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La coordination de soins en maison médicale, c’est un métier, une fonction, parfois un mandat. Qu’est-ce que cela implique ? C’est ce qu’explique Joanne Herman. Elle occupe ce poste depuis cinq ans à la maison médicale La Passerelle, à Liège.

Quand votre maison médicale s’est-elle intéressée à la coordination de soins ? Le changement remonte à 2012, lors d’une crise institutionnelle. L’assemblée générale (AG) décide notamment d’établir un barème différencié pour les médecins et de mettre en place des postes de coordination pour répondre aux nouveaux enjeux autogestionnaires d’une équipe grandissante, multipliant la dilution des responsabilités et des tâches de gestion. Malgré cela, quatre des cinq médecins titulaires partent. Nous envisageons de fermer… sauf si des garanties de qualité des soins pour les patients sont trouvées dans cette période qui s’annonçait difficile. Un groupe « coordination des soins » est mandaté au printemps 2013, il travaille et propose en 2015 d’identifier une personne qui pourrait assurer un temps de travail plus important, faire les liens avec le conseil d’administration (CA) et les autres coordinations, avoir une vision globale et à long terme. C’est le début du poste de coordinateur de soins et du groupe « qualité ». L’AG donne quatre ans pour expérimenter le poste. Le profil de fonction est créé sur base des postes similaires en Flandre, du travail de l’intergroupe liégeois des maisons médicales sur cette question et des réalités de la Passerelle. Comment cette fonction de coordination s’est-elle implantée ? Le groupe, le coordinateur et l’équipe travaillent sur des objectifs à partir d’une liste de toutes les difficultés que chacun avait notées dans la foulée de la crise. Beaucoup de points relevaient de l’organisation des soins, de la gestion, il y avait également beaucoup d’inquiétudes liées à la perte de l’objet social et du bien-être au travail. On a essayé d’établir des priorités et de se partager le travail avec le CA et les autres coordinations. La première priorité au niveau des soins était de reconstruire le secteur médical, d’organiser l’horaire et de clarifier les procédures d’attribution des consultations, les visites et la gestion des urgences avec l’accueil. La deuxième priorité était la continuité des soins dans cette période de transition. Cela a marqué le début d’un long processus de réflexion et d’action concernant l’utilisation du dossier santé informatisé. On a aussi entamé une réflexion sur notre idéal commun de qualité des soins à la Passerelle : une définition, des critères et une évaluation ont été discutés. D’autres sujets sont apparus. La qualité des soins est l’objet d’une attention perpétuelle à tous les niveaux : valeurs, organisation, méthodes de réflexion, sens au travail… Quelques situations concrètes ? Plusieurs me viennent en tête. Un travail avec l’accueil a permis de revoir ce profil en renforçant leur rôle de travailleurs de la santé, d’avoir une réflexion éthique et d’établir les objectifs et les tâches nécessaires dans un futur idéal pour y parvenir. Avec le secteur infirmier, le profil aussi été revu de même que l’organisation et les objectifs à atteindre, comme l’établissement de plans de soins avec les personnes fragiles. Une réflexion a été entamée sur les tâches qui pourraient lui être déléguées face à la pénurie de médecins généralistes. Nous avons travaillé à l’amélioration des inscriptions : efficacité en les groupant, accessibilité, temps d’attente, éthique, implication de la santé communautaire et de l’infirmière en prévention dès l’inscription, récolte et scannage des dossiers des nouveaux inscrits. Des réunions de référents de secteur et de coordinateurs ont été mises en place afin de renforcer leur fonction et de coordonner l’organisation des soins en autogestion. On y centralise les demandes et les observations des secteurs, les informations circulent et certaines décisions organisationnelles sont prises tandis que d’autres sont renvoyées vers les secteurs. Il peut s’agir de petites choses, comme l’organisation des rendez-vous le 24 et le 31 décembre, ou de plus complexes comme la révision des procédures d’engagement. Un travail a aussi été amorcé pour améliorer la prise en charge des patients vulnérables, des patients âgés, atteints de maladies chroniques ou ayant des difficultés de communication… Des dossiers moins lourds, mais néanmoins importants, ont également été traités, comme la gestion des urgences, la stérilisation, la mise à jour d’une procédure prévention ou encore, dans le domaine du personnel, l’accueil des nouveaux travailleurs. Précisément, où se situe votre rôle de coordination ? Tout ce travail ne s’est pas réalisé uniquement par la coordination des soins, mais avec l’aide de l’équipe, des autres coordinateurs, des groupes, du CA, des patients. Mes différents rôles ont été de renforcer certains processus de décision, de proposer des méthodes de travail et d’évaluation en y incluant les patients, de faire le suivi des objectifs et des décisions et de mettre à jour les procédures, d’avoir une vue d’ensemble, de pouvoir déléguer et organiser les différentes tâches pour améliorer l’efficacité des collaborations, d’organiser, animer certaines réunions et en assurer le suivi, de mémoriser, récolter, rediriger, classer les informations et les communiquer, d’interroger systématiquement les questions des valeurs et de la qualité des soins. De prendre aussi le temps – et donner ce temps aux travailleurs – pour réfléchir, s’informer de ce qui se fait ailleurs et ce qui est validé au niveau scientifique. La fonction de coordination doit trouver sa place au sein d’un fonctionnement ; des changements et des résistances aux changements doivent donc s’activer… La place à trouver est différente en fonction de chaque situation, soit dans la locomotive, dans les wagons ou en queue du convoi. Certains changements se passent facilement, d’autres moins. Les frustrations de ne pas décider tout tous ensemble, les résistances et les peurs dont on n’ose pas parler sont des freins et entravent les processus. Une fonction de coordination doit être adaptable, doit essayer de lever ces freins et chercher le consensus. Après cinq ans de pratique, qu’est-ce qui vous convainc de l’utilité de cette fonction ? Trois choses essentiellement. La première, ce sont les réussites et la mise en mouvement de la maison médicale dans de nombreux domaines, comme des avancées dans le partenariat patient et la mise en place d’une évaluation. La deuxième se situe au niveau fonctionnel, un soutien dans une vision globale, le suivi des décisions et une structuration du travail transversal et interdisciplinaire sont pertinents. Et la troisième au niveau symbolique : c’est une fonction qui soutient l’investissement dans la qualité des soins face aux réalités financières et autogestionnaires qui font parfois perdre l’objet social de vue. Quelles qualités identifiez-vous pour occuper la fonction de coordination de soins ? Croire au mouvement des maisons médicales et avoir envie d’apporter sa pierre à l’édifice. Être créatif, enthousiaste et passionné. Avoir la capacité d’endosser des responsabilités et d’assurer différents rôles et niveaux de stress. Avoir envie de s’impliquer dans la gestion d’équipe avec une conscience forte de l’autogestion et de la non-hiérarchie. Avoir travaillé sur le terrain est un atout pour savoir ce que les soignants et les patients traversent. Il faut aussi pouvoir organiser son travail seul ou en groupe et favoriser la coconstruction. Mettre ses limites et dire parfois non. Et enfin, continuer à apprendre et à s’informer. Quelles sont les limites de la fonction ? Un coordinateur n’est qu’un travailleur parmi les autres, une fonction parmi les autres, un rouage dans une institution qui se trouve elle-même dans un quartier et dans un système de soins. Les relations interpersonnelles conflictuelles, les difficultés de communication, les lourdeurs du système autogestionnaire, le manque de vision commune… tout cela ne peut évidemment être résolu par la coordination de soins. Il n’existe pas de méthode pour rendre tout le monde heureux et donner du sens à toutes nos actions. L’équipe attend parfois des résultats rapides, mais les processus qualité s’inscrivent dans le temps et ils doivent pouvoir être réorientés avant d’aboutir pleinement. Une empêcheuse de tourner en rond ! Oui et ça peut être fatigant, je l’entends bien. Parfois ça ne plaît pas, je le sais aussi. Identifier où ça coince, c’est parfois mettre en lumière des dysfonctionnements. Décoincer, mais pas contrôler, c’est un beau challenge. Proposer des améliorations, c’est parfois bousculer une dynamique de routine et d’habitude. C’est une des raisons pour lesquelles je souhaitais qu’une évaluation soit menée d’une façon globale, pour distinguer nos priorités et bien se mettre d’accord. Être garant d’une décision, c’est aussi interpeller, remettre le sujet sur le tapis alors qu’un travailleur est déjà soumis à une masse d’informations et de tâches à accomplir. Et si les décisions ne sont pas appliquées, c’est qu’il faut revoir la décision ou les moyens. Et enfin, mettre en œuvre des méthodes de décision partagée, d’animation pour que tous participent, c’est parfois redistribuer les cartes dans un groupe. Selon vous, quelles sont les principales difficultés liées à l’installation de la fonction de coordination de soin en maison médicale ? Elles sont d’ordres divers. Il y a des balances à équilibrer : fonction/mandat, interne/externe. Personnellement, je penche pour une fonction qui permet de prendre le temps d’entrer dans le poste, de se former et d’assurer une continuité. Des difficultés liées au nombre d’heures à attribuer pour rendre le poste viable et au financement à trouver. Des difficultés liées à l’autogestion et à la place à trouver pour cette fonction dans l’organigramme, avec la clarification des responsabilités, notamment avec le CA, d’autant qu’il change. Les difficultés liées à tout poste de coordination : de la solitude, des responsabilités et des coups de pression, des tâches qui ne sont pas forcément reconnues, la fatigue des allers-retours nécessaires pour établir des consensus et faire émerger des décisions. Puis, il y a les difficultés inhérentes à tout processus de changement qui entraine parfois des conflits. Quels leviers imaginez-vous pour soutenir la mise en œuvre d’une fonction de coordination de soin ? Ils sont nombreux et à plusieurs niveaux. Au niveau politique : financer le soutien des démarches qualité sur le terrain. Au niveau universitaire et des hautes écoles : mettre en place une formation contenant des aspects de gestion d’équipe, un apprentissage des processus qualité et de santé publique ; les formations actuelles en ingénierie sociale ou en santé publique ne répondent pas aux besoins. Au niveau d’une maison médicale : avoir une volonté de mettre en route des processus d’amélioration continue et dégager du temps pour les réaliser et les coordonner. Au niveau de la Fédération des maisons médicales : mener une réflexion plus large, réunir les différentes expériences et analyser en profondeur. Au niveau de l’équipe : établir un consensus sur les responsabilités de chacun et avoir la volonté de collaborer, de communiquer. À un niveau personnel : être le plus détaché possible pour rester objectif et juste (et donc ne pas appartenir à un secteur de soins en particulier). Et au niveau des patients : organiser un partenariat pour enrichir le travail, rester dans le concret et la réalité de terrain ; c’est un levier très important qui nous ramène à l’objet principal de cette fonction de coordination des soins.

Documents joints

Cet article est paru dans la revue:

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