé de professionnels et d’usagers de maisons médicales, ainsi que de la Ligue des usagers des services de santé ( LUSS ). Plusieurs observations me semblent intéressantes à ramener ici. La première, nous l’avons déjà évoquée : parler de ses conflits avec une personne extérieur peut soulever des craintes. Le médiateur, tiers neutre, est cette personne extérieure. Souvent, quand on parle de médiation en maison médicale, les professionnels expriment un scepticisme, questionnent l’utilité d’un tel dispositif : « Nous gérons déjà bien les difficultés » ; « il n’y a pas beaucoup de patients qui se plaignent, on n’a pas besoin de médiation ». Cependant, la crainte la plus souvent exprimée au cours de notre travail est : « Ne va-t-on pas susciter des vagues de plaintes ? » La perspective de permettre aux patients de s’adresser à quelqu’un d’autre que les professionnels ou les instances de la maison médicale fait craindre que quelque chose qui ne s’exprimerait pas en interne trouve une caisse de résonance plus facile en dehors. Trop facile peut-être, et donc perçue comme moins légitime. En miroir, on craint que le médiateur ne devienne l’avocat du patient, que le dispositif ne se retourne contre nous, professionnels. Alors que nous oeuvrons jour après jour, au bien-être de nos patients. Il y aurait là comme un sentiment d’injustice. Certains allant jusqu’à questionner le bénéfice de rétablir l’égalité de traitement des patients et professionnels argumentant de la qualité de la relation thérapeutique. Au-delà de la réaction à une éventuelle injustice, ne mettent-ils pas en question une évolution de la fonction du soignant, passée d’une fonction prescriptive à une fonction d’accompagnement, de soutien à l’autonomie ? Cette évolution transformant la perception de son propre rôle, de son utilité, de sa légitimité en tant que professionnel du soin.En dernier recours !
En même temps, certains craignent que la médiation n’aboutisse à des pistes de travail que l’équipe ne serait pas capable de mettre en pratique. Soit parce que les règles de fonctionnement imposées par les pouvoirs publics ne le permettraient pas, soit que l’équipe ne serait pas en mesure de remettre en question sa politique en fonction de l’intérêt … du patient. Même si cet intérêt est fondamental dans nos projets, il est fondamentalement en tension voire en contradiction avec les intérêts des travailleurs. Il y a cette crainte que la médiation soit la porte ouverte à tous les compromis, au détriment de l’équipe et du fonctionnement de la maison médicale. Ces appréhensions trouvent une expression très concrète dans la manière dont les équipes ont utilisé le dispositif de médiation mis à leur disposition pendant neuf mois. Les recommandations issues du rapport de synthèse du projet « Construire la médiation » mené à l’intergroupe liègeois des maisons médicales en 2010 suggéraient que la médiation devait être sollicitée « en dernier recours », c’est-à-dire après que les dispositifs prévus par les maisons médicales aient été utilisés. Cette recommandation visait à ne pas déresponsabiliser les maisons médicales et à préserver leur implication dans la gestion des conflits avec les patients. Dans les situations « patient / maison médicale » traitées en médiation, la demande est donc venue après que la difficulté a été gérée par l’équipe. Dans chaque cas, les représentants de la maison médicale sont venus en médiation avec une décision que l’équipe voulait sans équivoque. Les représentants des maisons médicales acceptaient la médiation pour aider à faire comprendre la décision prise. La médiation a permis de mettre en mots la difficulté du litige et les conséquences difficiles pour le patient et le représentant de la maison médicale. Mais la négociation qui permet d’organiser autrement l’avenir n’a pas pu être abordée. L’expérience confirme que la médiation permet le rétablissement du dialogue et la compréhension mutuelle. Pour le comité d’accompagnement, il serait souhaitable que dialogue et compréhension puissent être mobilisés plus tôt dans l’histoire du conflit. Au risque de voir la médiation instrumentalisée par une des parties et d’entériner l’inégalité entre les parties en conflit.Pot de terre contre pot de fer
En conclusion, il me semble que nous devons tenter d’expliciter ce que sous-tendent toutes ces craintes autour de la médiation. Ne seraient-elles pas tout simplement une illustration de la difficulté légitime de mettre en question ( et donc de risquer de perdre un peu de ) son pouvoir ? Cette tension est à l’oeuvre dans le quotidien des maisons médicales : l’équipe fonctionne en autogestion et définit une série de règles et d’usages pour garantir la bonne fin de son projet. Elle en possède l’expertise et la légitimité. Par ailleurs, elle travaille à l’empowerment des usagers et envisage la manière de donner du pouvoir aux usagers au sein de la maison médicale. Les questions que se posent les professionnels ( notamment au sein du réseau éducation permanente ou dans les groupes de travail régionaux sur la santé communautaire ) illustrent à souhait à quel point co-construire à partir de deux points de vue est un exercice difficile. On peut réellement faire l’hypothèse que c’est la question du pouvoir qui est centrale dans l’ensemble des craintes exprimées par les professionnels. Ce que les patients expliquent notamment en évoquant un rapport inégalitaire en cas de différend ou de conflit. « C’est le pot de terre contre le pot de fer », signifiant que la relation est intrinsèquement inégalitaire. « Le professionnel fait front avec toute l’équipe, on a l’impression d’être face à un mur », disent les patients. Les craintes des professionnels, même si elles ne sont pas majoritaires, n’illustrent-elles finalement pas l’utilité d’un lieu possédant ses règles de fonctionnement spécifiques, s’appuyant sur un tiers neutre, pour parler et penser ce qui est sous-jacent au conflit dans la relation ? Pour permettre une plus grande égalité de traitement dans les situations vraiment difficiles, ce lieu serait utile pour construire une analyse de la situation qui ne serait plus basée que sur le seul point de vue des professionnels. Ce lieu serait utile pour apprendre à dépasser notre difficulté à envisager le sens du juste d’un autre point de vue que le sien propre.Documents joints
Cet article est paru dans la revue:
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