Un nouveau défi pour la première ligne
Célia Primus-de Jong, Charline Maertens de Noordhout, Diego Castanares-Zapatero, Irina Cleemput, Jens Detollenaere, Karin Rondia, Koen Van den Heede, Laurence Kohn, Marie Dauvrin
Santé conjuguée n°97 - décembre 2021
Plusieurs mois après la contamination, des personnes malades du Covid se plaignent de la persistance de certains symptômes, et ce indépendamment de la sévérité de l’infection initiale. Assiste-t-on à l’émergence d’une nouvelle maladie chronique ? Rien n’est moins sûr, mais, à l’image d’autres patients vivant avec une maladie chronique, les personnes souffrant de Covid long ont des besoins multiples et complexes dans les sphères médicales, sociales et psychologiques.
Interpellé par la Ligue des usagers des services de santé (LUSS), le KCE a mené une vaste enquête en Belgique pour identifier les besoins des personnes atteintes de « Covid long » (appelé post-Covid-19 par l’Organisation mondiale de la santé depuis octobre 2021) : 1320 patients ont répondu à une enquête en ligne complétée par 36 entretiens qualitatifs, un forum de discussion en ligne et une revue de la littérature scientifique concernant la prévalence et les mécanismes pathophysiologiques sous-jacents [1].
Qu’est-ce que le Covid long ?
En octobre 2021, l’OMS publiait une définition de consensus : présence de symptômes (habituellement trois mois après une infection probable ou confirmée SARS-CoV-2) durant au moins deux mois et qui ne peuvent être expliqués par un autre diagnostic. Les symptômes peuvent être présents au moment de l’infection ou se développer au fil du temps. Le Covid long touche tous les âges, y compris des enfants et des adolescents, et s’observe chez tous les patients, y compris ceux légèrement touchés, voire asymptomatiques ou très sévères, avec ou sans nécessité d’hospitalisation.
Il ne faut pas confondre le Covid long avec le syndrome post-soins intensifs (PICS) observé chez près de la moitié des patients ayant passé, au minimum, sept jours aux soins intensifs par suite d’une pathologie grave. Le PICS comprend trois types de symptômes : physiques (faiblesse musculaire extrême observée ; +/- 40 % des patients), psychologiques (anxiété, dépression, syndrome de stress post-traumatique pouvant coexister ; 20 à 35 % des patients) et cognitifs (pertes de mémoire, perte de fluidité verbale, troubles de l’attention et des fonctions exécutives ; 20 à 40 % des patients) [2].
Ce que vivent les patients
Fatigue, dyspnée et essoufflement, maux de tête, troubles de l’odorat et du goût sont les symptômes les plus fréquemment identifiés à trois mois chez des personnes atteintes de Covid long dans la littérature scientifique. S’y ajoutent de nombreux autres troubles atteignant tous les systèmes de l’organisme (cardiovasculaire, gastro-intestinal, neurologique…), fluctuant au cours du temps, avec une fréquence extrêmement variable, ce qui n’est pas sans compliquer le diagnostic et l’accompagnement des patients. Ces mêmes symptômes sont partagés par les patients interrogés par le KCE : fatigue anormale et excessive ne cédant pas au repos, essoufflement anormal y compris chez des personnes avec une excellente condition physique préalable, problèmes de mémoire et de concentration (appelés « brouillard cérébral »), complétés par une longue liste de symptômes digestifs, dermatologiques, cardiovasculaires, ou encore musculosquelettiques.
« Difficulté à trouver les mots, ne pas pouvoir finir ses phrases, beaucoup de difficultés à se concentrer (par exemple se demander toutes les cinq minutes ce que tu étais en train de faire), être confus, c’est-à-dire oublier très souvent des choses ou avoir l’impression d’être dans le brouillard, que tout est flou dans la tête… Ce sont des symptômes dont je ne souffrais pas du tout avant la maladie. On pourrait dire oui tout le monde est parfois fatigué et puis le cerveau est parfois défaillant, mais là c’est bien pire et ce n’est pas normal que ça se produise si fréquemment », partage un participant à l’enquête.
Pour certains patients, le Covid long entraine une dégradation manifeste de la qualité de vie, une certaine perte d’autonomie et des difficultés à reprendre le travail. À l’image d’autres patients chroniques avec une maladie « invisible » ou peu connue, les personnes souffrant de Covid long témoignent d’un manque de reconnaissance et de stigmatisation de leur vécu, tant de la part des professionnels de la santé que de leur entourage familial et professionnel. Certains symptômes sont difficilement objectivables et, en l’absence de données d’imagerie médicale ou de biologie clinique, les patients ont l’impression de ne pas être entendus et soutenus par les soignants ou leurs proches.
« Le souci principal que j’ai observé c’est que d’habitude, avec un virus, tout le monde sait qu’après une bonne semaine, on est sur pied. Mais ici ça ne fonctionne pas. Et donc quand tu tentes d’expliquer que ce n’est pas ce que tu vis, on te prend pour un dingue et on te regarde de travers… Et ce n’est pas seulement monsieur tout le monde qui réagit comme cela ; les médecins aussi ! », dit un patient. Si la majorité des personnes interrogées ont déclaré être satisfaites de leurs contacts avec les professionnels de la santé, elles ont cependant besoin de plus d’informations (52 %) et d’être accompagnées par du personnel compétent, au minimum connaissant l’existence du Covid long (24 %) ; 23 % d’entre elles ont été confrontées à des difficultés d’accès aux soins.
Le mal-être psychologique ne doit pas être sous-estimé. Bien que certains patients estiment l’impact du Covid sur leur vie « limité », d’autres le voient comme « bouleversant la vie ». Anxiété, sentiment de détresse et dépression ne sont pas exceptionnels. Le retour au travail reste également un sujet de préoccupation : l’absence prolongée entraine une baisse des revenus qui à son tour peut entrainer un non-recours aux soins. Pour d’autres, la reprise du travail se fait sans avoir récupéré l’entièreté des capacités ou à temps partiel, ce qui affecte aussi le bien-être et la santé mentale. Enfin, les patients pointent la lourdeur administrative et la multiplicité des démarches à entreprendre (mutualité, employeurs, services d’aide divers, etc.).
Ce que peuvent faire les professionnels de la santé
Dans notre système de santé, plusieurs possibilités permettent déjà de répondre, partiellement, à certains des besoins des personnes vivant avec un Covid long.
L’assurance maladie-invalidité contient une série de mesures pour soutenir l’accessibilité financière. Toute personne en Belgique a droit au maximum à facturer pour ce qui concerne ses dépenses de santé. Celui-ci est calculé sur la base des revenus des deux années précédentes, mais, en cas de baisse des revenus, les patients ont la possibilité de demander à leur mutualité de choisir une autre année de référence pour bénéficier d’un seuil plus bas. De même, le statut de bénéficiaire d’intervention majorée (BIM) n’est pas accordé automatiquement, mais selon des critères sociaux et financiers. En cas de maladies chroniques, il est également possible de bénéficier du statut « affections chroniques » en cas de dépenses de santé importantes, et/ou de l’intervention forfaitaire pour malade chronique, couvrant les frais liés à la dépendance engendrée. Chaque situation étant unique, il est indispensable de recommander aux patients de s’adresser à leur mutualité et, le cas échéant, de les aider dans leurs (trop) nombreuses démarches.
Les patients peuvent en effet avoir besoin de soutien pour les démarches administratives en lien avec l’incapacité ou la reprise du travail ou des études. L’INAMI, le SPF Emploi et Fedris (l’Agence des maladies professionnelles) sont trois interlocuteurs privilégiés pour les questions liées à l’emploi. Médecins du travail, conseillers en prévention, médecins scolaires et travailleurs des centres de promotion santé à l’école sont également des partenaires à mobiliser pour accompagner l’incapacité de travail ou le retour au travail (ou à l’école). À l’heure actuelle, il n’y a pas de recommandations spécifiques en Belgique pour la reprise du travail par suite du Covid, mais des exemples existent à l’étranger, notamment celles du National Health Service britannique à destination des employeurs [3].
Un besoin important pointé par les patients est le besoin de soutien psychologique. Depuis le 1er septembre 2021, il n’est plus nécessaire d’avoir une prescription pour bénéficier de consultations avec un psychologue, pour autant que ce dernier ait souscrit à la convention avec l’INAMI [4]. Un total de huit séances individuelles ou de cinq sessions collectives est prévu pour les adultes à partir de 15 ans par année civile. Pour les enfants et adolescents (jusque 23 ans), dix séances individuelles et huit sessions collectives sont remboursées. Les indépendants peuvent bénéficier également de sessions gratuites via une convention spéciale, coordonnée par l’asbl Un pass dans l’impasse. Signalons encore l’existence des guidelines d’EBP Practice Net pour l’accompagnement de la dépression par le médecin généraliste.
En kinésithérapie, en plus de la prescription de soins courants, il est possible de prescrire un nombre plus élevé de sessions dans le cas où le patient viendrait à correspondre aux critères d’inclusion des listes E (pathologies chroniques sévères), listes Fa et Fb (maladies « aigues » ou chroniques). Se trouve par exemple dans la liste Fa un nombre supplémentaire de séances pour les personnes ayant séjourné aux soins intensifs. Cependant, ces critères sont relativement stricts et peu de patients pourraient réellement en bénéficier. Une alternative consiste à prescrire des séances de kinésithérapie dans le cadre de la médecine physique et de la réadaptation. Différents forfaits existent, dont les forfaits K20/K15 qui incluent un maximum de 48 sessions de kinésithérapie combinant une ou plusieurs techniques monodisciplinaires. Ces forfaits ne sont pas liés à des listes limitatives et sont donc accessibles à un grand nombre de patients (à la différence des forfaits K30, K45 et K60). Ils ne peuvent cependant être prescrits que par des spécialistes en médecine physique
Un bilan interdisciplinaire
Face au tableau hétérogène des symptômes, le grand défi pour les professionnels de la santé sera d’identifier correctement les personnes vivant avec un Covid long afin de proposer une prise en charge rapide et complète, incluant une réponse aux défaillances physiologiques et aux besoins non médicaux.
C’est pourquoi le KCE propose, entre autres, d’élaborer le cadre d’un bilan interdisciplinaire holistique (unique) pour les patients potentiellement atteints de Covid long. Prescrit par le médecin traitant (généraliste ou spécialiste), ce bilan sera accessible à toute personne infectée au SARS-CoV-2, indépendamment de la sévérité de l’infection, tout en mettant la priorité sur les patients avec des plaintes complexes et multiples. Pour le moment, le KCE propose la possibilité de l’organiser au sein d’une structure hospitalière pour bénéficier de l’infrastructure et de la disponibilité rapide des différentes spécialités médicales et paramédicales. Coordonnée par un médecin spécialiste, cette équipe devrait inclure a minima un psychiatre ou un psychologue et un kinésithérapeute avec une expertise dans l’accompagnement des patients Covid long. Pour être pertinent, ce bilan devra être fait en collaboration étroite avec les acteurs de la première ligne, dont le médecin généraliste. De plus, ce bilan doit nécessairement inclure des aspects non médicaux tels que le contexte social, la reprise du travail et le fonctionnement quotidien. Les travailleurs sociaux et infirmiers en santé communautaire sont donc également à mobiliser pour ce bilan. Les professionnels de la santé devront être particulièrement attentifs aux groupes à risque de sous-diagnostic, comme les personnes avec un profil socioéconomique vulnérable, les hommes, les enfants et les personnes âgées. Ce bilan permettra de proposer un plan de soins adapté à la situation du patient, à opérationnaliser autant que possible en première ligne de soins.
Espérons que ce focus sur les difficultés vécues par les patients atteints de Covid long puisse servir d’accélérateur de changements pour l’ensemble des personnes vivant avec une maladie chronique. Et ce ne sont pas les recommandations et les études qui manquent pour améliorer durablement notre système de santé et le rendre chronic-care friendly.
[1] Toutes les publications et toutes les contributions du KCE dans le cadre de l’épidémie de Covid long sont disponibles sur le site https://kce.fgov.be.
[2] Le KCE a sélectionné six outils rapides à destination des médecins généralistes pour détecter l’apparition de signes liés au PICS. Ils sont consultables sur le site du KCE.
[4] Cette mesure n’est pas encore totalement opérationnelle au moment de la rédaction de cet article.
Cet article est paru dans la revue:
Santé conjuguée, n°97 - décembre 2021
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