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Le terme « santé communautaire » n’est pas nouveau, mais la méconnaissance de ce qui se pratique sur le terrain reste importante : initiatives isolées, expériences peu partagées et type de mise en œuvre multiple. Afin de pallier ce problème, une étude exploratoire a été menée en Belgique francophone dans le cadre de la chaire de recherche sur la première ligne Be.Hive.

Apparu dans les années 1970, le concept de santé communautaire peut se définir comme « le processus par lequel les membres d’une collectivité, géographique ou sociale, conscients de leur appartenance à un même groupe, réfléchissent en commun sur les problèmes de leur santé, expriment leurs besoins prioritaires et participent activement à la mise en place, au déroulement et à l’évaluation des activités aptes à répondre à ces priorités » [1].

Après une période de « désinvestissement net » [2] ces dernières années, la santé communautaire connaît aujourd’hui un regain d’intérêt et une volonté politique de redynamiser ces pratiques au vu des preuves émergentes de l’efficacité des interventions communautaires pour les soins de santé primaires par rapport aux soins individuels [3], et pour combler les limites apportées par le système actuel de soins de santé.

Un parti pris central de cette recherche menée par la chaire Be-Hive[www.be-hive.be] fut de ne pas considérer la santé communautaire comme une activité particulière, mais plutôt comme une série de principes qui guident l’action : collectivité, globalité de la santé, orientation vers le changement, émancipation des acteurs, territorialité, participation, prévention et promotion de la santé, finalité de justice sociale et équité [4]. À partir des résultats de cette étude, voici quelques pistes de réflexion pour soutenir les organisations de la première ligne dans le développement des principes liés à la santé communautaire, plus particulièrement orientées vers les maisons médicales.

Qui a participé à cette recherche ?

Une enquête exploratoire a été menée en automne 2020 via un questionnaire en ligne autoadministré adressé aux organisations de la première ligne. Dans une logique d’intelligence collective, deux entretiens collectifs rassemblant des répondants à cette étude quantitative ont ensuite permis une analyse participative des résultats. La première ligne a été définie de manière assez large puisqu’elle comprend toute organisation qui a une mission de santé publique, qui a une activité ancrée localement, qui est en prise directe avec ses patients/citoyens/usagers et qui dispense ses services en Belgique francophone. Parmi les participants se retrouvent notamment des maisons médicales, des services d’aide et de soins à domicile, des centres de planning familial et des centres psycho-médico-sociaux.

Les maisons médicales et les réseaux multidisciplinaires locaux [5] ont répondu massivement à l’appel, constituant la deuxième catégorie la plus représentée parmi les répondants avec près de 12 %, soit 39 structures sur les 332 qui ont participé. La répartition géographique montre une forte participation des maisons médicales situées à Bruxelles, donnant ainsi un caractère plutôt urbain aux réponses. Parmi le personnel de l’ensemble des organisations interrogées, seul 1 % est formé à la santé communautaire (vs 8,5 % au sein des maisons médicales).

Les principes de santé communautaire utilisés pour cette recherche font partie intégrante des fondements des maisons médicales, et ce depuis la création de leur Fédération en 1981 [6]. Ces principes se retrouvent dans leur charte tant au niveau des valeurs (justice sociale, citoyenneté ou autonomie) que des moyens mis en œuvre (équipe pluridisciplinaire, volonté d’ancrage dans un quartier ou implication des travailleurs dans les actions de santé communautaire) [7].

Cet ancrage profond permet à ces structures de disposer d’indicateurs de mise en œuvre plutôt favorables vis-à-vis de cette approche, notamment en ce qui concerne les actions adressées à des communautés telles que définies dans le questionnaire, à savoir « un ensemble de personnes présentant un sentiment d’appartenance commun ou selon son espace géographique et/ou selon ses caractéristiques et/ou son intérêt commun et/ou sa situation problématique commune » [8] (qui sont déclarées présentes dans 77 % des maisons médicales vs 65 % des autres organisations), l’approche territoriale (le critère du territoire pour identifier les communautés est utilisé par 24 % des maisons médicales vs 17 % des autres organisations) et une mobilisation du public plus diversifiée (par rapport aux autres organisations qui utilisent principalement l’information).

Des opportunités de développement

Sur le terrain, certains écarts entre les pratiques annoncées et celles qui sont effectives peuvent s’observer. C’est le cas pour les actions menées sur l’environnement. D’autres domaines, comme des pratiques collectives ou l’implication des individus dans l’organisation, présentent également des indicateurs plus faibles tant pour les maisons médicales que pour les autres organisations de la première ligne. Ces différents éléments sont autant d’opportunités qu’il est possible de saisir afin de renforcer cette première ligne via les principes d’action liés à la santé communautaire.

- Intérêt de la santé pour la collectivité et approche multifactorielle. Comme la plupart des organisations de la première ligne, près de deux tiers des maisons médicales déclarent que les activités individuelles dominent encore fortement. Ces actions sont axées sur le comportement individuel du public, alors que la santé communautaire privilégie une approche plus collective avec des interventions pensées à l’échelle d’une population. Ce rééquilibrage est un enjeu central. Comme le formule une participante : « Comment passer du “je” au “nous” ? ». Autre enjeu : se doter d’un pouvoir d’agir sur des déterminants de la santé plus éloignés de la sphère sanitaire, tel que l’environnement du public. Le type d’actions dans ce domaine reste peu répandu et difficile à mettre en œuvre tant pour les maisons médicales (15,2 % d’actions sur l’environnement) que pour la plupart des organisations de la première ligne. C’est l’une des principales difficultés mises en évidence par l’enquête – et exprimée lors des entretiens collectifs avec un certain sentiment d’impuissance, l’impression d’avoir « peu de prise là-dessus » ou de venir « en bout de course » et que les services de la première ligne ne sont là que pour « du rafistolage ».

Cette approche multifactorielle de la santé fait aussi appel à la collaboration intersectorielle. Celle-ci est déjà fortement présente au sein des maisons médicales (3,6 % d’entre elles disent ne pas en faire), mais les collaborations restent centrées sur les secteurs de la santé : 71 % des maisons médicales ont des collaborations avec ce secteur (vs 60 % pour les autres types d’organisations) au détriment du secteur social ou culturel. Ce constat invite à un décloisonnement vers d’autres domaines plus éloignés du biomédical, comme le logement ou l’éducation, et qui seraient particulièrement profitables pour réduire les inégalités sociales de santé. Actuellement, les actions spécifiques sur ces inégalités sont surtout centrées sur l’accessibilité financière (16 % de ce type d’actions en maisons médicales).

- Renforcement du niveau de participation du public. Élément clé dans l’approche en santé communautaire, la participation peut s’observer dans la façon dont est mobilisé le public dans l’organisation : de sa simple information jusqu’à son autonomisation. Les niveaux de participation sont plus élevés dans les maisons médicales que dans les autres organisations. Ils restent cependant limités : seul un tiers des maisons médicales estime « rendre autonome » son public en lui délégant du pouvoir ou une capacité de décision au sein de l’organisation.

Si une volonté existe d’augmenter la participation du public aux projets actuels des maisons médicales, comme en atteste le projet relatif à la participation des patients dans les instances de décision [9], l’implication du public dans les décisions relatives au fonctionnement de l’organisation est l’une des difficultés les plus importantes reconnues au sein des maisons médicales et est considérée comme la plus importante par près d’un tiers de ces structures.

- Application des principes en santé communautaire intégrée aux soins. La représentation de la santé communautaire en maison médicale est surtout perçue comme une activité ou des projets isolés et non comme une ligne directrice qui permet de guider l’ensemble des activités. Parmi les nombreux projets cités par les maisons médicales, on trouve la journée du diabète, un cours de gymnastique à l’intention des femmes du quartier, un cours d’aquagym ou des ateliers de cuisine, pour n’en citer que quelques-uns. Ces exemples illustrent le souhait d’élaborer des activités conviviales et de bien-être qui se combinent à un objectif de prévention via la promotion de comportements de santé comme l’activité physique ou une alimentation saine. D’autres activités touchent davantage le lien social avec un objectif de lutte contre l’isolement des individus, notamment observé en zone urbaine : le réseau solidaire (qui permet « de faire une course ponctuellement pour une personne malade, de promener un animal pendant une convalescence, de tenir compagnie à une personne désorientée pendant que son conjoint fait des courses »), un café social ou l’organisation d’activités culturelles (théâtre ou cinéma). Enfin, des maisons médicales mettent tout particulièrement l’accent sur l’estime de soi (une exposition artistique organisée par les patients avec l’aide de certains travailleurs, par exemple). Ceci illustre la créativité qui existe au sein de maisons médicales ainsi que la prise en compte du contexte dans lequel l’organisation s’insère.

Cette représentation en tant qu’activité isolée a aussi été partagée lors des entretiens collectifs où certains principes de la santé communautaire tels que le processus participatif sont vus comme devant faire l’objet de « grands projets » qui par conséquent paraissent complexes et difficiles à mettre en œuvre. Dans le cas précis des maisons médicales, cette représentation peut aussi être renforcée par les critères requis pour obtenir l’agrément d’association de santé intégrée (ASI) où la santé communautaire est définie en tant qu’activité.

Ces constats interrogent quant à la portée souhaitée pour ce type d’approche pour la première ligne : doit-elle faire l’objet de projets isolés ou servir de guide à l’activité quotidienne ? Nous faisons l’hypothèse que ses principes d’action, comme la collectivité et la participation, doivent permettre de ré-interroger jusqu’à la pratique des activités plus routinières, souvent individuelles, plutôt que de se décliner dans des contextes spécifiquement dédiés. Dans cette perspective, la première ligne pourrait alors s’inscrire pleinement dans une approche intégrée de santé communautaire.

Et demain ?

Les enseignements de cette enquête nous invitent à reconsidérer l’approche en santé communautaire plutôt comme un guide via l’utilisation intégrée aux soins de principes directeurs qui permettent de soutenir les professionnels dans leurs actions et de renforcer la première ligne de soins. Parmi ces principes directeurs, certains sont particulièrement mis en avant en tant qu’opportunités de développement : la collectivité de la santé, l’approche multifactorielle et la participation du public. Pour faire évoluer ces thématiques, la suite de nos travaux prévoit la mise en place de communautés d’apprentissage qui seront l’occasion de favoriser des échanges d’expériences et d’apporter des éléments formatifs sur les pratiques en santé communautaire. Dans l’enquête, ces éléments ont été particulièrement plébiscités par les maisons médicales et ce bien avant le manque de moyens matériels ou humains. Une étude qualitative va débuter et s’intéressera particulièrement à la mobilisation du public et au fonctionnement des activités collectives déployées dans le cadre de pratiques en santé communautaire.

 

[1S. Motamed, « Qu’est-ce que la santé communautaire ? Un exemple d’une approche participative et multisectorielle dans une commune du Canton de Genève, en Suisse », Inf Psychiatr n° 91, 2015

[2Secrétariat européen des pratiques de santé communautaire, Action communautaire en santé  : un observatoire international des pratiques , 2009.

[4S. March et al., « Adult community health- promoting interventions in primary health care : A systematic review », Prev Med n° 76, 2015

[5Pour une question de réalisation des statistiques, ces deux types d’institutions ont été regroupées en une seule catégorie où les maisons médicales sont majoritaires (73,7 %).

[6P. Gillard, « Acte et Forfait  : une même finalité », Santé conjuguée n° 92, 2020

[7Charte des maisons médicales, www.maisonmedicale.org.

[8SACOPAR, CLPSCT, Action communautaire en santé  : un outil pour la pratique , 2013.

[9J. Herman, « Soignés et impliqués », Santé conjuguée n° 94, mars 20

Cet article est paru dans la revue:

Santé conjuguée, n°96 - septembre 2021

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