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Des patients et des équipes investissent ensemble les instances de décision de maisons médicales. Pourquoi et comment sont-ils passés de « l’entre travailleurs » à « l’entre nous tous » ? Une recherche vient de se pencher sur ces questions qui contribuent à faire du patient un acteur à part entière de la santé.

Voici ses premiers résultats. Ils concernent la participation des patients dans les instances de décision des maisons médicales, essentiellement leur implication dans les assemblées générales, cas de figure le plus fréquent quand la participation est mise en place. Il se dégage de cette analyse une multitude de réalités influencées, au niveau de la réflexion, de la décision et de la mise en pratique, par des facteurs communs au sein des maisons médicales. Ces facteurs sont des freins ou des leviers selon l’angle de vue et les réponses qu’on y apporte, ils touchent à l’identité des professionnels, aux relations entre soignants et soignés, à l’image que la maison médicale veut garder pour les patients. Ils touchent au rôle et au fonctionnement des assemblées générales, au cadre défini pour le pouvoir à partager, à la légitimité des patients et aux compétences à développer pour les accueillir et les intégrer. Ces facteurs pourraient constituer des points d’attention à examiner par les équipes qui souhaitent s’emparer de cette pratique, pour déterminer le sens qu’elles y donnent, le type de participation qu’elles souhaitent et le processus de mise en œuvre qu’il demande. L’implication des patients en maison médicale. Quelle réalité ? Quels besoins ? Cette recherche exploratoire est financée par la Fondation Roi Baudouin et la Fédération des maisons médicales francophones. Elle explore tous les niveaux : soins, activités, groupes, comités et instances de décision. Il s’agit d’analyser la réalité des maisons médicales pour dégager les enjeux actuels, les freins, les leviers et les effets tels qu’exprimés par les professionnels et les patients. Elle permettra de dégager des pistes d’action : nouvelles recherches à mener, formation, outils, ainsi que des propositions de développement stratégique. Les données ont été recueillies entre août et décembre 2020 : trente-quatre maisons médicales ont répondu à une enquête par questionnaire et des entretiens ont été réalisés auprès de treize patients et neuf professionnels de six maisons médicales différentes.

Sur le terrain, de multiples cas de figure

L’implication des patients dans les instances de décision peut ne pas être prévue dans les statuts (43 %) ; prévue dans les statuts pour les assemblées générales (AG) et le conseil d’administration (CA), mais non effective (17 %) ; prévue pour les AG, mais non effective (20 %) ; effective en AG (17 %) ou encore effective en AG et au CA (3 %). Dans les 20 % de participation effective, les patients participants viennent en tant que représentants d’un comité de patients (11 %) ou en leur nom propre (8,5 %). Actuellement, certaines maisons médicales ont statué sur la non-présence de patients dans leurs assemblées générales (10 %). Enfin, soulignons que certaines maisons médicales accueillent des personnes extérieures non-patients, ou d’anciens patients dans leurs assemblées générales, avec ou sans patients par ailleurs. Une réelle pluralité de pratiques donc. Nous allons en voir les raisons.

La participation des patients continue à motiver des équipes, faisant écho aux valeurs, objectifs et moyens du mouvement des maisons médicales

Ces équipes évoquent la volonté de placer le patient au centre, de faire participer les premiers intéressés, de défendre une vision horizontale des soins et de la santé plus largement : « Cela va nous permettre de faire le lien avec les communautés et d’asseoir nos réflexions dans la réalité du quartier ». Les patients quant à eux y voient un sens pour développer leur pouvoir d’agir et permettre aux professionnels d’avoir une expérience différente de l’entre soi. Les équipes marquent ainsi leur attachement à la vision de la santé telle que définie dans la charte d’Ottawa, soutenant la participation des usagers au choix des priorités de santé dans les maisons médicales, voire au-delà, et comme moyen d’empowerment (pour les patients et les professionnels). Mais il existe des nuances importantes : la participation peut en effet être vue comme une valeur, comme un objectif en soi ou un moyen (« Ça va nous permettre de ne pas tourner en vase clos », « On veut que le patient puisse faire des retours d’évaluation du fonctionnement de la maison médicale »). Des nuances à clarifier pour éviter des frustrations et des difficultés : « Certains travailleurs sont frustrés parce que les patients ne s’expriment pas beaucoup, moi je suis contente, car rien que leur présence change la dynamique ».

L’implication des patients bouscule les postures et rôles habituels entre soignants et patients, qui se retrouvent hors des balises

Des professionnels ressentent de l’inconfort (se retrouver assis à côté de leur patient en se tutoyant) et perçoivent une menace pour le maintien de bonnes relations thérapeutiques. D’autres y voient une occasion de se rencontrer autrement, avec un désir de plus d’horizontalité et d’égalité. Les patients ne se disent quant à eux pas gênés par cet exercice et savent distinguer les deux casquettes, ils perçoivent que c’est un exercice difficile pour certains soignants d’apprendre à les côtoyer autrement, et recevoir leurs critiques (« Il faut leur laisser le temps aussi »). Ils y voient un moment de rencontre important, prenant une autre place que celle de malades : « J’ai eu un autre regard sur les professionnels, comme ils ont un autre regard sur les patients, c’est un échange, une rencontre dans nos différences ». L’implication des patients va changer l’image que la maison médicale donne aux patients. Au niveau institutionnel, certaines équipes voient une nécessité de s’ouvrir aux jugements extérieurs (« rendre public ce qui est fait de l’argent qui est quand même public »), tandis que d’autres « préfèrent laver leur linge sale en privé ».

L’implication des patients peut faire revisiter le rôle et le fonctionnement des assemblées générales

Quels débats doivent se dérouler en assemblée générale ? (« Cela va nous permettre de recentrer les débats sur l’accès aux soins, en termes géographiques, temporels, d’acceptabilité », « Depuis qu’il y a des extérieurs, nous préparons et clarifions les AG différemment. ») Comment prenons-nous nos décisions « efficacement » ? (« Est-ce bien pertinent d’inclure des patients alors que les décisions sont déjà difficiles entre nous ? ») Comment arbitrons-nous les intérêts divers ? (« Nous avons peur d’un conflit d’intérêts possible entre patients et professionnels notamment sur la question financière »). Ces questions sont inhérentes à tout fonctionnement en autogestion, mais semblent d’autant plus importantes à clarifier lorsque les patients sont présents, ce dont ceux-ci sont demandeurs (« On intervient parfois pour dire que ce n’est pas le lieu d’en discuter, que cela ne nous concerne pas »). Les patients sont intéressés de comprendre le fonctionnement de la maison médicale et d’entendre les difficultés vécues par les professionnels tout en mettant des limites, en particulier sur les conflits interpersonnels.

Rendre la voix des patients légitime : distinguer gestion participative et gestion représentative

La légitimité est abordée des deux côtés par le biais de la représentativité des patients « choisis » pour venir aux assemblées générales (que l’on qualifie parfois de « supers patients ») et de l’expression possible d’une pensée collective (au nom des autres patients, au nom d’un comité) plutôt qu’individuelle. Certaines équipes souhaitent que les patients présents donnent un feed-back, une évaluation des soins et du fonctionnement, mais leur parole est-elle légitime ? (« Quand je me faisais l’avocat des patients, on me disait que je n’étais pas représentatif », « J’ai cette difficulté de porter la casquette du comité, car qui représente-t-on ? ») Patients et professionnels semblent avoir tout intérêt à clarifier pour qui le patient parle et pour qui il est en mesure de parler – comme par ailleurs tout membre d’une assemblée générale – au risque de ne pas prendre la parole des patients présents au sérieux voire de ne jamais accepter de patient dans une AG. « Un patient ne peut pas être représentatif de tous les patients de la maison médicale, même faisant partie d’un comité, c’est à l’équipe de garantir l’orientation des décisions parce que c’est elle qui est en lien avec tous les patients. »

Mettre en œuvre les moyens nécessaires pour intégrer les patients

Ce sont en général les équipes qui sont en demande et qui « recrutent les patients », recherchant des compétences d’expression, des capacités de compréhension… Se pose aussi la question des capacités institutionnelles d’accueillir, d’intégrer ces membres et de leur donner les informations pertinentes et suffisamment claires (« Il faut les préparer, leur expliquer ce qu’est l’autogestion, comment on prend les décisions »). Les patients évoquent également ce point : « on ne comprend pas toujours de quoi ils parlent et, par exemple, les comptes, c’est difficile ». Les assemblées générales participatives permettent-elles réellement un pouvoir partagé de façon égalitaire ? Et si non, est-ce problématique ? Le pouvoir tend à rester aux mains des travailleurs, que ce soit par les rôles symboliques et réels joués par les uns et les autres (soignants/soignés, travailleurs/extérieurs), l’asymétrie d’information, le nombre de patients présents et la volonté de l’équipe de garder la maitrise de son outil de travail : « L’implication permet de satisfaire une envie de participation, mais si on ne donne pas les moyens de comprendre, de pouvoir s’exprimer, avec un nombre suffisant, leur parole n’a pas la même valeur que celle des travailleurs », « L’équipe avait peur, ce qui est légitime. Nous avons pris le temps d’explorer ces peurs, qui ont toujours un sens, et de voir comment les lever ou mettre des conditions rassurantes. Les peurs concernaient la maitrise de notre outil de travail. C’est une vision marxiste, mais nous avons décidé de mettre un quota pour que l’équipe reste majoritaire et garde le contrôle de son outil de travail. » Certaines équipes ont clarifié les limites du partage de pouvoir, permettant une sécurisation des rôles de chacun et une définition de complémentarité plutôt que d’égalité.

Un exercice démocratique

Passer de l’entre soi à l’entre nous – essentiellement au sein des assemblées générales – est une réalité qui concerne 20 % des maisons médicales interrogées et c’est un débat qui continue à traverser une majorité d’équipes. Le débat fait écho aux valeurs de citoyenneté et à une certaine vision de la santé en lien avec le modèle de promotion de la santé. Chaque maison médicale est particulière et souveraine dans ses choix, ce qui amène sur le terrain à une pluralité de pratiques. Les réalités de difficultés de gestion de certaines équipes, les croyances concernant l’utilité, les compétences, le contrôle, les moyens temporels et organisationnels, les questions d’image de la maison médicale, des soignants face aux patients sont autant de freins à la participation et à la décision. Il semble important de les déplier en équipe quand vient la question de la participation des patients. De part et d’autre, les motivations restent centrées sur les enjeux de la promotion à la santé, rencontrant les valeurs, moyens et objectifs de la charte des maisons médicales. Les avantages d’une participation en assemblée générale sont mis en avant aussi bien par les patients que les professionnels. Ils concernent la possibilité d’échange, de rencontre, l’intérêt de centrer les débats collectifs sur des questions de fond, un moyen pour plus de transparence, de dynamisation. Les patients apportant un regard décalé, parfois naïf, et obligent les professionnels à se défaire de leurs habitudes. Mais ces avantages sont tributaires de processus à la hauteur. Pour que cette participation soit réelle et non un alibi, et pour qu’elle permette une cohérence entre attentes et pratiques, la volonté ne suffit pas. Elle demande une préparation collective des équipes, la mise en place d’un cadre clair et sécurisant et des apprentissages tout au long du processus. Les enjeux en sont la légitimité des patients, la sécurité des relations et des échanges, la délimitation du partage de pouvoir, permettant que les rôles complémentaires des patients et travailleurs puissent se jouer pleinement et se nourrir les uns les autres. Les compétences individuelles, collectives et institutionnelles sont mises à l’épreuve. Elles font ainsi écho à l’exercice de la démocratie et de la citoyenneté dans notre société.

Documents joints

 

Cet article est paru dans la revue:

Santé conjuguée, n°94 - mars 2021

Introduction

Aidant proche, bénévole dans une association ou un groupe d’entraide, pair-aidant, expert du vécu… Qu’est-ce qui pousse – qu’est-ce qui nous pousse – à un moment de notre vie à endosser un rôle de « soignant » ? Contre(…)

- Florence Paligot

Les groupes d’entraide

Demander ce qu’est la santé mentale, ce n’est pas tout à fait la même chose que de définir la santé mentale, où l’on me récitera le plus souvent la définition de l’Organisation mondiale de la santé.(…)

- Ellen Godec, Marchal Christian

L’hospitalisation à domicile

Ces soins sont habituellement donnés en hôpital de jour ou lors d’une hospitalisation. Dans le cadre de l’hospitalisation à domicile (HAD), ils sont prodigués au domicile du patient avec la même surveillance et la même sécurité.(…)

- Florence Paligot

Les pairs-aidants

Les pairs-aidants sont des personnes qui ont elles-mêmes vécu l’expérience de la grande souffrance psychique et/ou sociale. Pour faire face à cette grande souffrance, ils ont développé des compétences et mobilisé des ressources. Ils s’en sont(…)

- France Dujardin

Les experts du vécu

L’expertise du vécu et la méthodologie du service Experts du vécu en matière de pauvreté et d’exclusion sociale sont mises en œuvre depuis 2005 afin d’améliorer l’accessibilité des droits sociaux fondamentaux, essentiellement dans les services publics(…)

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Bénévole, et professionnel !

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La cascade des qualifications

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Élisabeth Degryse : « Nous devons avoir la capacité de proposer des solutions innovantes »

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La Fédération est en quarantaine…

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