Le décrochage scolaire touche un nombre impressionnant de jeunes et ce phénomène est aggravé par les mesures adoptées depuis le début de la crise sanitaire. Les solutions existent, mais elles restent insuffisantes. Notre service tente d’apporter sa pierre à l’édifice.
Qu’est-ce que c’est que le décrochage scolaire ? On peut le définir de diverses manières. Selon le Conseil de l’éducation et de la formation, le décrochage scolaire est le processus par lequel un jeune commence par se désintéresser de l’école ou de l’enseignement qui y est prodigué et qui peut se terminer, au pire, par un abandon scolaire prématuré1. Pour les Damien Favresse et Danielle Piette, le décrochage est la conséquence de la « détérioration du lien entre le jeune, l’école et la société »2. Tandis que pour Thierry Lambillotte et Dominique Leclercq, il s’agit d’« un processus progressif de désintérêt pour l’école, fruit d’une accumulation de facteurs internes et externes au système scolaire »3. En Belgique, on considère souvent qu’un jeune décroche quand, bien qu’il soit soumis à l’obligation scolaire (jusqu’à dix-huit ans), il n’est pas inscrit de manière régulière dans un établissement scolaire et n’est pas instruit à domicile, quand il cumule plus de vingt demi-jours d’absence sans justification, quand il est exclu de son établissement et ne peut se réinscrire dans un autre en cours d’année au vu de son dossier scolaire ou quand il est en crise et présente des problèmes de comportement, d’absentéisme et de retard scolaire important tout en étant en situation d’élève régulier4. Ces définitions ne sont pas les mêmes dans chaque pays, mais quelle que soit la définition que l’on prend il s’agit finalement toujours de jeunes mineurs qui sortent de l’enseignement sans diplôme et souvent avec des compétences peu développées à l’école ou de jeunes qui sont en risque de sortir de l’enseignement. Le pourcentage de jeunes entre dix-huit et vingt-quatre ans qui n’ont aucun diplôme et qui ne suivent aucune formation était de 8,8 % en Belgique en 2019 : 14,8 % à Bruxelles, 6,8 % en Flandre et 10,3 % en Région wallonne5. C’est un chiffre énorme : un jeune sur dix décroche et ne poursuivra plus aucune formation ! Et il est aussi étonnant de constater que notre pays se situe au-dessus des chiffres répertoriés ailleurs en Europe.
Coût et conséquences
Le décrochage scolaire coûte très cher, on parle de 400 millions d’euros par an6 et les conséquences sont graves, aussi bien au niveau sociétal qu’au niveau individuel. Pour exemple, un jeune sortant de l’école sans diplôme provoque une perte de revenu national, une perte de revenu fiscal, il y a de fortes probabilités qu’il coûtera plus cher à la sécurité sociale et qu’il risque de vivre du chômage. Il bénéficiera de moins d’avantages extralégaux, atteindra peut-être plus rapidement un seuil de pauvreté important et sera plus régulièrement atteint d’affections physiques et mentales. Cette liste n’est malheureusement pas exhaustive. On pourrait pourtant éviter bien des situations. Le décrochage est multifactoriel. Il y a des facteurs de risque (facteurs personnels, familiaux, scolaires, facteurs environnementaux) et des prédicteurs de risque (l’échec scolaire, l’absentéisme, l’ennui, la non-appartenance, le climat scolaire, l’étiquetage, etc.). À cela s’ajoute actuellement la crise sanitaire qui a un effet important sur le décrochage scolaire dans l’immédiat, mais aussi pour le futur des jeunes. Le nombre de décrochages serait passé à 40 % touchant, bien évidemment, beaucoup plus les populations les plus vulnérables. Il n’y a plus à douter, les exclus du système scolaire seront, si ce n’est déjà le cas, les exclus de la société. La fracture sociale est plus que manifeste et il y a vraiment de quoi s’inquiéter. Que peut-on faire ? Il n’existe sans doute pas une solution unique, mais un ensemble d’actions à mettre en place pour donner aux jeunes la possibilité de découvrir des perspectives.
Le pacte pour un enseignement d’excellence
Des centaines de personnes, peut-être même plus, ont travaillé des milliers d’heures sur ce pacte pour un enseignement d’excellence qui, petit à petit, au cours des années à venir impliquera tous les élèves de la maternelle au secondaire supérieur. Le premier axe a pour but d’enseigner les savoirs et compétences de la société du XXIe siècle et favoriser le plaisir d’apprendre, grâce à un enseignement maternel renforcé, à un tronc commun polytechnique et pluridisciplinaire et à un cadre d’apprentissage révisé et reprécisé. Le deuxième axe désire mobiliser les acteurs de l’éducation dans un cadre d’autonomie et de responsabilisation accrues en renforçant et en contractualisant le pilotage du système éducatif et des écoles, en augmentant le leadership du directeur et en valorisant le rôle des enseignants au sein de la dynamique collective de l’établissement. Le troisième axe veut faire du parcours qualifiant une filière d’excellence, valorisante pour chaque élève et permettant une intégration socioprofessionnelle réussie tout en renforçant son pilotage et en simplifiant son organisation. Le quatrième axe vise à améliorer le rôle de l’enseignement comme source d’émancipation sociale tout en misant sur l’excellence pour tous, favoriser la mixité et l’école inclusive dans l’ensemble du système éducatif tout en développant des stratégies de lutte contre l’échec scolaire, le décrochage et le redoublement. Et le cinquième axe va assurer à chaque enfant une place dans une école de qualité, et faire évoluer l’organisation scolaire afin de rendre l’école plus accessible, plus ouverte sur son environnement et mieux adaptée aux conditions du bien-être de l’enfant. Le quatrième axe est totalement dans notre sujet de lutte active contre l’échec scolaire, le décrochage et le redoublement. Vaste projet qui parle du rôle des écoles, des médiateurs scolaires, des centres psycho-médico-sociaux (CPMS), des services d’accrochage scolaire (SAS) et qui débloque des millions d’euros pour ce faire. Difficile aujourd’hui d’avoir un avis précis sur ce qui va se jouer, la grosse machine a démarré il y a peu et ne touche encore que les toutes premières classes. Qu’en sera-t-il des ados du secondaire quand arrivera leur tour ? On a néanmoins le sentiment que le monde court plus vite que le pacte…
L’asbl Odyssée et sa méthodologie
Odyssée accompagne des jeunes, des parents, des professeurs, des éducateurs depuis plus de vingt ans. Nous travaillons selon une méthodologie que nous avons mise au point pour des accompagnements individuels7. Ce n’est certainement pas le seul chemin possible pour accompagner des jeunes en décrochage scolaire, mais c’en est un et il porte ses fruits. Plus vite le jeune qui décroche nous est signalé, plus vite nous avons la possibilité de l’accompagner à se remettre en projet. Et, bien sûr, plus on attend, plus le jeune se sent « en dehors », en perte de sens, démotivé et plus l’accrochage est compliqué. Ces accompagnements individuels et cette méthodologie qui va vers le jeune, là où il se trouve, nous ont permis de nous rendre compte que le fait de lui manifester de l’intérêt, de le valoriser et d’entendre qu’il a certainement des comportements inadéquats et inappropriés, mais que ce sont sans doute les seuls qu’il a trouvés pour exprimer son mal-être, le fait se sentir non jugé et au contraire soutenu et entendu. Dans 90 % des cas, il accepte notre proposition de rencontre et s’offre ainsi une chance de s’en sortir. N’hésitons jamais à croire un jeune qui nous dit qu’il a mal à la tête ou mal au ventre, c’est un signal. Il importe de comprendre ce qu’il tente d’exprimer lorsqu’il ne se présente plus à l’école. Nous l’entendons comme une tension. Prenons l’exemple de Magali, qui est de plus en plus souvent absente. Nous allons à sa rencontre et nous sommes frappés par le désordre de l’appartement où elle vit avec sa mère. Magali nous demande de ne pas faire trop de bruit, sa maman dort, il est midi. Nous apprenons que Magali a peur de sortir. Il lui est arrivé quelques fois en rentrant de retrouver sa mère en pleurs, elle avait été battue. Magali n’a pas trouvé d’autres astuces que de rester chez elle pour ne pas l’abandonner et ne plus risquer de la retrouver dans cet état. Nous pourrions aussi parler de Pedro qui, suite aux multiples échecs et relégations scolaires, a perdu toute estime de soi et tout espoir de réussite. Il se sent nul, il se croit nul. Il nous faudra lui apprendre à retrouver de la confiance en ce qu’il est, en ses compétences, pour pouvoir se remettre en projet. Il faut aussi entendre le décrochage du jeune comme un signal d’alarme, répété de plus en plus fort espérant être enfin écouté et entendu. La plupart du temps, il ne s’agit pas d’un décrochage pédagogique, mais d’un décrochage psychosocial, et celui-ci touche préférentiellement les jeunes issus de milieux précaires. Les jeunes issus de milieux fragilisés ont beaucoup plus de risques de décrocher que les autres alors que, a priori, poursuivre sa scolarité est une porte ouverte sur un avenir plus simple et une probabilité de mieux avancer dans sa vie. Mais malheureusement l’école, alors même qu’elle devrait jouer le rôle d’un ascenseur social, est très souvent pour ces jeunes un tunnel dont ils ne voient pas le bout et qui ne les pousse pas à continuer. On se retrouve face à un véritable déterminisme social, une route toute tracée et qui est tout sauf jalonnée de succès. Comment éviter ce chemin non vertueux ? C’est ce que nous tentons de faire en proposant à des écoles de nous laisser travailler avec des groupes-classes de l’enseignement secondaire, principalement de troisième et de quatrième année qui ont beaucoup d’élèves relégués et avec une, deux, voire trois années de retard dans leur scolarité. Lors de ces ateliers nous travaillons l’estime de soi, la confiance en soi, la confiance en l’autre et l’importance de nos comportements. On apprend aussi à découvrir nos besoins et nos désirs, mais aussi les valeurs et les compétences dont chacun dispose même si elles sont différentes. Nous invitons les professeurs à participer à ces ateliers. L’idée est de permettre aux élèves de changer leur regard sur les professeurs, mais également de permettre aux professeurs de regarder les élèves sous un autre angle. Ces ateliers invitent à la reconnaissance de soi et à la solidarité, ils augmentent la cohésion de groupe et développent le sentiment d’appartenance qui, quand il manque, est l’une des causes de décrochage. Comment avancer avec les jeunes si nous n’avançons pas avec les équipes éducatives ? Nous avons lancé des formations destinées aux professeurs, aux éducateurs et à toute personne travaillant dans l’accompagnement des jeunes pour les sensibiliser à la problématique du décrochage, apprendre une bonne communication adulte/ado, apprendre à créer des alliances, travailler la posture. On se rend compte qu’il y a une nécessité de partager des savoirs, mais également « l’être », et que les jeunes ont besoin de professeurs impliqués et engagés, qui peuvent être exigeants pour autant qu’ils soient justes et à l’écoute.
Systémique
De nombreuses maisons médicales sont sensibles à la problématique du décrochage scolaire. Des jeunes s’adressent à elles pour obtenir un éventuel certificat médical pour justifier leurs absences scolaires. Depuis quelques années, et avec leur accord, des médecins nous signalent ces jeunes qui décrochent. En travaillant tous les aspects, le jeune et sa famille, le groupe, les professeurs, l’éducateur et l’école, la santé mentale et physique, on augmente les chances de ne pas laisser des jeunes glisser entre les mailles du filet et se perdre dans un chemin qui ne leur sera pas favorable et qui les empêchera d’être acteurs de leur vie. L’école et ses services internes ne peuvent pas fonctionner seuls pour éradiquer ce phénomène. Il est nécessaire qu’elle soit partenaire d’acteurs externes et que chacun ait une place et un rôle à jouer. Il nous semble également fondamental que les instances politiques aient une vue à long terme et ne rechignent pas à la dépense.
Documents joints
- Conseil de l’éducation et de la formation, avis n° 104 du 26 juin 2009.
- D. Favresse, D. Piette, « Les jeunes en marge du système scolaire : inscription dans une socialisation de l’exclusion », L’observatoire n° 43, 2004.
- R. Thibert, « Le décrochage scolaire : diversité des approches, diversité des dispositifs », Dossier d’actualité, veille et analyses n° 84, 2013.
- Article 3 du décret du 30 juin 1998 pour l’émancipation sociale.
- Ligue des droits de l’enfant, 2019.
- « Enseignement : le redoublement coûte 386 millions par an », Le Soir, 11 avril 2017.
- N. Roubaud, C. Sztencel, Accompagner des ados en rupture scolaire, De Boeck, 2012.
Cet article est paru dans la revue:
Santé conjuguée, n°95 - juin 2021
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