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Le jardinier des maisons médicales

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Santé conjuguée n°92 - septembre 2020

Médecin récemment retraité, diplômé en santé publique et cofondateur de la maison médicale de Barvaux-sur-Ourthe dans les années 1970, Jean Laperche est un transmetteur de passion. Il a d’ailleurs aidé un grand nombre de maisons médicales à se créer. « Il sème des graines, dit-on de lui. Il est bienveillant et attentif en attendant de les voir éclore. »

En quelques mots, comment les maisons médicales ont-elles démarré ?

J. L. : Ça a commencé dans les années 1970. On était dans les prolongations de Mai 68 et il y avait à l’époque un mouvement de contestation de l’ordre établi. On voulait autre chose que les hôpitaux, qui étaient la seule référence dans les structures de soins. La première ligne de soins n’existait quasiment pas et on voulait quelque chose de plus solide à ce niveau-là. L’idée – venant de chercheurs qui avaient travaillé en Afrique, entre autres de l’Institut de médecine tropicale d’Anvers – était qu’il fallait apprendre aux soignants de première ligne à travailler ensemble. Ils disaient bien : « les soignants », c’est-à-dire les médecins généralistes, les infirmières, les kinés, les travailleurs sociaux… des professions qui rencontrent les mêmes personnes, les mêmes patients, et qui ne se parlent pas. Cette idée, c’est apprendre la pluridisciplinarité en équipe. C’est le modèle du centre de santé intégré diffusé en Belgique par le Groupe d’étude pour une réforme de la médecine (GERM). Une idée qui venait aussi de l’Organisation mondiale de la santé.

 

Quelles sont les étapes décisives dans l’accompagnement d’une maison médicale en création ?

J’ai reçu des demandes de différents publics. Des citoyens de bonne volonté, l’ensemble des médecins d’une commune, deux ou trois personnes qui se connaissent… Quand on creuse, leurs motivations sont souvent très différentes. La première étape, c’est de les écouter. Après, je leur explique ce qu’est une maison médicale pour la Fédération, pour voir s’ils peuvent s’identifier à ce modèle. Parfois ça s’arrête là. Je pense à des médecins qui ne souhaitaient rien d’autre qu’un secrétariat en commun et pour qui la pluridisciplinarité, l’autogestion, la parole des patients étaient des idées de gauchistes qui allaient leur empoisonner la vie ! Mais si je sens qu’ils accrochent, alors on fait ensemble les premiers pas. Il y a tout d’abord un travail sur les représentations. Comment chacun, quelle que soit sa profession, imagine-t-il une maison médicale commune ? Qu’est-ce qu’il a envie de faire comme travail collectif ? Il faut que tous s’expriment. Souvent, c’est plus facile de le faire par écrit puis de rassembler ces écrits pour arriver à construire un projet commun. C’est assez scolaire comme démarche, mais ça aide. Je les interroge ensuite sur les valeurs, sur ce qui les pousse à vouloir créer une maison médicale. S’il s’y trouve des valeurs communes de partage, de rencontre de l’autre, d’ouverture de soi aux populations précarisées et de prévention, alors on peut continuer à avancer. Si les valeurs communes se limitent à avoir un job, même si c’est un job généreux, ce n’est pas suffisant. À nouveau, en fonction de tout cela, on se revoit. Ou pas. Souvent je leur conseille de visiter les maisons médicales de leur région, de rédiger un texte commun avec leurs différentes impressions pour continuer l’apprentissage. L’étape suivante, c’est l’élaboration d’une sorte de règlement d’ordre intérieur qui deviendra leurs statuts, des textes structurants. Je les accompagne pour la rédaction, mais la Fédération travaille également avec des agences-conseils, la Province de Luxembourg, par exemple, ou Crédal. Les statuts solidifient et concrétisent le projet. Surgit aussi la question des sous, d’un local, puis des horaires… ça devient un plan organisationnel au quotidien. Avec l’expérience, on s’est rendu compte qu’il fallait continuer à suivre les nouvelles équipes à ce niveau-là durant leurs deux ou trois premières années. Aller voir comment ça se passe, ce qui coince, ce qui les surprend… S’ils ne donnent pas de leurs nouvelles, c’est moi qui en prends.

 

Comment accompagner sans influencer ?

Mes valeurs, je les affiche. Le projet de la Fédé, je trouve que c’est un bon projet. Aider une association qui ne sait pas trop ce qu’elle veut et qui pourrait même travailler sans valeurs communes, organisationnellement c’est possible. Mais, pour moi, on a besoin de valeurs communes pour avancer. Quand il y aura des conflits – parce qu’il y aura des conflits –, on en revient toujours aux valeurs.

 

Quelle méthodologie préconisez-vous ?

La méthodologie… c’est bateau ce que je vais dire, mais c’est énormément d’écoute. Une vraie écoute aide vraiment, bien écouter les gens pour qu’il n’y ait pas d’ambiguïté dans ce qui se dit. Et ne pas croire trop vite non plus que c’est gagné.

 

Que penser d’un binôme soignant-gestionnaire pour ce rôle d’accompagnement des futures maisons médicales ?

C’est l’idéal. Un gestionnaire qui pense l’organisation macro et tous les aspects pratiques. Un soignant qui donne du crédit puisqu’on a affaire à d’autres soignants, qui vient aussi avec des situations cliniques comme celle-ci : une dame diabétique a fait une chute, son médecin se rend compte qu’elle ne s’y retrouve pas dans son carnet de glycémie et qu’il est grand temps qu’une infirmière soit là. C’est un exemple simple qui montre en quoi la pluridisciplinarité et la non-hiérarchie sont efficaces. Se mettre au niveau clinique des soignants, ça leur parle. Tout comme la stimulation des échanges entre maisons médicales.

 

Quels sont les écueils pour lesquels un accompagnement a tout son sens ?

L’argent ! C’est le nerf de la guerre. Comment gérer l’argent de l’équipe – ou gagné par les différents intervenants de l’équipe – pour que celle-ci se développe ? C’est une tension permanente. Le rôle de la cellule d’aide au développement de la Fédération est de mettre les pieds dans le plat, de rappeler que les sous ne doivent pas être uniquement au service des travailleurs et qu’une partie sert aussi à la consolidation ou au développement du bien commun. Si on n’y est pas attentif, ces questions peuvent faire capoter le projet. Elles arrivent d’ailleurs beaucoup plus tôt qu’avant dans le processus de création d’une maison médicale.

 

Quelle est la part de votre engagement politique dans votre pratique en maison médicale ?

Pour moi l’engagement politique, c’est être sincère, être cohérent, c’est vivre les valeurs que l’on promeut et qui sont effectivement des idées progressistes dites de gauche. Les gens ne sont pas idiots, si vous parlez de soins aux plus démunis et que vous êtes dénigrant envers eux, vous n’êtes pas crédible. Vous devez être accueillant de la même manière envers les pauvres qu’envers les riches. Parler de pluridisciplinarité sans écouter ses collègues infirmières ou assistantes sociales ou en les méprisant parce qu’elles ne sont pas des docteurs, ça ne va pas non plus.

 

Quel regard portez-vous sur l’évolution des maisons médicales ?

D’abord le nombre : il y en a plus de cent aujourd’hui, et aussi bien à la campagne qu’en ville. C’est un système qui tient la route. Écouter les gens, les aider à se mettre ensemble, proposer la pluridisciplinarité, la prévention, la santé comm’, ce ne sont pas des idées dépassées.

 

On note des différences entre les zones urbaines et les zones rurales ?

Une des particularités en zone rurale, et que l’on retrouve aussi dans certains quartiers des villes, c’est la pénurie de médecins généralistes. Disposer de moins de médecins peut avoir deux avantages. Le premier, c’est de les obliger à travailler ensemble. Le second, c’est de les obliger à déléguer ou à se répartir autrement les tâches, à repenser leur métier puisqu’ils vont être débordés. Un tas de demandes peuvent être adressées à d’autres acteurs sociaux : il ne faut pas nécessairement aller chez le docteur parce qu’on dort mal ou parce qu’on n’est pas bien dans son boulot. Ces acteurs sont peut-être plus adéquats pour ces questions de vie, de souffrance de patients. Par ailleurs, les maisons médicales sont une réponse à la pénurie, et cela intéresse également les pouvoirs publics parce qu’une équipe de professionnels qui se forme, que ce soit une maison médicale ou une association de médecins, cela va attirer des jeunes. L’autre particularité, c’est qu’en zone rurale tout le monde se connait ou presque. C’est facile de recruter, de se rencontrer, d’expliquer ce que l’on fait. La grosse difficulté par contre, c’est la mobilité. Les transports en commun, il n’y en a pas. C’est très problématique, surtout pour les patients qui se précarisent. Ils se concentrent dans les villes, dans les hameaux où il y a une gare. Même avec une voiture, les distances sont longues et si ça va vite parce qu’il n’y a pas de bouchons, ça fait beaucoup de kilomètres, et donc ça coûte.

 

Vous avez également travaillé au développement de la santé communautaire et de la prévention…

À l’époque où la Fédération m’a engagé pour aider au développement des maisons médicales, la prévention, c’était nouveau. Tout le monde disait qu’il en faisait, et encore maintenant ! Mais entre le faire et le faire de manière systématique et réfléchie, en allant chercher les gens qui échappent à toutes les démarches préventives proposées par les soignants, cela demande une autre organisation. La maison médicale le permet. L’exemple le plus simple, c’est la vaccination contre la grippe. On peut se contenter de vacciner les gens qui se présentent à la consultation, mais on peut aussi rechercher dans les listings patients et dans les dossiers l’ensemble des diabétiques, des femmes enceintes, des personnes âgées fragiles et aller les voir. Certes, cela demande de l’organisation, du courage et du temps pour l’équipe.

 

On met beaucoup d’espoir et de cœur dans la création d’une maison médicale, et un jour il y a un souci ou une crise. Qu’est-ce qui permet de garder le cap ?

Quelle que soit l’équipe d’humains et quel que soit le contexte professionnel, à un moment donné il y a des tensions et des conflits. Il ne faut pas imaginer les contourner ou vouloir les éviter. Au contraire, il faut les mettre à plat. Ça peut être des bêtises, des énervements sur un collègue qui arrive tout le temps en retard aux réunions ou pour ses consultations, mais ça veut dire quelque chose du fonctionnement de l’équipe, peut-être une manière d’exprimer son insatisfaction ou son ras-le-bol. Ça vaut la peine d’en parler pour essayer de comprendre. De petites choses peuvent être remises facilement sur les rails. Quand c’est plus profond et qu’on ne s’en sort pas, il faut faire appel à des professionnels extérieurs dont c’est le métier d’analyser ces crises. C’est intéressant : on est obligé de remettre un peu le projet en question, de voir l’essentiel pour lequel on va se battre, ce qui est accessoire, ce qu’on peut laisser tomber… Il ne faut pas l’éviter même si cela amène inévitablement des frustrations et des renoncements.

 

Comment garder la motivation de la première heure et la partager avec les derniers arrivés ?

Avec des moments de réflexion, comme des week-ends au vert où on aborde des thèmes comme la pluridisciplinarité, la prévention, etc., où on aborde la finalité du travail de la maison médicale et pourquoi on est associé. Il faut des moments de partage, c’est essentiel. Il faut se parler, il faut que les fondateurs parlent à ceux qui viennent après et parfois même le formaliser.

 

Un message à faire passer aux acteurs institutionnels et politiques ?

Au niveau d’une commune ou d’une région, les élus ont des responsabilités pour la santé de la population. Ce sont aussi nos collègues en quelque sorte. On doit apprendre à se connaitre et à travailler ensemble, expliquer qui nous sommes, ce qu’est une maison médicale et la faire visiter par exemple à un nouvel échevin qui vient de prendre ses marques. Et s’intéresser au projet de la commune quand elle en a en matière de santé. Tout le monde sera gagnant.

Documents joints

 

Cet article est paru dans la revue:

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