La discrimination est le traitement injuste ou inégal d’une personne sur base de caractéristiques personnelles. L’orientation sexuelle en fait partie. La législation antidiscrimination condamne tant la discrimination que le harcèlement, le discours de haine ou les délits de haine envers une personne ou un groupe de personnes.
Unia ouvre en moyenne une centaine de dossiers par an liés à l’orientation sexuelle : agression de couples, intimidation, injures, menaces, refus de dresser un procès-verbal par la police, discours ou propos homophobes émanant de responsables politiques ou religieux, harcèlement sur le lieu de travail ou à l’école. Sans oublier les cas les plus graves, le meurtre ou la tentative de meurtre. Unia est une institution publique indépendante qui lutte contre la discrimination en Belgique. En pratique, elle traite les cas de discrimination, les actes et les discours de haine basés sur dix-sept critères1 protégés par la loi, dont celui de l’orientation sexuelle. Cet article est inspiré de notre expérience dans le traitement de dossiers individuels, de nos études et recommandations sur le quotidien des personnes homosexuelles, lesbiennes, bisexuelles (LGB) en nous focalisant sur les liens avec la santé. Pourquoi ne pas parler ici des personnes transgenre, queer, intersexe (TQI+) ? Parce que toute situation liée à l’identité de genre et à l’intersexuation… relève des compétences de l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes et non d’Unia. S’il arrive qu’un couple homosexuel se voie refuser une location, un service (cours de danse, HORECA…) ou éprouve des difficultés administratives (inscription d’enfants à la commune), les situations de discrimination stricto sensu sont plutôt rares. Ce qui distingue les dossiers « orientation sexuelle » des autres critères protégés, c’est qu’ils concernent la vie sociale, c’est-à-dire tout ce qui se passe dans l’espace public (la rue, les transports en commun) ou dans la sphère (semi) privée (cadre familial, conflits de voisinage). C’est le seul critère pour lequel ce secteur est à ce point dominant2. À nos yeux, cela traduit une forme d’intolérance viscérale alors que les sondages montrent qu’il y a, en Belgique, plutôt une acceptation de principe (théorique) de l’égalité de droits. Comme si la diversité sexuelle était plus facilement acceptée dans nos têtes que dans nos tripes.Des discriminations spécifiques
Deux thématiques liées à la santé relèvent cependant spécifiquement de la discrimination des personnes : la sérophobie et le don de sang. En 2017, nous avons publié La sérophobie en actes3, une enquête qui, partant des signalements traités par Unia entre 2003 et 2014, avait pour objectif de mieux connaître les situations de discrimination et l’expérience vécue par les personnes estimant avoir été discriminées en raison de leur statut sérologique. 141 signalements ont été analysés et 18 entretiens individuels ont été menés. Si la séropositivité ne se limite évidemment pas aux personnes LGBTQI+, l’étude montre l’imbrication de la sérophobie avec l’homophobie, mais aussi le racisme, le sexisme et les inégalités socioéconomiques. Il y a donc une forme d’intersectionnalité de ces discriminations. Plus d’un tiers des signalements analysés dans le cadre de cette étude concerne l’accès et l’offre de biens et de services, dont essentiellement des refus d’assurance ou une surprime en raison de la séropositivité du demandeur. L’absence de confidentialité des informations médicales (par exemple pour les assurances-groupe professionnelles) pose également question. Le second domaine, qui regroupe près d’un quart des signalements, a trait à l’emploi. Cela concerne essentiellement des licenciements ou des non-renouvellements de contrat suite à la divulgation de la séropositivité ou aux absences du travailleur en raison d’une détérioration de son état de santé. Le harcèlement ou l’absence d’évolution de carrière, les tests de dépistage obligatoires ou réalisés à l’insu des personnes, peuvent engendrer une pression et mener à la démission voire au licenciement. Il ne faut pas nécessairement avoir été discriminé pour avoir intériorisé le risque de l’être. Il n’est pas rare de voir des personnes anticiper un traitement différentiel en se mettant elles-mêmes à l’écart. Les conséquences sont nombreuses et ne se limitent pas à un déni d’égalité dans l’accès aux ressources et positions. Elles suscitent également des sentiments délétères (injustice, abandon, trahison, honte) susceptibles d’aggraver l’état de santé des personnes vivant avec le VIH. De plus, afin d’esquiver ou d’anticiper les discriminations, de nombreuses personnes adoptent une stratégie du silence, en ne divulguant pas leur statut sérologique. Or, ces deux éléments conjugués vont à l’encontre des politiques de lutte contre le sida.Pour des approches moins excluantes
Le second thème qui relève plus directement de la discrimination est celui du don de sang. En 2017, Unia a publié une recommandation4 à ce sujet à l’occasion des débats parlementaires et de l’adoption de la loi qui remplace l’exclusion permanente du don de sang pour les hommes ayant eu une relation sexuelle avec un autre homme (HSH) par une période d’abstinence de douze mois5. Unia estime que l’exclusion permanente des HSH du don de sang constitue une discrimination fondée sur l’orientation sexuelle, notamment en ce qu’elle peut obliger les personnes à se dévoiler lorsque des collectes de sang sont organisées de manière collective, par exemple sur le lieu de travail. La levée de l’exclusion permanente est une décision positive et son remplacement par une exclusion temporaire de douze mois est un début et non une fin en soi. Unia conçoit cependant que pour de nombreux hommes, la nouvelle réglementation soit toujours ressentie comme de la discrimination. Pour bon nombre de donneurs, le passage de l’exclusion permanente à l’ajournement de douze mois ne fait pas l’ombre d’une différence en pratique. C’est une des raisons pour laquelle Arc-en-ciel Wallonie a décidé d’introduire un recours en annulation contre cette loi devant la Cour constitutionnelle. Nous demandons que l’approche la moins excluante possible soit adoptée (à savoir, l’exclusion de donneurs de sang uniquement sur base de comportements sexuels à risque individuels), compte tenu des études scientifiques actuelles et du principe de proportionnalité. L’évaluation biennale prévue dans la loi est dès lors une bonne chose pour autant que celle-ci soit pleinement exploitée. Il est essentiel que les autorités et instances en charge du don sang organisent, en collaboration avec la société civile, une communication claire et correcte sur les raisons qui justifient cette mesure. Il convient également que les autorités initient des études visant à faire le point sur les dernières évolutions médicales, scientifiques et épidémiologiques. Enfin, il faut garantir la sensibilisation et la formation du personnel concerné pour que celui-ci puisse expliquer aux candidats donneurs concernés l’exclusion dont ils sont sujets afin de les accompagner, d’éviter la stigmatisation et le sentiment de discrimination.Documents joints
- www.unia.be
- À titre de comparaison, il y a des liens entre âge et emploi, convictions religieuses ou philosophiques et média/internet, handicap et accessibilité aux biens et services…
- C. Pezeril, La sérophobie en actes : Analyse des signalements pour discrimination liée au VIH/sida déposés chez Unia (2003-2014), Observatoire du sida et des sexualités, mars 2017.
- Point de vue d’Unia sur le don de sang des hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes. Recommandation 180 du 30 août 2017.
- La loi du 5 juillet 1994 relative au sang et aux dérivés du sang.
Cet article est paru dans la revue:
Santé conjuguée, n°86 - mars 2019
Introduction
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