C’est un principe relativement rare et peu connu dans le système de soins actuels. Et pourtant, ces soins ambulatoires sont considérés par beaucoup comme l’avenir des soins de santé. Que ce soit pour des antibiothérapies par voie intraveineuse ou pour divers soins hémato-oncologiques…
Ces soins sont habituellement donnés en hôpital de jour ou lors d’une hospitalisation. Dans le cadre de l’hospitalisation à domicile (HAD), ils sont prodigués au domicile du patient avec la même surveillance et la même sécurité. Parmi ces soins, on pourra retrouver des injections sous-cutanées, intraveineuses et intramusculaires en lien avec le traitement, des prises de sang en vue d’une transfusion de sang ou de plaquettes le lendemain en hôpital de jour, le retrait d’infuseur de chimiothérapie… Le retour à domicile d’un patient se prépare tout d’abord à l’hôpital, où son traitement lui est posé. Le spécialiste voit ensuite s’il répond aux conditions de l’hospitalisation à domicile et prend contact avec son médecin généraliste. Il peut ainsi proposer au patient de rentrer chez lui avec son traitement. Dans certains cas, lorsqu’il ne s’agit pas d’une première dose, le traitement peut lui être posé directement à domicile. Dans le cadre d’une antibiothérapie par voie intraveineuse par exemple, le médecin peut décider que le patient n’a plus besoin de rester hospitalisé uniquement pour cela. Ainsi, il rentrera chez lui avec un infuseur relié à un port-à-cath ou un picc line qui sera renouvelé quotidiennement par un infirmier, à condition que le produit soit stable dans le temps. Au préalable, il recevra de la part des infirmières du service les consignes de sécurité et de surveillance particulières : pansement toujours hermétique, capteur de chaleur collé à la peau en permanence pour assurer une perfusion continue… Chez lui, il conservera cet infuseur, telle une bouteille, dans un sac banane et pourra circuler ainsi librement tout en recevant son traitement.
Les projets pilotes
Certains hôpitaux pratiquent déjà l’hospitalisation à domicile depuis un certain temps, mais c’est en 2016 que le gouvernement a lancé des projets pilotes pour tester de nouvelles manières de prendre en charge les patients, notamment les personnes atteintes d’un cancer, pour tester si les patients peuvent bénéficier de certains soins à la maison avec la même qualité et les mêmes garanties de sécurité qu’à l’hôpital, et pour proposer par la suite un cadre clair. En 2014, le KCE1 recommandait en effet « de commencer par des projets pilotes qui permettront de tester et d’évaluer soigneusement différentes pistes ». Il a émis une série de recommandations organisationnelles : « une attention particulière est donnée à l’approche multidisciplinaire autour d’un plan de prise en charge défini selon les besoins du patient, à l’empowerment et au soutien du patient et de son entourage, à la coordination des soins et des services non médicaux, ainsi qu’à la continuité des soins et à la collaboration avec les structures existantes ». Pour l’ensemble de la Belgique, douze projets ont été retenus et se sont clôturés à la fin 2020. Si des hôpitaux n’ont pas attendu ce cadre pour proposer des hospitalisations à domicile, ils comptent aussi poursuivre l’expérience au-delà de cette phase. Les projets pilotes d’hospitalisation à domicile concernent aujourd’hui les traitements administrés soit par antibiothérapie intraveineuse soit par chimiothérapie soit les deux. Lorraine Bolly est infirmière à la maison médicale du Laveu, mais, avant tout, elle est infirmière spécialisée en oncologie. Elle a travaillé pendant deux ans pour le projet pilote d’hospitalisation à domicile du CHR Verviers. Elle raconte à quoi ressemblait une journée type. « Huit heures du matin à la pharmacie de l’hôpital : c’est là que sont préparés les produits cytostatiques, utilisés dans le traitement des cancers. Je prépare les infuseurs d’antibiotiques et programme ma tournée. Je prends le temps de téléphoner à chaque patient pour l’avertir de mon passage. Certains patients aiment pouvoir s’organiser, car contrairement à ce que l’on pourrait penser, ils ne sont pas tous dans leur lit à nous attendre ; certains sont toujours actifs professionnellement et même au sein du noyau familial. Accompagnée de la coordinatrice de projet, j’installe tous les produits et réapprovisionne la camionnette équipée à cet effet, tel un boulanger qui sillonne son village. Ce véhicule est équipé pour faire face à tout type de situation et avec tout le matériel nécessaire pour les soins : pompe à perfusion, potence, aiguilles de port-à-cath, cathéters, pansements, etc. Je démarre, prête à arpenter les routes de la région verviétoise. Pendant ma tournée, je sais que je peux compter sur la coordinatrice ainsi que sur mes collègues médecins pour répondre aux éventuelles questions, les miennes et celles des patients. Les journées sont plus ou moins longues en fonction du nombre de patients, entre huit et quinze, et de la durée des soins. Cela peut aller d’une injection sous-cutanée à une perfusion de presque une heure et pour laquelle je dois rester à leurs côtés. En fin de journée, je retourne à l’hôpital où j’encode mes prestations et fais les transmissions dans les dossiers des patients. »
Un large support
Lorsque l’infirmière arrive chez le patient, elle emporte avec elle tout le matériel nécessaire aux soins, sans aucun coût supplémentaire pour lui. S’il y a un souci ou une question, le patient peut contacter la coordinatrice de soins qui y répondra directement ou qui l’orientera vers la bonne personne (parfois un retour vers l’hôpital est envisagé). La nuit et durant le week-end, il pourra appeler la ligne directe du service d’oncologie/hématologie. Le patient n’est jamais vraiment livré à lui-même. Bien souvent, une série de référents gravitent autour de lui. Tout d’abord, sa famille et des proches : lorsqu’ils sont présents, ils sont essentiels. Ils sont l’un des piliers du suivi et du maintien des patients à domicile puisqu’ils sont au quotidien avec eux : pour les repas, les déplacements, le soutien moral et physique… Ils sont bien souvent très informés sur la maladie de leur proche et enregistrent avec lui la quantité d’information qu’il reçoit au fur et à mesure. Ce sont souvent eux qui accueillent l’infirmier lors de sa tournée et qui sont en quelque sorte son aide logistique. Les patients présentent régulièrement d’autres besoins que ceux liés aux soins spécifiques qu’ils recevraient habituellement à l’hôpital : kinésithérapie, aide familiale, aides aux soins d’hygiène quotidiens, pansements de plaies, entre autres. D’autres soignants entrent donc également en contact avec le patient et ils se fixent parfois rendez-vous entre eux à son domicile pour expliquer certains actes qui ne sont pas ou peu vus dans le cursus de base en soins infirmiers (le changement d’un infuseur d’antibiotique ou d’un pansement picc line, par exemple).
Des questions
Pour les professionnels qui travaillent au quotidien avec leurs patients, ces projets posent des questions d’ordre idéologique et d’ordre pratique. Où se situe la limite entre la première et la deuxième ligne ? Est-ce à l’hôpital d’envoyer ses infirmières « hospitalières » au domicile du patient ? Tout ce qui est traité au domicile du patient ne devrait-il pas pouvoir être pris en charge par la première ligne ? D’un autre côté, le cadre législatif impose que les soins autour d’un patient traité dans le cadre de son cancer soient prodigués par du personnel détenant le titre « d’infirmier spécialisé en oncologie » ; or, pour conserver ce titre, l’infirmier doit justifier de travailler dans un centre spécialisé. Quid de l’articulation entre l’hôpital et la première ligne autour du patient ? Dans ses critères de sortie, l’hôpital tient-il compte du contexte psychosocial du patient ? Ce retour à domicile doit être d’autant plus concerté avec le patient. Pour leur part, les maisons médicales sont organisées avec des équipes pluridisciplinaires ce qui permet une prise en charge globale et intégrée du patient. Ne pas s’occuper de ces cas, n’est-ce pas aller à l’encontre de ce qu’elles défendent ? Cela ne contribuera-t-il pas à segmenter le patient dans ses différentes pathologies et à avoir une infirmière spécialisée pour chacune d’elle ? Les soins spécifiques en oncologie n’existant pour l’instant qu’en milieu hospitalier, l’absence de code de nomenclature en ambulatoire laisse le travail en première ligne sans financement adéquat et parfois en conflit avec les maisons médicales au forfait. Il en va de même pour le financement des médicaments pour le patient : si ce dernier ne paie rien de plus dans le cadre du projet pilote, qu’en est-il du remboursement de médicaments spécifiques hors cadre ? Ceux-ci sont remboursés différemment selon que l’on est hospitalisé ou non.
Le virage ambulatoire
Depuis quelques années déjà nous parlons de « virage ambulatoire », que ce soit en maison médicale ou plus largement dans le secteur des soins de santé. Sous ces termes sont regroupés un ensemble de projets et des réformes initiés par le SPF Santé publique : réforme en santé mentale « psy 107 », projets pilotes « de soins intégrés en faveur des maladies chroniques », projets pilotes « d’accouchement avec séjour hospitalier écourté », projets pilotes « d’hospitalisation à domicile »… La finalité est le maintien à domicile de patients en tenant compte de leur pathologie et/ou en organisant une prise en charge beaucoup plus intégrée et globale autour de lui. La plupart de ces initiatives s’inscrivent dans le cadre de la réforme du paysage hospitalier et du financement des hôpitaux. Leur objectif principal est de faire des économies en deuxième ligne2, en sortant les patients de l’hôpital plus tôt. L’hospitalisation à domicile est un chapitre de ce virage ambulatoire, dans lequel nous pouvons même distinguer les programmes concernant l’antibiothérapie et les chimiothérapies à domicile, qui ne sont que le début de l’alternative que représente l’hospitalisation à domicile. D’autres projets pilotes d’hospitalisation à domicile vont en effet probablement arriver, comme les soins de plaie par pression négative. La spécificité des soins de première ligne est d’être proche des patients. En maison médicale, la prise en charge se fait de manière globale, intégrée, continue et accessible. En dehors, elle se fait de manière diverse autour d’un réseau et des ressources propres aux patients et aux soignants. La deuxième ligne quant à elle est organisée autour d’une prise en charge plus ciblée en fonction de l’âge, du sexe, de la pathologie, de l’organe concerné et non autour du patient dans sa globalité. Cette prise en charge se fait généralement à l’hôpital. Dans le cas des hospitalisations à domicile, nous sommes face à des soins centrés sur la pathologie qui sortent de leur cadre institutionnel pour être pris en charge en ambulatoire. Dès lors, comment intégrer des soins spécifiques habituellement réalisés intramuros dans une prise en charge globale extramuros et avec ces intervenants dont la spécificité prime sur la globalité ? « C’est vrai que toutes ces questions traversent cette pratique, dit Lorraine Bolly. Mais j’ai pu constater les bénéfices immédiats qu’en retirent les patients, le principal étant selon moi le confort de vie dans un quotidien déjà chamboulé par la maladie et les conséquences qui en découlent. Le patient peut être chez lui ou même au travail pour recevoir des soins, il n’a pas besoin de se déplacer vers l’hôpital, de trouver une place de parking, d’attendre son tour… C’est l’hôpital qui vient au patient et le cadre placé autour de lui et de son entourage est sécurisant. Certaines semaines, je voyais les patients le lundi dans le service d’oncologie/hématologie et le lendemain chez eux afin de retirer l’infuseur que j’avais placé la veille. On se voit dans un contexte différent, dans une atmosphère moins stérile, moins froide. C’est également bénéfique et gratifiant pour nous, les soignants. Le travail que l’on fait apporte un virage neuf à notre profession. » L’hospitalisation à domicile comporte en effet des avantages séduisants, tant pour le personnel que pour le patient et son entourage appelé à questionner sa place de proche. Et si ces projets pilotes peuvent susciter beaucoup de questions, ils amènent également les paysages des soins de santé à se redéfinir.
Documents joints
- M.-I. Farfan-Portet et al., L’hospitalisation à domicile : orientations pour un modèle belge – Synthèse, Health Services Research (HSR), KCE Reports 250Bs, 2014.
- Les projets pilotes en faveur des maladies chroniques ont pour objectif de travailler de manière beaucoup plus intégrée avec les différents partenaires et de mieux utiliser l’argent autour de la prise en charge de ces patients, parfois pour éviter une hospitalisation.
Cet article est paru dans la revue:
Santé conjuguée, n°94 - mars 2021
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