Le fardeau des maladies chroniques
Brecht Devleesschauwer, Lisa Van Wilder
Santé conjuguée n°97 - décembre 2021
Étant donné qu’elles entrainent également une augmentation de la consommation de soins de santé et un risque accru de complications en raison d’une plus grande consommation de médicaments, les maladies chroniques nécessitent une mobilisation importante de moyens.
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) définit les maladies chroniques comme des affections ou des maladies de longue durée (plus de six mois) dont l’évolution est généralement lente [1]. Le terme « maladie chronique » est souvent utilisé comme synonyme de « maladie non transmissible » ou MNT pour désigner des affections qui ne sont pas causées par des agents infectieux. Ce n’est pas tout à fait exact, car certaines MNT sont de nature aiguë (l’infarctus du myocarde ou l’accident vasculaire cérébral, par exemple). À l’inverse, certaines maladies chroniques peuvent avoir une origine infectieuse (comme le VIH/SIDA ou le cancer du col de l’utérus dû à une infection par le papillomavirus humain). Le terme « maladies socialement transmissibles » a été récemment utilisé comme synonyme des MNT [2]. Cette dénomination souligne la nature anthropique et socialement contagieuse de ces affections dont la cause est en effet à trouver dans la pauvreté, l’urbanisation, l’industrialisation et les intérêts commerciaux. Par souci de simplicité, nous utiliserons ici le terme « maladies chroniques ».
Les maladies chroniques sont de loin les premières causes de mortalité et ont un impact majeur sur la qualité de vie liée à la santé et sur l’utilisation des services de santé. En outre, plusieurs maladies chroniques peuvent être présentes en même temps, notamment chez les personnes âgées. Ce phénomène, appelé multimorbidité, peut être le fruit du hasard mais il est le plus souvent causé par la présence de facteurs de risque communs ou par le fait qu’une maladie chronique peut augmenter le risque d’autres maladies chroniques. Il n’est donc pas surprenant que les maladies chroniques les plus courantes chez les personnes âgées soient le diabète, les maladies cardiovasculaires et l’arthrose car elles sont liées. La multimorbidité a un impact important sur le statut fonctionnel et la qualité de vie de la population.
Augmentation de la prévalence
Les principaux types sont les maladies cardiovasculaires, le cancer, les affections respiratoires chroniques et les diabètes. On observe toutefois que la prévalence des maladies neurodégénératives, la démence ou la maladie de Parkinson ainsi que diverses maladies mentales a considérablement augmenté ces dernières décennies. Les principaux facteurs de risque direct des maladies chroniques sont le tabagisme, la consommation d’alcool, une alimentation déséquilibrée, le manque d’activité physique et la pollution atmosphérique. L’analyse de ces maladies passe par une surveillance de leur fréquence et de leur impact. Malheureusement, la Belgique ne dispose pas d’un système d’information sanitaire national intégré pour centraliser ces informations. Il n’existe que quelques sources de données individuelles, dont chacune révèle une pièce du puzzle, mais présente également ses propres limites. L’une des sources les plus complètes est l’Enquête de santé menée depuis 1997 par Sciensano, l’Institut belge de santé.
Tous les cinq ans environ, elle donne une image représentative de l’état de santé des Belges, y compris la fréquence et l’impact des maladies chroniques [3]. Les données sont basées sur des informations volontairement fournies par des patients et non sur des diagnostics médicaux. La plus récente, en 2018, a investigué deux points : la présence de maladies chroniques en général et la présence de 38 maladies chroniques spécifiques. Il y est également question de multimorbidité pour autant qu’il y ait présence simultanée d’au moins deux des six maladies chroniques suivantes : maladie cardiaque, maladie respiratoire chronique, diabète, cancer, arthrite et/ou arthrose et hypertension. Les résultats montrent que près d’un Belge sur trois âgé de plus de 15 ans (29 %) souffrait d’une maladie chronique. Ce pourcentage augmente considérablement avec l’âge, passant de 14 % chez les 15-24 ans à 44 % chez les plus de 75 ans. La prévalence des maladies chroniques est également plus élevée chez les femmes (31 %) que chez les hommes (27 %). Entre 2001 et 2018, le pourcentage de Belges souffrant de maladies chroniques est passé de 25 à 29 %. Cette augmentation est en partie due au vieillissement de la population, mais pas entièrement car elle demeure après correction pour l’âge. On constate également une augmentation significative de la multimorbidité, de 8,9 % en 1997 à 15 % en 2018. Les six maladies chroniques les plus fréquemment rapportées sont les mêmes chez les hommes et les femmes, même si l’ordre diffère.
Dans ce top 6, on retrouve trois affections touchant l’appareil locomoteur (lombalgie, cervicalgie et arthrose), deux facteurs de risque cardiovasculaire (hypertension et hypercholestérolémie) et l’allergie. La lombalgie est la maladie chronique la plus fréquemment signalée, tant chez les hommes que chez les femmes ( 25 %) ; chez les hommes, le trio de tête est complété par l’hypercholestérolémie et l’hypertension, tandis que chez les femmes, il s’agit de l’arthrose et des allergies. Entre 1997 et 2018, des augmentations significatives ont été observées dans la prévalence de l’hypertension, de la lombalgie, de la cervicalgie, de l’arthrose, des diabètes, des maladies thyroïdiennes et des allergies. Le vieillissement de la population ne justifie que partiellement ces augmentations car ici également après correction pour l’âge, elles sont restées significatives. Mais depuis 2001, on observe parallèlement une diminution de la prévalence d’un certain nombre d’autres maladies chroniques, notamment les maladies coronariennes, les maladies pulmonaires obstructives chroniques, les maux de tête et les migraines graves et l’ostéoporose.
Impact important sur la qualité de vie
Outre leur impact médical et économique, les maladies chroniques ont un impact important sur la qualité de vie et le bien-être. On le comprend aisément puisqu’elles ont des conséquences négatives en termes de santé physique (douleur, gêne…), mentale (anxiété, dépression…) et sociale (solitude, isolement social…). Plusieurs études confirment que les malades chroniques ont une qualité de vie réduite par rapport à la majorité de la population [4]. Les patients rencontrent plus souvent des problèmes liés à la mobilité, à l’autonomie, aux activités courantes, aux douleurs/gênes et à l’anxiété/dépression. Les patients atteints d’affections neurologiques, telles que la sclérose en plaques et la maladie d’Alzheimer, présentent la plus grande diminution de leur qualité de vie ; les patients de sexe féminin et ceux au statut socioéconomique peu élevé courent un risque plus élevé de voir leur qualité de vie diminuer.
Ces dernières décennies, l’intérêt pour l’optimisation de la qualité de vie dans le cas de maladies chroniques s’est accru, principalement parce que la plupart sont incurables. Les données de l’Enquête de santé ont permis de calculer le nombre d’années de qualité de vie perdues en raison de maladies chroniques [5] : les dorsopathies, les arthropathies et les facteurs de risque cardiovasculaire sont responsables de la plus importante perte. Pour les patients individuels, les plus grandes pertes étaient liées à la dépression, à la fatigue chronique et aux accidents vasculaires cérébraux.
Facteurs de risque
Les études sur la charge de la maladie utilisent souvent le paramètre Disability-Adjusted Life Year (DALY – Espérance de vie corrigée de l’incapacité), qui mesure le nombre d’années de vie en bonne santé perdues à cause de la maladie et de la mortalité. L’étude Global Burden of Disease (la charge mondiale de la maladie) conduit à des estimations DALY pour 369 maladies dans 204 pays et territoires [6].
Bien que ces estimations soient largement basées sur des inter- et extrapolations statistiques, l’étude offre néanmoins l’aperçu le plus complet de l’impact des maladies chroniques et d’autres maladies en Belgique. Elle montre que les maladies chroniques sont responsables de la majorité (84 %) de la charge de morbidité en Belgique. Les 16 % restants concernent les accidents corporels, tels que les suicides, les accidents de la circulation et les chutes (11 %), les maladies infectieuses, néonatales et nutritionnelles (5 %). Les néoformations constituent le groupe de maladies le plus important, suivi des maladies cardiovasculaires et des troubles musculosquelettiques. Les maladies individuelles les plus fréquentes sont les maladies coronariennes, le cancer du poumon et les douleurs lombaires.
La charge totale de la maladie en Belgique a légèrement augmenté, en lien avec la croissance démographique. Après correction pour tenir compte de la croissance et du vieillissement de la population, elle a même diminué de 23 % entre 1990 et 2019. Néanmoins, dans cette évolution moyenne, un certain nombre d’affections gagnent en importance, comme la migraine, les chutes, la dépression et les diabètes. En termes absolus, on observe également une augmentation significative de l’impact des démences (+75 %), mais cette augmentation résulte aussi uniquement de la croissance et du vieillissement de la population. Environ 40 % de la charge totale de la maladie peut être attribuée à des facteurs de risque connus – ce qui, par ricochet, signifie que nous pourrions la réduire considérablement si nous obtenions un score parfait pour chacun de ces facteurs. Parmi ceux-ci, les facteurs de risque comportementaux pèsent le plus lourd, tabagisme en tête. Viennent ensuite les facteurs de risque métaboliques (au premier rang desquels l’hypertension artérielle) et les facteurs environnementaux (pollution atmosphérique et facteurs de risque professionnels en tête).
Inégalités sociales et morbidité
Ce n’est pas un hasard si les maladies chroniques sont qualifiées de maladies socialement transmissibles. Leur fréquence et leur gravité sont souvent plus importantes chez les personnes de statut social peu élevé, lié à des conditions de vie et de travail moins favorables, à des connaissances très approximatives en matière de santé et à un moindre recours aux soins de santé. En outre, les maladies chroniques renforcent souvent la situation précaire dans laquelle se trouvent ces personnes.
Par conséquent, une politique de santé publique inclusive et efficace devrait s’engager pleinement à réduire les inégalités sanitaires face aux maladies chroniques. L’Enquête de santé dresse un tableau peu réjouissant des inégalités sociales en matière de maladies chroniques [7]. Par exemple, le pourcentage de personnes déclarant souffrir d’une maladie chronique est nettement plus élevé chez les personnes sans diplôme ou n’ayant qu’un diplôme de l’enseignement primaire (41 %) que chez les personnes ayant le niveau d’éducation le plus élevé (27 %). De même, le pourcentage de personnes souffrant de multimorbidité est presque deux fois plus élevé chez celles qui ont un faible niveau d’éducation (20 %) que chez celles qui ont poussé plus loin leur cursus (13 %). L’analyse des années de qualité de vie perdues en raison de maladies chroniques montre aussi une aggravation de cette inégalité au fil du temps. Alors qu’en 2013 les personnes de faible statut socioéconomique avaient déjà 2,5 fois plus d’années de vie de qualité perdues que les personnes de statut socioéconomique élevé, ce rapport est passé à 3 en 2018.
Pression croissante sur le système de santé
La prévention a déjà porté ses fruits, mais il est encore possible d’agir sur les facteurs de risque évitables. Toutefois, la prévention durable des maladies chroniques nécessite une approche globale dans tous les domaines politiques. En effet, la santé d’une population est principalement déterminée par le climat social et politique général, les inégalités sociales en matière de santé étant « le canari dans la mine de charbon ». C’est précisément là que des signaux d’alarme apparaissent.
Article traduit du néerlandais par DRP Copywriting
[1] OMS, Maladies non transmissibles, 2018, www.who.int.
[2] LN Allen, AB Feigl, “Reframing non-communicable diseases as socially transmitted conditions”, Lancet Glob Health. 2017 ;5(7).
[3] J. Van der Heyden, R. Charafeddine, Enquête de Santé 2018, Maladies et affections chroniques, Sciensano, https://his.wiv-isp.be.
[4] L. Van Wilder et al., “A comprehensive catalogue of EQ-5D scores in chronic disease : results of a systematic review”, Qual Life Res. 2019 ;28.
[5] L. Van Wilder et al., QALY losses for chronic diseases and its social distribution in the general population : results from the Belgian Health Interview Survey.
[6] GBD 2019, “Diseases and Injuries Collaborators. Global burden of 369 diseases and injuries in 204 countries and territories, 1990-2019 : a systematic analysis for the Global Burden of Disease Study 2019”, Lancet. 2020 ;396(10258).
Cet article est paru dans la revue:
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