L’autogestion n’est pas un concept
abstrait, elle est le mode de fonctionnement
habituel de nombre d’organisations,
dont les maisons médicales. Au
service de quelles valeurs, de quels
principes, avec quels objectifs ? Comment
s’est-elle mise en acte dans la
durée, comment est-elle vécue aujourd’hui
? Quels en sont les apports, les
difficultés, les forces, les limites ? Pour
répondre à ces questions, nous suivrons
l’histoire de la Free Clinic de sa
création à nos jours et, avec l’enquête
d’Ingrid Leruth, verrons comment elle
se matérialise pour ses acteurs de
maintenant.
Free Clinic, carte d’identité
C’est en 1969, au sein de l’asbl Infor-Jeunes,
qu’émerge l’initiative de créer un service d’aide
médicale pour les jeunes, en référence au
modèle des « Free Clinic » qui se développent
aux Etats-Unis dans le but de favoriser l’accès
aux soins pour les jeunes.
En 1972, l’initiative se distingue d’Infor-Jeunes
et définit ses propres statuts en tant que « Centre
national d’études, d’information, d’accueil et
de soins médicaux pour les jeunes »1.
Elle obtient un premier agrément dans le cadre
de son activité en santé mentale (en 1973),
ensuite dans le cadre de son activité médicale
centrée sur les questions de planning familial
(en 1975) et en dernier lieu dans le cadre de
son activité de médecine générale (en 1995).
A ses débuts, l’association fonctionne grâce à
l’investissement bénévole des travailleurs, mus
par un engagement militant et imprégnés de
l’état d’esprit innovateur de Mai’68.
L’obtention des agréments va engendrer la
salarisation de certains travailleurs et induire
des nécessités de gestion budgétaire et administrative
inexistantes auparavant. C’est à partir
de ces éléments que des tensions vont apparaître
au sein de l’asbl, qui vont imposer la mise en
place d’une organisation structurelle spécifique.
Aujourd’hui, trois agréments sont reconnus à
une seule et même asbl : centre de santé mentale,
centre de planning familial et maison
médicale. Dans le cadre du secteur « santé
mentale » s’est développé un service de médiations
de dettes et au sein du planning familial,
le service juridique est doté d’un agrément (non
subsidié) en tant que service juridique de première
ligne. A chaque agrément correspond un
cadre défini de personnel qui est employé par
la même asbl. Actuellement, l’asbl emploie
quarante travailleurs et se distingue par sa
multidisciplinarité qui favorise une expérience
particulière de travail en interdisciplinarité.
Evolution de l’organisation de
la structure2
Indépendamment des modes de reconnaissance
et de subsidiation qui la définissent selon trois
identités distinctes, l’institution va adopter une
organisation structurelle et statutaire qui ne se
calque pas sur ces trois instances sectorielles.
La présence des trois agréments engendre une
complexité de gestion administrative et humaine
qui a exigé, au fil du temps, plusieurs
étapes de réflexion aboutissant à des remaniements
internes.
. Les différentes phases d’évolution1. De 1972 à 1975
A sa création en 1972, l’asbl comprend quatre
travailleurs bénévoles (un responsable, une
psychologue et deux médecins). Au départ, il
s’agit d’un travail de terrain en permanence :
on traite la crise en s’investissant dans le projet
sans compter. L’activité est centrée sur le travail
clinique, les dimensions « gestion et organisation
» ne sont pas prévalantes, comme si,
selon un travailleur de l’époque, « cela coulait
de source ». La demande augmentant, d’autres
professionnels vont s’associer au projet toujours
de manière bénévole. L’équipe se compose de
sept personnes, psychologues, médecins généralistes
et psychiatres. Après 1974, date de la
prise de distance avec Infor-Jeunes, c’est l’assemblée
générale constituée de l’ensemble des
travailleurs qui s’organise et prend les décisions.
Elle délègue à l’un des membres la tâche
d’exécutif administratif.
2. De 1975 à 1992
L’apport des subsides et la salarisation font
naître de nouvelles revendications (formations,
exigences d’application de barèmes salariaux)
et induire de nouveaux rapports de force.
De sept travailleurs, l’asbl passe à quatorze en
1974. Des tensions naissent : insatisfactions
financières, inégalités concernant la répartition
de la prise en charge administrative, reproches
d’ingérence entre pools professionnels différents,
tensions entre salariés et indépendants…
Une division interne apparaît entre le
« groupe médecins » pour le centre de planning
familial et le « groupe santé mentale » pour le
centre de santé mentale. En 1989, l’institution
comprend vingt sept travailleurs, dont vingt
trois composent le conseil d’administration
(tous à part les avocats) qui n’a pratiquement
aucun pouvoir : chaque groupe développe une
gestion de plus en plus autonome destinée à
aplanir les tensions entre les pools professionnels
et à protéger les intérêts respectifs. En
réponse à ces tensions, une formation au
marxisme sera suivie par les travailleurs, à la
suite de laquelle une réflexion sur les valeurs
fondatrices et fédératrices de l’association va
être menée. L’élaboration d’une charte appelée
« Charte commune aux travailleurs de la Free
Clinic » sera entreprise. Le souci de déterminer
des valeurs communes semble motivé par cette
première division interne.
3. de 1992 à 1999
Fin des années 1980, des conflits majeurs
suscitent une réflexion institutionnelle qui se
concrétise au début des années 1990 par un
travail de restructuration interne. L’assemblée
générale reste souveraine. Le conseil d’administration
va se distinguer de l’assemblée générale,
pour assurer une représentativité paritaire
des deux sous-groupes. En 1992, création au
sein de l’asbl de quatre groupes : groupe santé
mentale, groupe médecins, groupe kinés et
groupe Infor droit. Les statuts prévoient à cette
époque une très grande autonomie de gestion
des groupes, dans le souci de prémunir chaque
groupe contre les risques d’ingérence des autres.
Les rapports se durcissent entre les groupes
santé mentale et médecins, notamment
concernant la pratique de « l’accueil » dont les
attentes sont différentes. Dans le groupe médecins
(majoritaire en nombre au sein de l’asbl),
l’engagement de personnel paramédical modifie
la proportionnalité de vote (proportion
médecin/paramédicaux). Apparaît au sein de ce
groupe un « conseil médical » composé uniquement
des médecins, qui va, outre répondre à
des questions de responsabilité ou d’éthique
médicale, prendre une dimension protectionniste
des activités des médecins.
L’assemblée générale, composée de l’ensemble
des travailleurs, est souveraine. Après un an
d’engagement, tout travailleur est systématiquement
présenté par son groupe devant
l’assemblée générale qui l’élira comme membre
de l’asbl. Un temps de travail minimal (8 h par
semaine) est exigé, avec dérogation possible.
Le conseil d’administration est composé de six
membres de l’assemblée générale, avec représentation
paritaire des groupes : deux membres
pour chacun des deux grands groupes (santé
mentale et médecins) et un membre pour
chaque groupe minoritaire (kinés et Infor droit).
Le comité de gestion, composé
de quatre travailleurs, un
pour chaque groupe est pure
ment exécutif : il veille à résoudre
des questions matérielles
d’ordre technique.
4. De 1999 à 2002
A partir de 1999, une nouvelle
vague de réformes se dessine.
Le conseil d’administration
est une instance un peu
« fantoche », les groupes
détenant un pouvoir fort. Des
événements engageant sa responsabilité
vont lui imposer
une prise de position affirmée
face à l’autonomie des
groupes, à propos notamment
du renvoi d’un travailleur
indépendant. Les paramédicaux
du groupe médecins se
sentent dépossédés de la gestion de leur groupe. Des problèmes administratifs
émergent, issus de la prise en
charge trop décentralisée de la
gestion et du manque de
coordination entre les groupes.
Une nouvelle restructuration,
appelée « petite restructuration
», va s’entreprendre dans
la perspective d’un remaniement
plus complet visant à
reconstruire une institution
« unitaire » et recentralisée.
La « petite restructuration »
prévoit :
• Une recentralisation de la gestion, par la mise
sur pied d’une « cellule administrative » qui
va rétablir une gestion transversale ;
• La redéfinition des compétences du conseil
d’administration et de son pouvoir ;
• L’ouverture de deux postes d’administrateurs
à des personnes extérieures à l’asbl ;
• La modification de l’accès au statut de
membre de l’asbl : la présentation en tant que
membre n’est plus automatique, elle est
laissée à l’appréciation du travailleur qui a le
droit de s’impliquer ou pas ;
• La création d’un poste de « coordinateur »
au sein de chacun des groupes ;
• La répartition de responsabilités des différents
acteurs au sein des différents organes
(en fonction de compétences propres aux
travailleurs : gestion administrative des
dossiers du personnel, responsabilité par
rapport à des questions juridiques…) ;
• La dénomination du « groupe médecins »
change en « groupe médical ».
De nouveaux statuts sont rédigés, intégrant ces
éléments, ainsi qu’un règlement d’ordre
intérieur, durant l’année 2002.
. La restructuration en cours
Fin 2005, une commission interne de trois
personnes est mandatée par l’assemblée générale
pour poursuivre la réflexion suite à la
« petite restructuration ». Les objectifs du
mandat définis par l’assemblée sont :
• Proposer une éventuelle refonte des groupes
basée sur d’autres critères que les subventions ;
• Réfléchir à l’établissement d’un pôle directionnel
clairement défini.
Cette commission produit un rapport de son
travail de réflexion dont cet extrait illustre les
enjeux et les préoccupations : « La réorganisation
de la Free Clinic doit passer par une
réflexion sur sa finalité ou du moins sur l’adéquation
entre la finalité et son organisation
actuelle. Il ne nous est pas apparu évident qu’au
gré des réformes, la structure de la Free Clinic
soit un outil adéquat pour réaliser ses objectifs
et que cela va bien au-delà d’une approche essentiellement
« gestionnaire » ou « organisationnelle
». Il s’agit donc non seulement de
mieux organiser une situation de fait… Mais
surtout de trouver une organisation correspondant
mieux aux finalités de la Free Clinic
et permettant de réaliser ses objectifs ».
Dans le cadre de cette réflexion, plusieurs axes
sont abordés :
• Un axe « philosophique » consacre la nécessité
de faire référence aux objectifs de travail,
aux textes légaux (statuts, décrets) et à la
Charte ;
• Un axe traite de l’autogestion comme
« n’étant pas une finalité mais une valeur
partagée par tous », qui comporte différents
niveaux de considération :
-niveau politique : valorisation de questions
de société par rapport au pouvoir en place ;
autonomie de fonctionnement par rapport
au pouvoir subsidiant ;
– niveau organisationnel : nécessité de considérer
le collectif avant l’individuel ; l’autogestion
est qualifiée comme « démocratique
par délégation », avec une assemblée générale
souveraine et des organes intermédiaires
élus (par exemple le conseil d’administration) ;
– niveau praticabilité : l’autogestion implique
de composer avec l’incertitude, la créativité,
la liberté, « sans pour autant reléguer les
objectifs collectifs au second plan » ;
• Les autres axes intéressent :
– la question des droits, devoirs, responsabisabilités ;
– la notion de verticalité et d’horizontalité ;
– la dépersonnification du pouvoir ;
– la transversalité entre les groupes ;
– la gestion centralisée des ressources.
Ensuite, la commission fait une proposition
d’organigramme avec composition des différents
organes et de leurs compétences. La
préoccupation est de réunifier l’institution
autour d’un même projet, de favoriser une pratique
transversale et une gestion administrative
centralisée.
Le mandat confié à cette commission remet en
question des fonctionnements internes dont
l’ancrage répond à des considérations d’origines
diverses : par exemple, des événements
historiques, la complexité structurelle et
financière (plusieurs agréments au sein d’une
seule asbl), ou encore des exigences décrétales.
Ces fonctionnements internes sont également
le reflet d’une idéologie et de principes fondateurs
qui en justifient la singularité, dont l’autogestion.
L’autogestion est la particularité gestionnaire
de l’institution. Ce modèle de fonctionnement
est intimement lié à des valeurs fondamentales.
Une réorganisation du fonctionnement de
l’institution questionne inévitablement les
valeurs et principes qui sous-tendent ses options
gestionnaires. C’est pourquoi, il importe de
comprendre à quelles pratiques gestionnaires
les travailleurs de l’institution identifient leur
structure aujourd’hui, compte tenu de valeurs
et de principes fondamentaux qu’ils revendiquent
comme significatifs pour eux.
Les travailleurs et leur pratique
de l’autogestion. Présentation de la démarche
Pour comprendre la pratique actuelle de
l’autogestion il est nécessaire de :
• Cerner quelles valeurs et/ou quels principes
fondateurs sont signifiants pour les travailleurs
de l’institution ;
• Définir les contenus donnés par les travailleurs
à ces valeurs et principes ;
• Percevoir quelles pratiques institutionnelles
les travailleurs mettent en lien avec ces
valeurs et principes ;
• Comprendre par quels fonctionnements gestionnaires
les travailleurs de l’institution
définissent une pratique qu’ils qualifient
d’autogestionnaire.
Pour recueillir de tels éléments de l’ordre du
vécu, j’ai utilisé une technique d’investigation
qui favorise l’expression orale des personnes,
l’interview semi-directif, avec un ensemble de
questions réfléchies en fonction des objectifs à
atteindre, que j’ai posées à un échantillon de
18 personnes, représentatif de la pluralité
d’identité des 40 travailleurs
. Recueil et analyse des entretiens1. Les valeurs et/ou principes fondamentaux
Voici les valeurs et/ou principes cités comme
les plus signifiant(e)s pour les travailleurs
interrogés, ainsi que le contenu qu’ils y donnent.
La différenciation des termes « valeur » et
« principe » n’est pas relevée par les personnes
rencontrées qui les identifient globalement à des
« options fondamentales ». La charte de l’association
reprend la formulation « options idéologiques
». Parmi ces options, peu paraissent
concerner une valeur, mis à part l’égalité et la
liberté. Les autres semblent plus être de l’ordre
du principe : la participation, le militantisme,
l’autogestion, la pluridisciplinarité et l’interdisciplinarité,
l’accessibilité, l’autonomie.
Pratiquement aucune des personnes interrogées
n’a cité la « non-hiérarchie » comme une option
fondatrice, mais beaucoup l’ont évoquée dans
le cadre de l’égalité et de l’autogestion.
Les options qui ont suscité le plus de contenu
concernent la participation, le militantisme, la
pluridisciplinarité et l’interdisciplinarité, et
ensuite l’autogestion.
La participation
Ce principe est défini par tous par le biais du
statut de membre de l’association : la participation
fait référence à l’implication individuelle
au sein d’un collectif.
Dans la dimension individuelle, participer
signifie :
• engager au-delà du travail, en s’impliquant
en tant que membre ;
• peser sur les décisions et rester maître de son
destin propre par rapport à la structure ;
• être citoyen et favoriser la démocratie ;
• porter son outil de travail ;
• créer le projet et avoir un contrôle sur les
choix institutionnels ;
• partager ses idées, sa pratique en s’impliquant
dans les débats ;
• donner du sens à sa vie professionnelle, être
créatif et rester dans une démarche de réflexion.
Dans la dimension collective, participer
signifie :
• faire partie d’un collectif, se retrouver ensemble dans un même projet ;
• participer à la définition idéologique du projet
et adhérer à la philosophie et aux textes fondateurs
(valeurs, principes) du collectif ;
• défendre des valeurs fondamentales de société
et s’impliquer dans un projet politique ;
• contribuer à la collectivité et assumer des
responsabilités ;
• penser à l’intérêt de l’ensemble ;
• collaborer aux objectifs communs.
Je n’ai pas relevé de différence significative de
contenu entre les diverses personnes selon leur
formation, leur statut socio-professionnel ou
leur ancienneté. La plupart des personnes relient
la notion de participation à l’autogestion, en
évoquant l’autogestion comme moyen de réalisation
du principe de participation.
Le militantisme
ou l’engagement politique
L’engagement politique semble rester une
option dominante parmi les travailleurs, sans
distinction de statut au sein de l’institution. Cet
investissement militant est, pour nombre de
personnes interrogées, propre au secteur associatif.
Il se définit par la revendication de
valeurs idéales de société : le non-mercantilisme,
la tolérance, l’accessibilité à tous, la qualité
de la prise en charge, la participation citoyenne,
l’émancipation. Travailler à la Free Clinic, c’est
déjà participer à un projet qui est le reflet d’une
société « idéale ». Le projet se veut « global »
en s’inscrivant dans la société (ce n’est pas un
projet autarcique) au travers de différentes
dimensions humaines (culturelles, sociales,
économiques, psychologiques,…). Le projet est
en réflexion permanente et définit lui-même ses
lignes de conduite (objectifs, principes,
moyens,…) en fonction de la réalité de sa pratique
directe. Il vise à « penser autrement » que
le discours socio-politique dominant, à favoriser
le changement pour « agir autrement » (être
« alter-progressiste »). Il participe en quelque
sorte à un rééquilibrage au sein de la société.
Dans ce sens, il veut se tourner vers l’extérieur,
et affirmer ses choix politiques.
L’égalité
On constate une nuance dans le contenu de cette
valeur entre les paramédicaux (psychologues,
assistants sociaux, administratifs, conseillère
conjugale) et les médecins (généralistes et
psychiatres).
La nuance apportée dans la définition par les
paramédicaux se rapporte à l’égalité concernant
le statut (salarié/indépendant) et l’égalité concernant
la formation : l’égalité, c’est l’absence
de privilège, l’absence de barrière entre statuts
et formations différentes, c’est estomper les
pouvoirs en fonction des statuts. C’est aussi
partager la pratique professionnelle toutes fonctions
confondues et favoriser les compétences
de chacun. L’égalité consiste aussi à garantir le
même poids à tous, l’alternance dans l’accès
aux organes internes, et aussi la même information
à tous et une transparence totale.
Les médecins relèvent eux aussi la notion
d’égalité, mais la définissent davantage comme
une égalité dans le partage interdisciplinaire et
ne relèvent pas la question du statut.
L’égalité est mise en lien avec la démocratie,
la règle « un homme/une voix » et la pérennité
du statut de membre pour un maximum de
travailleurs.
La pluridisciplinarité et
l’interdisciplinarité
Les personnes qui assument des tâches administratives
n’évoquent pas la pluridisciplinarité et
l’interdisciplinarité comme des principes
prioritaires. Ceux qui les évoquent sont ceux
qui ont une pratique avec les usagers. Ils sont
assez unanimes quant à leur contenu. La
multidisciplinarité permet une approche globale
de la santé, considérée dans son sens large,
prenant en compte les aspects physiologiques,
psychologiques, sociaux, juridiques, culturels,
etc.
L’interdisciplinarité met en action l’échange de
compétences pour définir un travail en cohérence
: c’est pratiquer ensemble pour favoriser
la globalité et la qualité de la prise en charge.
Une minorité (les psychologues) évoque l’interdisciplinarité
comme outil de réflexion pour
définir le projet institutionnel, et en faisant
référence à l’autogestion pour en favoriser la
pratique.
L’accessibilité
Ce principe, évoqué par rapport aux usagers,
est défini par le respect de la différence (culturelle,
religieuse, raciale, socio-économique…),
l’autonomie de choix et l’absence de discrimination
à l’égard de particularités. Les personnes
interrogées y incluent la liberté de choix
des méthodes de soin et le développement de
l’accessibilité à des méthodes de soins diversifiées
et parallèles.
Aucune des personnes interrogées ne définit un
contenu qui concerne les travailleurs.
L’accessibilité est toutefois abordée de manière
implicite dans le cadre de l’égalité et de la non-
hiérarchie ainsi que dans la participation.
La non-hiérarchie
La non-hiérarchie se caractérise par des contenus
diversifiés, sans pouvoir distinguer de
lignes de pensées communes entre groupes
particuliers. Les contenus témoignent parfois
d’éléments paradoxaux chez une même personne.
Pour certains, la non-hiérarchie se conçoit
comme la réalisation d’une démocratie la plus
directe possible. Elle se qualifie par l’absence
de hiérarchie formelle, d’instance patronale ou
de pouvoir discrétionnaire détenu par une ou
par un nombre réduit de personnes. Il s’agit
d’une décentralisation du pouvoir : la prise de
décision se fait de manière collégiale.
D’autres conçoivent un système non hiérarchisé
mais doté d’une direction « exécutive » et
« non décisionnelle », mise en oeuvre par des
mandats (qualifiés d’exécutifs) attribués de
manière collégiale. L’importance de l’alternance
des mandats est soulignée.
D’autres encore introduisent la notion de représentativité
et envisagent soit une représentativité
de chacun dans la prise de décision, soit
la consultation de chacun dans la prise de
décision. Paradoxalement, certains associent
dans la non-hiérarchie la prise de décision par
représentativité et la prise de décision en
collégialité.
De manière plus globale, la non-hiérarchie est
mise en relation avec l’égalité et des rapports
non autoritaires, avec la participation démocratique
(un homme/une voix) et avec l’interdisciplinarité.
Le principe de non-hiérarchie
permet de tendre vers l’égalité, par la participation
démocratique, et aussi de réaliser l’interdisciplinarité.
L’autogestion
Le contenu de la définition de l’autogestion
montre des tendances différentes. Certains n’en
parlent pas comme d’une option fondamentale,
ils ne l’identifient pas parmi les principes et
valeurs. Ceux qui la citent la définissent plutôt
comme un moyen pour réaliser les principes
fondamentaux.
L’autogestion est citée par d’autres comme
option fondamentale tout en étant définie
comme un moyen de réalisation des principes
fondamentaux d’égalité, de non-hiérarchie,
d’autonomie, du droit d’interpellation et de la
participation. Elle se conçoit comme une dépersonnification
du pouvoir, comme un système
qui collectivise les décisions.
Pour d’autres encore qui la citent aussi dans
les options fondamentales, il s’agit d’un système
qui empêche le pouvoir discrétionnaire
d’une personne ou d’un nombre réduit de personnes.
L’autogestion, pour eux, c’est assurer
une représentation à tous les niveaux, les
« niveaux » (c’est-à-dire les organes internes)
ainsi que la représentation au sein des organes
(c’est-à-dire les mandats) étant déterminés par
l’assemblée générale.
Parmi ceux qui tentent de la définir, un trait
commun apparaît qui considère l’autogestion
comme le moyen pour concrétiser une pensée
collective, pour définir un objectif commun et
réaliser un travail en interdisciplinarité de
qualité. Elle est aussi perçue comme outil de
réflexion, de remise en question et de créativité
qui favorise l’expression individuelle et la
démarche politique.
2. La réalité actuelle des pratiques gestionnaires
Quelles sont les pratiques par lesquelles les
travailleurs estiment réaliser ou ne pas réaliser
les valeurs et principes fondamentaux (identifiés
au chapitre précédent) qui sont signifiants
pour eux ? Dans quelles pratiques ces principes
fondateurs s’incarnent ou ne s’incarnent-ils
pas ?
L’acquisition du statut de membre
L’acquisition du statut de membre par les
travailleurs de l’institution est une procédure
toujours d’usage. En soi, elle incarne le principe
de participation. La procédure a toutefois
évolué : jusqu’à la dernière modification des
statuts (2002), la candidature au statut de
membre se proposait de manière « systématique
» après un an d’activité professionnelle
au sein de l’institution. Maintenant, le travailleur
dispose de toute liberté de poser ou non sa
candidature. Certains relèvent une dimension
paradoxale à cette nouvelle pratique : d’un côté
elle permet de s’assurer de la motivation à
s’impliquer des personnes qui ont acquis le
statut de membre ; d’un autre côté, elle risque
de mettre en péril le principe de participation
(et donc l’autogestion) si trop de travailleurs
renoncent à acquérir le statut de membre.
L’acquisition du statut de membre par tous est
révélatrice aussi d’une volonté de pratiques
égalitaires. Toutefois, l’égalité ne semble pas
totalement réalisée, puisque l’accès au statut
n’est pas possible à l’ensemble du personnel (ce
de manière informelle, c’est-à-dire que cette
limitation n’est pas inscrite dans les textes) :
par exemple le personnel ouvrier, ou certains
membres de personnel à statuts particuliers,
comme des « article 60 ».
L’acquisition du statut de membre est l’expression
de « l’engagement militant » : travailler
dans cette institution est pour certains déjà en
soi un acte de militantisme, même si on n’est
pas membre ou membre réellement actif. Mais
beaucoup de personnes témoignent de l’évidente
cohérence entre le statut de travailleur et celui
de membre et n’imaginent pas travailler dans
cette institution sans acquérir le statut de membre.
La compétence du membre
Plusieurs personnes se questionnent sur l’implication
réelle du statut du membre : représente-
t-il une pleine implication en tant que gestionnaire,
ou s’agit-il de « faire de la gestion de
loin » en gardant un droit d’interpellation ?
La compétence « décisionnelle », la « participation
à la décision » exercée par le membre
semble mise en doute, pour se substituer en une
compétence d’« interpellation à la décision ».
Plusieurs personnes se questionnent sur les
dimensions démocratiques du système : elles
ont l’impression qu’il leur reste, en tant que
membres, un pouvoir très réduit. Elles relèvent
que les mandats des organes de gestion ne sont
pas clairs et que les pouvoirs des membres ne
le sont donc pas non plus.
L’égalité se réalise au travers du droit de chacun
à l’expression, toutes fonctions et statuts socioprofessionnels
confondus, « droit d’expression
» signifiant « autonomie et liberté d’expression
», « droit de marquer son opposition »,
« droit d’interpellation ». Certains remarquent
que la pratique du droit d’expression n’est pas
aisée, et nécessite un potentiel réactif pas donné
à tous. L’institution semble ne pas valoriser
« structurellement », par un processus défini,
le droit d’interpellation.
La possibilité pour chacun d’accéder à une
fonction au sein d’un organe à responsabilité
(tous les organes internes) est également citée
comme une pratique de l’égalité. Toutefois, la
faisabilité de l’accessibilité à des postes dans
les organes de gestion ne semble pas révélatrice
d’une pratique totalement égalitaire : certains
évoquent la présence d’une « hiérarchie de
compétence », pour certaines fonctions nécessitant
des compétences spécifiques que tous ne
possèdent pas. Les autres ont difficilement
accès à la compréhension de certaines dimensions
de gestion, surtout s’il n’y a pas de volonté
suffisante de transparence (par exemple la
comptabilité ou la connaissance des cadres des
décrets).
La définition et la reconnaissance
des mandats
Certaines personnes font le constat que les
processus mis en place pour pratiquer la participation
n’en garantissent pas pour autant la
réalisation. Elles pensent qu’il est possible
d’être membre sans adopter de comportement
participatif : la représentation par procuration
aux assemblées générales est possible, tout
comme la présence réelle mais passive. Elles
notent des attitudes et des comportements
pouvant être « non participatifs », et constatent
un manque de « cadre » institutionnel qui
définisse les droits et obligations des membres.
En quelque sorte, le « mandat de membre »
n’est pas bien défini.
Concernant la participation active au sein des
organes internes (conseil d’administration,
comités divers), la pratique révèle une absence
de reconnaissance institutionnelle des fonctions
de gestion : ces postes ne sont pas valorisés par
la définition d’un temps de travail, ni par un
mode de rétribution (pour les indépendants par
exemple). Par ailleurs, il existe bien une reconnaissance
« morale » individuelle (entre les
individus) pour ceux qui acceptent un mandat
au sein des organes : les personnes témoignent
du respect qu’elles ressentent pour ceux qui
assument cette responsabilité.
Les mandats des organes de gestion (conseil
d’administration, comité des coordinateurs
essentiellement) ne sont pas clairement définis.
Ceci tant en ce qui concerne le niveau que le
contenu de compétence : ces organes sont-ils
« exécutifs » ou « décisionnels » ? Et pour quelles
matières exécutives et/ou décisionnelles ?
Une hiérarchie « fonctionnelle » est induite par
la présence de ces organes dont la pratique
actuelle révèle un tâtonnement quant à leur
autonomie de pouvoir.
L’alternance des mandats
L’alternance aux postes de gestion est aussi une
pratique qui se veut égalitaire et qui garantit la
non-hiérarchie. Toutefois, certains émettent des
doutes quant à la réelle praticabilité de l’alternance :
• l’accès à une fonction de gestion ne semble
pas garanti à tous : le statut socioprofessionnel
(par exemple le statut d’indépendant) peut
être un frein, au niveau de l’organisation du
temps et de la difficulté de financement de
ce temps de travail ;
• les différences de statut (fonction et statut
socioprofessionnel) sont perçues comme
sources d’inégalités possibles et susceptibles
d’induire des tensions ;
• les compétences sont citées également comme
un frein à la possibilité d’accès aux postes
à responsabilité. La seule personne interrogée
qui dispose d’un statut d’ouvrier en fait par
elle-même le constat : elle se demande si elle
a les compétences, ne fût-ce que pour devenir
membre.
Sur les 18 personnes interrogées, 15 ont occupé
(souvent à plusieurs reprises) des postes différents)
et certaines en occupent encore
aujourd’hui. Les personnes qui n’en n’ont pas
occupé sont soit du personnel ouvrier, soit du
personnel sous statut d’indépendant.
La pratique interdisciplinaire
La multidisciplinarité est un état de fait dans
l’institution. L’interdisciplinarité, c’est-à-dire la
mise en oeuvre de ces différentes disciplines
pour favoriser la prise en charge globale, n’est
pas suffisamment valorisée dans la pratique.
Elle n’est pas « organisée » de manière formelle
par l’institution. Certains font état de la méconnaissance
des compétences particulières de
chacun, et d’une impression d’anarchie dans les
fonctionnements professionnels.
L’interdisciplinarité se réalise en partie par le
biais de réunions cliniques : ces réunions, organisées
par « groupes structurels » (groupe santé
mentale, médical, Infor droit…), ne sont pas
assez fréquentes et ne mettent pas en synergie
un ensemble de disciplines et/ou d’intervenants
concernés par une situation.
Les échanges informels constituent la pratique
la plus fréquente de l’interdisciplinarité : il
s’agit le plus souvent de partages entre deux
professionnels au sujet d’une situation ou d’un
usager, ou d’échanges de type « intervision »
(demande d’avis) entre deux professionnels de
même discipline.
La pratique interdisciplinaire fait défaut au
niveau de la définition collective du contenu
du travail et du contenu idéologique et politique
du projet et met donc un frein à l’option
militante de l’institution. Toutes les personnes
interrogées citent le militantisme comme une
« option » fondamentale. Le militantisme se
concrétise par des actes de questionnement et
de remise en cause, tant au sein et à propos de
l’institution que par rapport à des questions de
société. Les personnes rencontrées constatent
une forme d’individualisation des actes militants.
L’institution ne consacre pas de temps de
réflexion collective au sujet de ses options
philosophiques et politiques, tant internes
qu’externes.
L’absence de pratique collective semble réduire
l’initiative militante, et orienter l’institution vers
une pratique majoritairement « caritative ». Un
ancien travailleur regrette la disparition d’un
« groupe des sages » dont l’objet était de s’atteler
à la réflexion permanente sur les axes
philosophiques et politiques. Certains constatent
que le nombre important de travailleurs
rend difficile la réalisation d’une pratique interdisciplinaire.
L’existence de rapports non hiérarchisés et
égalitaires est considérée comme essentielle
pour une pratique interdisciplinaire. Par ailleurs,
des hiérarchies informelles se manifestent, sous
forme de « hiérarchie fonctionnelle » : certains
assument des tâches qui permettent à d’autres
de fonctionner. Par exemple, les rapports entre
les prestataires de soins et ceux qui occupent
une fonction d’accueil sont parfois vécus
comme hiérarchiques. D’autres tâches sont
exécutées dans un contexte étroit d’équipe (en
toute interdisciplinarité) et induisent des
dépendances vécues comme inégalitaires, dues
à des hiérarchies de fonction. Les différences
de fonctions génèrent une hiérarchie des
pratiques et mettent en question une pratique
égalitaire.
L’inégalité est ressentie également lorsque pour
la détermination du contenu de tâches et de
l’organisation du temps de travail (horaires,
prises de congés,…), la priorité de l’intérêt collectif
est invoquée : pour certains travailleurs,
tributaires d’une organisation d’équipe, la priorité
du collectif prime sur l’intérêt individuel,
alors que d’autres travailleurs se voient nantis
d’une totale autonomie car les tâches qu’ils
assument se réalisent en dehors d’un contexte
d’équipe.
La professionnalisation
Le développement de pratiques plus « professionnalisées
» est considéré comme pouvant
enfreindre le principe de participation : par
exemple la présence de deux gynécologues
« consultants » pour des horaires très réduits,
qui ne souhaitent pas être membres, ou d’avocats
indépendants qui n’ont qu’un nombre très
réduit d’heures de prestation.
La professionnalisation de la gestion en fonction
de compétences exclut la participation de
certains à des postes de gestion, et induit chez
eux une tendance au désengagement et une
sensation de perte de « convivialité ». La
professionnalisation remet en cause également
les valeurs d’égalité et d’accessibilité.
La procédure d’engagement de nouveaux
travailleurs est relevée comme importante pour
préserver le principe de participation, ainsi que
l’option « militante » que l’institution veut valoriser.
Les personnes sont actuellement engagées
en fonction de leurs compétences professionnelle
et non de leur engagement participatif
et militant. Plusieurs pensent que la nouvelle
disposition statutaire concernant l’acquisition
du statut de membre devrait inciter à une définition
plus rigoureuse des critères de sélection
des nouveaux travailleurs, qui garantisse la prise
en compte d’une dimension « politique » et de
leur volonté d’implication et d’engagement
militant dans le profil des candidats.
La bureaucratisation
et l’organisation gestionnaire
Une gestion qui veille à l’application de règlements
et garantisse les droits de chacun (droit
du travail, secrétariat social, médecine du travail,
règlement d’ordre intérieur) est considérée
comme témoin du souci de veiller à l’égalité.
Pour plusieurs personnes, l’égalité ne peut se
réaliser que dans la mesure où l’institution
s’organise pour la valoriser. La recherche
actuelle qui vise à « structurer » autrement l’institution,
et à créer des organes intermédiaires
correspond notamment au souci de tendre vers
ce principe d’égalité : l’existence d’un « organe
de référence » (le comité des coordinateurs)
pour le personnel est considéré comme la mise
à disposition d’un lieu d’expression qui veille
à garantir l’égalité. Toutefois, certains considèrent que le manque de professionnalisme
dans cette prise en charge peut être source
d’inégalité.
D’autres perçoivent les organes gestionnaires
comme une hiérarchisation potentielle des
rapports qui peut induire une forme d’inégalité,
dans la mesure où la transparence n’est pas
effective et où l’information ne circule pas
suffisamment. La pratique actuelle des organes
semble manquer de transparence : rapports de
réunions absents ou tardifs. La pratique de la
consultation semble se développer au sein des
organes de gestion : elle est vécue comme une
forme de hiérarchisation des rapports, car elle
est individualisée et ne favorise pas le débat
collectif ni la transparence.
Certains pensent que l’impact de certaines valeurs
est réduit à cause des exigences imposées
par le cadre légal (décret, pouvoir subsidiant) ;
ils craignent que les exigences administratives
et la bureaucratisation biaisent l’initiative, le
potentiel de remise en cause, la créativité et
donc freinent l’énergie militante. D’autres
relèvent des impressions de « dérapage »
concernant le non-mercantilisme revendiqué
dans la charte, la rentabilité semblant parfois
prendre le pas sur des considérations humaines.
En revanche, beaucoup de personnes interrogées
estiment que les nécessités de gestion
envahissent les préoccupations et que la prise
en charge de la gestion dans un système
organisé permet une meilleure valorisation d’un
travail clinique interdisciplinaire. En corollaire,
beaucoup trouvent que l’autonomie d’organisation
et de gestion des tâches encourage la prise
d’initiatives et la militance : la non-structuration
laisse la place à la créativité. Ils témoignent de
la nécessité de réaliser un arbitrage entre
souplesse et rigueur de fonctionnement.
Formellement, les travailleurs considèrent
qu’ils n’ont pas de supérieur hiérarchique : chacun
est responsable de son travail et chacun
dispose d’un droit d’interpellation de l’autre,
quelle que soit sa fonction. Il n’y a pas de
« pression dirigeante » par un individu désigné
à cette fin.
C’est l’assemblée générale qui constitue le niveau
hiérarchique suprême : elle est souveraine.
La structuration par la mise en place d’organes
de gestion est pour certains un moyen pour
clarifier les pouvoirs : en réduisant les pouvoirs
individuels informels qui sont toujours présents
dans les structures, on empêche la hiérarchie
déguisée.
Les personnes qui assument des fonctions de
gestion soulignent la difficulté de « porter deux
casquettes » (travailleur et gestionnaire) car cela
induit un autre type de relation avec les collègues,
comme si une forme de hiérarchie est
induite par la fonction, même si le comportement
n’en témoigne pas.
L’autogestion…en question ?
Les entretiens ont montré que la définition de
contenu des valeurs et principes nécessite une
démarche réflexive inhabituelle : les personnes
interrogées n’expriment pas d’emblée une
définition claire qui démontrerait qu’elles ont
déjà réfléchi aux notions qu’elles citent comme
valeurs et principes. Le contenu des valeurs et
des principes fondamentaux récolté ici
correspond à des conceptions individuelles liées
au parcours personnel, au processus de formation,
à l’expérience professionnelle, au statut
socioprofessionnel. Une approche plus pointue
pourrait être réalisée, pour envisager la mise
en évidence des particularités de définitions en
fonction de critères tels que le statut ou la
fonction.
Les personnes rencontrées témoignent toutes
d’un souci de « reliance », par la recherche
d’une cohérence collective du projet institutionnel.
Cette préoccupation exige sans doute de
mener une réflexion collective à l’égard des
valeurs et des principes dont le contenu est
actuellement perçu « individuellement ».
Toutes les personnes interrogées constatent que
les pratiques ont changé, ou sont en voie de
changement : la période actuelle est qualifiée
de transitoire.
Les témoignages montrent un attachement idéal
à un modèle autogestionnaire, et par ailleurs,
révèlent des pratiques qui s’éloignent d’un
modèle de participation directe des travailleurs.
La participation se décline de diverses manières
pour les personnes rencontrées, les processus
de réalisation du système participatif ne sont
pas encore définis.
Les critères de définition du processus
démocratique ne sont pas identiques pour tous
les travailleurs : une différence se marque parmi
les personnes qui assument ou pas un poste de
gestion. Certains parmi ceux qui n’assument pas
de poste gestionnaire qualifient le système
actuel de « fausse autogestion » ; d’autres
regrettent l’absence de réflexion décisionnelle
collective (ils parlent de « manque de démocratie
de réflexion ») et le manque d’information.
Les personnes qui assument un poste de gestion
formulent de manière plus aboutie leur vision
du système : celle-ci se manifeste par une
organisation de type démocratique, qualifiée de
représentative et consultative. La représentation
induit une verticalité fonctionnelle et non
décisionnelle, la consultation étant assurée dans
les deux sens, ces deux éléments étant garants
d’un principe de non-hiérarchie. Certains
indiquent le nombre important de travailleurs
comme rendant nécessaire plus de structuration
organisationnelle, même si celle-ci biaise
certains principes, principalement l’égalité ou
la non-hiérarchie, mais aussi la participation.
L’autogestion est d’emblée mise en lien avec
les nécessités de gestion, et dans ce cadre, apparaît
de manière récurrente la valeur « efficacité
», qui n’a pas été citée parmi les valeurs et
principes fondateurs signifiants par les travailleurs
interrogés.
Nombreux sont ceux qui voient l’autogestion
comme un arbitrage judicieux à réaliser entre
la participation et la structuration de la gestion.
L’entreprise actuelle de l’institution, qui vise à
restructurer son organisation et à redéfinir le
processus décisionnel, fait état d’une réelle
démarche réflexive qui tente de réaliser cet
« arbitrage ». Cette démarche tente, comme le
démontrent les contenus amenés par la
« commission restructuration », de prendre en
considération l’ensemble des dimensions qui
caractérisent l’institution, et notamment ses
principes fondateurs. Sans doute s’agit-il bien,
comme le formule le titre de l’introduction de
son rapport d’activité 2005, de « revisiter
l’autogestion ».
Les pratiques actuelles tentent de préserver
l’aspect démocratique du système, par la représentativité,
l’absence de pouvoir discrétionnaire
et la répartition sur plusieurs personnes des
responsabilités. Les possibilités d’alternance et
le contenu des mandats, la transmission de
l’information, le processus de consultation sont
à définir pour que la démocratie soit préservée.
Il semble qu’au-delà d’entreprendre un processus
dialectique entre « autogestion » et « gestion
», il s’agit de réaliser une « trialectique »3,
c’est-à-dire de rechercher une formule « innovante
» qui vise à concilier les diverses
dimensions évolutives actuelles (tant internes
qu’externes et dont l’émergence échappe à la
maîtrise de l’institution), avec des valeurs et
principes qui, quoiqu’issus d’une volonté fondatrice
peut-être dépassée, restent symboliques
d’une démarche alternative qui vise une forme
d’humanisation sociétale.
S’agit-il aujourd’hui d’« autogestion » ou de
« gestion démocratique participative » ? .
Ce chapitre
est inspiré d’une
« ligne du
temps » que j’ai
rédigée dans le
cadre de la préparation
du
congrès 2006 de
la Fédération des
maisons médicales
sur le thème
« Refonder les
pratiques sociales,
refonder les
pratiques de
santé ». Cette
ligne du temps a
été réalisée sur
base de documents
(statuts de
1972 à 2004 et
travaux internes
en vue de la
restructuration)
en collaboration
avec d’anciens
travailleurs,
notamment un
membre fondateur
de l’association.
Anciaux
Alain, cours de
« Méthodes
d’évaluations en
sciences
humaines »,
ULB, Institut des
sciences du
travail, 2005.
Autogestion : l’exemple d’une structure de santé particulière
L’autogestion n’est pas un concept abstrait, elle est le mode de fonctionnement habituel de nombre d’organisations, dont les maisons médicales. Au service de quelles valeurs, de quels principes, avec quels objectifs ? Comment s’est-elle mise en(…)
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L’autogestion, ses sens, ses sources
Etymologiquement, « autogestion » signifie « la gestion par soi-même ». Le terme sera introduit dans le langage politique français suite au concept issu du système communiste yougoslave dans les années 1950. Mais il est déjà(…)
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L’autogestion pensée dans le domaine de la santé
Dans le contexte libéral dominant, le lien entre autogestion, santé et soins de santé est loin d’être une évidence. Ce lien implique effectivement de penser la santé autrement et d’en tirer les conséquences au plan d’une(…)
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Dans une société de plus en plus libérale où la liberté de l’individu, la compétition, la consommation sont les valeurs dominantes, comment les maisons médicales nées dans la mouvance des années 70 adaptent-elles le modèle autogestionnaire(…)
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L’autogestion… je ne voudrais pas en changer
De l’hypothèse d’une société égalitaire à l’inévitable reconnaissance de l’alté rité : l’autogestion comme fil d’Ariane d’une pratique en maison médicale.
- Cuvelier Lawrence
Petites lectures en toute autogestion
Outre les ouvrages déjà cités en note dans les articles de ce Cahier…
-
L’autogestion, entre appareil institutionnel et idéal de démocratie
Le thème de l’autogestion semble pour d’aucuns aujourd’hui assorti de qualificatifs qui lui prêtent l’allure de la désuétude : post-soixante-huitard, illusoire, communiste, utopique… Les diverses dimensions d’un tel modèle suggèrent bon nombre de questionnements au niveau(…)
- Leruth Ingrid
Agora et l’autogestion
En dix ans d’existence, la patientèle, les locaux et surtout l’équipe de notre maison médicale ont beaucoup évolués. Il nous est donc apparu nécessaire de réamorcer une réflexion plus globale de notre projet, permettant ainsi d’affiner(…)
- Legardeur Emeline
Les maisons médicales : acteurs de l’économie sociale
Depuis leur fondation, les maisons médicales fonctionnent en autogestion et selon un mode non-hiérarchique… Par leur finalité de service à la collectivité, leur processus de décision démocratique et la primauté qu’elles donnent à la personne sur(…)
- Christian Legrève, Coralie Ladavid, Huens Véronique
L’autogestion, de la propriété de l’entreprise à la démocratie directe
Comment définir l’autogestion ? Comme le souligne Jacques Defourny]] J. Defourny, Démocratie économique et efficacité économiques, page 37, De Boeck, 1990. ]], « il n’existe pas de définition générale de l’autogestion et la diversité des conceptions(…)
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Les pages ’actualités’ du n° 45
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